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Petit manuel du bon blagueur: l'humour, comment ça marche?

L'humour est certainement un phénomène très important dans nos vies personnelles et professionnelles, générant de fortes attentes quant à ses bénéfices.
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L'humour est certainement un phénomène très important dans nos vies personnelles et professionnelles, générant de fortes attentes quant à ses bénéfices. Il contribue à trouver des solutions, à aplanir des difficultés et à préserver notre santé mentale lors de moments de tension, tant sur le plan personnel que professionnel. Le rire qu'il suscite en général aide à la complicité, à la confiance, et même à l'harmonisation des conflits relationnels. Mais nous faisons également le constat d'un phénomène fort complexe et essayons de comprendre pourquoi l'on rit à une plaisanterie, ou pourquoi la bonne blague échoue. Sur quels mécanismes l'humour est-il fondé, et quelles en sont les limites?

Un peu d'histoire

Pour comprendre un peu mieux le phénomène de l'humour, et en mesurer la très grande complexité, il faut aller aux sources de l'"humorisme médical".

En effet, humour et humeur ne font qu'un au départ. Ce n'est qu'au XVIII siècle et uniquement dans la langue française, qu'"humour" se détache d'"humeur", les langues italienne, espagnole, ou anglaise ne faisant pas cette distinction.

Les textes fondateurs de la médecine occidentale rédigés au V et VI siècle avant J.C. et attribués à Hippocrate de Cos, accordent une importance primordiale aux "humeurs" qu'ils identifient comme la cause des maladies. Ainsi, la mélancolie est identifiée comme une forme de folie associée au rire, et serait due à un excès de bile noire.

C'est véritablement au XVIIe siècle que les Anglais mettent au jour la spécificité de cette tournure d'esprit qu'est l'humour, par le biais du théâtre Élisabéthain. On voit le terme employé pour la première fois sous son nouveau sens, dans les comédies de Ben Jonson : Every Man in His Humour et Every Man out of His Humour. Le mot revêt alors des valeurs nouvelles de "lubie", "caprice", "fantaisie", "excentricité", "penchant irrationnel", "obsession"...

En France, au XVII siècle, le Littré définit l'une des valeurs du mot humeur comme "Penchant à la plaisanterie, originalité facétieuse, à peu près dans le sens du mot anglais humour". C'est en effet, à partir du XVIII siècle que se construit une esthétique de l'humour anglais, qui devient, avec le sense of humour un élément d'exportation, allant de pair avec l'expansion de l'Empire anglais.

En 1880, le mot "humour" entre officiellement dans la langue française, avec la reconnaissance de l'Académie, en s'appliquant d'abord aux caricatures. On voit alors se développer différents types d'humour, à travers la littérature et la poésie : l'humour du canular de Jules Romain, l'humour de la chanson avec Charles Trenet, de la poésie avec Jacques Prévert. André Breton met au jour "l'humour noir" avec sa célèbre Anthologie. Le mot a trouvé la chose.

La question se pose maintenant de la dilution du concept en faisant un simple synonyme de "drôle", "plaisant", "comique" ou "risible", qui lui ferait perdre tout statut éthique ou spécificité esthétique. Il faut en effet rappeler que Hegel, dans L'Esthétique, a défini l'humour comme une "posture de l'existence".

L'humour est un phénomène complexe, et bien souvent les protagonistes sont incapables d'expliquer ce qui les a fait rire. C'est pourquoi nous allons examiner les principales caractéristiques de l'humour : la distanciation, la connivence et l'incongruité.

Comprendre les mécanismes de l'humour

1. La distanciation

L'humour se caractérise par la capacité à la distanciation. L'humour conduit à être spectateur du monde, de ses propres dires ou agissements. On ne peut rire de soi, d'autrui, d'une situation, que si l'on arrive à prendre du recul, à pratiquer une forme de détachement. On ne peut rire des choses, aussi graves soient-elles que si l'on feint de ne pas se sentir concerné. Cette distance doit rester volontaire et momentanée pour ne pas devenir de l'indifférence ou pire, de l'indécence.

L'humour, dans certains cas peut devenir un exutoire permettant de surmonter l'insupportable, on parle alors de "politesse du désespoir". L'humour permettrait de rire des choses pour ne pas en pleurer, comme l'humoriste Pierre Desproges qui plaisantait du cancer sur scène alors qu'il en était atteint... et qu'il en est mort.

L'humour, face au malheur, peut aussi être perçu comme un défi, c'est le cas du condamné à mort qui s'exclame sur la potence : "Eh bien! La semaine commence bien...". Cette attitude de défi est caractéristique de l'humour noir. L'humour noir permet de faire face au mauvais sort, et montre que l'on peut devenir plus fort que lui. L'humour noir est un mécanisme de courage.

