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La Cour pénale internationale en 2016: sauve-qui-peut!

Quatorze ans après l'entrée en vigueur de son statut qui vise à «» et à mettre fin «», la Cour pénale internationale se trouve à un point tournant de son histoire!
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Quatorze ans après l'entrée en vigueur de son statut qui vise à «mettre un terme aux crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale» et à mettre fin «à l'impunité des auteurs de ces crimes», la Cour pénale internationale se trouve à un point tournant de son histoire! Passés les éloges de ses premières bougies, la Cour est aujourd'hui la cible de nombreux critiques et reproches. L'exercice, au cours de cette année 2016, de l'option de retrait par certains pays tels que le Burundi, l'Afrique du Sud, la Gambie et la Fédération russe est loin d'être une bonne nouvelle pour ce que nous, juristes internationalistes notamment, considérons comme le fleuron de la justice internationale. Sans réfuter catégoriquement les arguments de ceux qui critiquent la Cour, nous pensons, que celle-ci n'est pas un outil d'hégémonie, mais qu'elle est, plutôt, victime de sa propre gouvernance et de certaines dispositions de son statut.

1-La Cour n'est pas un outil d'hégémonie

Pour de nombreux gouvernements, la Cour a été créée par des puissances occidentales, pour punir les pays faibles, dont en tête, les pays africains et musulmans. Pour preuves, les procès jusqu'à ce jour intentés par cette Cour n'ont visé que des dirigeants de pays africains tels que l'Ivoirien Laurent Gbagbo ou le Soudanais Omar al-Bashir et, qui plus est, sur les 10 enquêtes en cours, 9 visent des États africains alors que sur les 10 examens préliminaires, 8 concernent des États musulmans et africains!

Il s'agit, selon ces gouvernements, d'un moyen au service des anciens colonisateurs pour perpétuer leur hégémonie sur les anciens colonisés. Un juriste égyptien est allé jusqu'à dire : «la CPI est l'équivalent de l'épée de Damoclès sur la tête des pays en voie de développement»; une épée, selon lui, «élégante et dissimulée dans une belle décoration juridique [nous traduisons]». Autrement dit, c'est un moyen pour intervenir dans les affaires intérieures de ces États et limiter leur souveraineté.

Très influencée par la théorie du complot, cette position atteste soit d'une «ignorance sincère» pour utiliser l'expression de Martin Luther King, soit d'une manipulation politicienne. En effet, nous pensons que c'est mal comprendre le statut de cette Cour que de dire que sa ratification porte atteinte à la souveraineté des États. Faut-il rappeler, en effet, que ce Statut préserve la compétence des juridictions pénales nationales et ne reconnaît la compétence de la CPI que si la justice d'un État est défaillante ou dans l'impossibilité de fonctionner?

Autrement dit, c'est «une juridiction complémentaire aux juridictions pénales nationales», qui vise, selon statut, «à mettre un terme à l'impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes», ainsi qu'à faire en sorte que «les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale».

Par ailleurs, nous pensons que le statut en question est porteur de valeurs universelles, d'une vox populi mondiale, abstraction faite des comportements des États, y compris de ceux qui sont à l'origine de la création de la Cour pénale internationale. Notons au passage que le chef de file des puissances occidentales, soit les États-Unis d'Amérique, refuse de ratifier le statut de la Cour!

Disons-le, pour ceux qui analysent tous les événements à l'aune du dominant/dominé, l'exploitation et l'hégémonie existent avec ou sans le Statut de Rome. La Cour pénale internationale ne va ni légitimer ni créer cette hégémonie. Ceux qui critiquent cette Cour ressemblent, à notre avis, à ceux qui ont vu dans les Nations Unies un outil de colonisation. Ce faisant, ils oublient que la quasi-majorité des pays colonisés, pays africains et musulmans en tête, ont accédé à l'indépendance après 1945.

2-La Cour est victime de sa propre gouvernance

Il suffit, pour s'en convaincre, de confronter le nombre des dossiers traités par la Cour depuis sa création (dix enquêtes ouvertes et un jugement rendu) à son budget qui atteindra pour le seul exercice 2016 le montant de 139,5 millions d'euros (194 millions de dollars CA). Avouons-le, la récolte est maigre et «c'est de quoi il y a lieu de s'étonner » pour reprendre les mots de Jean de Lafontaine.

Nous pensons qu'Il est primordial pour que la Cour adopte une politique financière et administrative rigoureuse et qu'elle ne se réduise pas en un simple hôtel assurant une belle préretraite, pour les juges internationaux, sur les rivages de Scheveningen.

Il est temps de se pencher sur certaines dispositions du Statut de Rome surtout celles portant sur la saisine de la Cour pour engager une compagne internationale et un dialogue au sein de la communauté juridique internationale afin de proposer d'autres formules de saisine de la Cour pénale internationale, et, surtout, d'imaginer de nouveaux procédés et outils juridiques permettant d'assurer davantage de protection aux civils et à toutes les victimes de crimes abjectes. L'élargissement de la compétence du bureau du procureur pour exercer son pouvoir d'ouverture d'enquête ainsi qu'un rôle plus accru à donner à l'Assemblée générale des Nations Unies ou aux organisations régionales dans la saisine de la Cour sont des pistes qui méritent d'être explorées même si nous sommes conscients des écueils politiques et géostratégiques que ces options pourraient soulever.

Il est également temps que le bureau du procureur ainsi que les juges de la Cour se sentent sérieusement interpellés par le fait que certaines personnes ou puissances occidentales échappent à la justice internationale malgré les crimes qu'elles ont perpétrés. Des personnes comme l'ancien président américain George W. Bush ou l'ancien premier ministre britannique Tony Blair doivent rendre des comptes à la justice internationale pour les crimes qu'elles ont commis en Irak et ailleurs.

Dans son premier roman, paru en cette fin d'année 2016, intitulé Un silence de pierre et de cendre, ma collègue, la professeure Muriel Paradelle a brillamment et tristement décrit certaines pages sombres de notre humanité, dont le camp d'Auschwitz garde silencieusement les traces, en écrivant : «Et si en cet instant, quelqu'un avait tendu l'oreille et écouté attentivement, je suis sûre qu'il aurait entendu, porté par le souffle du vent, le murmure de centaines de milliers de voix, ensevelies sous la pierre et la cendre, chuchoter dans un cri lancé à l'éternité : "Lehaïm!" À la vie». Ne serait-il pas temps que la Cour «tende l'oreille» et engage une réflexion sur son avenir?

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Mai 2017

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