2. La connivence

L'humour crée la connivence, mais paradoxalement, ne peut exister sans elle, c'est-à-dire sans le partage d'un référentiel commun.

Cette donne n'implique pas forcément que les interlocuteurs se connaissent, mais qu'ils aient un minimum de connaissances et de valeurs en commun, comme le montrent les spectacles où un humoriste se trouve face à une salle. Pour pouvoir basculer ensemble dans le monde ludique, il faut aussi la volonté, le désir commun de rire ensemble, de partager, pour un moment, le plaisir humoristique. La connivence est une condition préalable à la production, puis à la réussite d'un énoncé humoristique.

Dans l'humour, on se laisse guider par celui qui énonce la plaisanterie, d'autant plus dans les histoires longues, à suspense... mais on n'est pas dupe, on fait "comme si", en entrant dans un monde ludique fondé sur la complicité.

Si la connivence n'est pas là, la plaisanterie tombe à plat, le mot d'esprit n'est pas compris, l'humour n'est pas drôle et peut laisser des traces. Ainsi, la traditionnelle "mise en boîte" implique une certaine forme de connivence, avec une acceptation d'une dose d'agressivité, mais une dose seulement.

3. L'incongruité, comprendre le mécanisme de l'humour

L'incongruité est le ressort principal de l'humour. L'incongruité signifie la présence simultanée, ou très proche temporellement, d'éléments qui sont incompatibles ou contradictoires. Le rire ou le sourire sont provoqués par ce conflit entre ce qu'on attendait et ce qu'on rencontre effectivement. Les linguistes ont, pour leur part, identifié l'élément qui permet de révéler cette incongruité, c'est le "disjoncteur".

L'analyse de l'histoire drôle rapportée par Freud en 1905 dans Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient, permet de mieux comprendre le processus :

"Deux Juifs se rencontrent aux abords d'un établissement de bains

- "As-tu pris un bain?" demande le premier.

- "Pourquoi?" demande l'autre en retour. "Est-ce qu'il en manque un?""

Dans cette histoire, le disjoncteur est le verbe "manque". Il est l'élément qui fait passer du sens premier, littéral, sérieux ("se baigner"), à un second sens, inattendu, incongru ("dérober").

On passe avec le même terme d'un registre sérieux à un registre ludique. L'effet humoristique fonctionnera d'autant mieux qu'il y a cet effet de surprise, et que le second sens s'imposera avec rapidité à l'esprit de l'interlocuteur. Le disjoncteur permet donc de basculer d'un mode de communication sérieux à un mode de communication ludique.

Il y a violation du "principe de réalité" selon lequel, dans notre exemple, on ne peut pas dérober un bain et, d'autre part, par l'intervention d'une "logique interne", qui permet d'accepter qu'un bain soit quelque chose de transportable qu'on puisse dérober.

Le ressort humoristique relève d'une connivence entre les interlocuteurs. Dans le cas de l'exemple proposé, le simple fait de savoir que le narrateur (Freud) est juif permet de ne pas envisager l'humour antisémite.

L'humour a ses limites

Parfois, les bienfaits de l'humour trouvent aussi leurs limites. L'humour sarcastique par exemple, qui "défoule" et soulage à court terme, peut nuire à long terme à ceux qui en sont les cibles.

"Il devient de plus en plus difficile de plaisanter", nous rapportait récemment un cadre commercial, faisant allusion à la féminisation de ses équipes, qui écartait progressivement les plaisanteries de nature sexiste, traditionnellement porteuses de cohésion... entre hommes!

Eh oui, l'humour aux dépens des personnes évolue et ce qui était encore acceptable il y a quelques années - plaisanteries homophobes, racistes, machistes -ne passe tout simplement plus.

Certains le regrettent -certainement pas ceux ou celles qui en étaient victimes- comme le montrent les études pointant la souffrance des personnes cibles de ces plaisanteries souvent répétitives et vécues par tous comme anodines.

Il faut savoir que l'humour peut être requalifié de harcèlement avec les peines qui peuvent s'en suivre. Il existe déjà une abondante jurisprudence américaine concernant cette violation du droit (Equal Employment Opportunity Commission).

Les blagues sur les blondes, les gros, les homos, les arabes... ne font rire que ceux qui les font car, comme nous l'avons vu, l'une des conditions nécessaires à l'humour est "la connivence". Comme le disait le regretté Pierre Desproges :"On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui".

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