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Si j'étais policier, chroniqueur, journaliste, ou président d'une centrale syndicale...
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Si j'étais policier, je pourrais pointer mon jouet sur la vie qui palpite et la faire vaciller. Si j'étais policier à la retraite, je pourrais espérer que les fusils tirent deux coups à la fois, histoire d'emporter un visage au complet plutôt que de n'en brûler qu'une partie.

Si j'étais chroniqueur, je pourrais exhorter les policiers du SPVM à se comporter avec la même délicatesse que ceux du SPVQ. Si j'étais membre de la Fondation 1625, je pourrais poursuivre mes professeurs du primaire pour avoir osé m'attribuer de mauvaises notes, mes parents pour m'avoir fait si laid et la nature pour oser me mouiller un matin de printemps alors que j'ai oublié mon parapluie. Si j'étais recteur de l'UQAM, je pourrais prononcer des discours creux, arpenter la scène sous des projecteurs complices, micro à la boutonnière et en appeler à la collégialité avant de me tourner vers les injonctions. Si j'étais porte-parole du SPVM, je pourrais me croire à Hollywood et répéter ad nauseam le rôle de Goebbels devant un parterre de journalistes serviles assis en porte-voix.

D'ailleurs, si j'étais journaliste, je pourrais rapporter sans ciller des fables remplies de flèches magiques. Si j'étais péquiste, je pourrais mettre le feu aux voiles en parlant de laïcité, rendre la meute avide de rejet, la faire jouir bave aux lèvres à l'idée d'écraser sous ses semelles l'altérité. Si j'étais Pierre Karl Péladeau, je pourrais effacer mon passé du revers de la main, aiguiser encore la fibre identitaire, réveiller le serpent qui ne fait que sommeiller dans les cœurs meurtris. Si j'étais maire, je pourrais me dire Charlie quand cela me chante et autoriser sur mon territoire la liberté d'expression l'espace de quelques heures. Si j'étais ministre, je pourrais sans relâche repousser les limites du démantèlement, défaire une à une les pièces du fragile édifice qu'on appelait société, jusqu'à faire table rase dans un silence aux multiples échos.

Si j'étais président d'une centrale syndicale, je pourrais me lever un matin et écouter le doux son de ma voix parler au nom de tous, sans écouter personne, annoncer que nos canons ne sont pas chargés et que, quand bien même ils le seraient, nous ne les utiliserions pas puisque ce serait illégal, puisque la relance est si belle et qu'on est si bien, au bout du compte, sur un plateau de télévision. Si j'étais journaliste, je pourrais aussi réinventer le langage, soustraire un mot à son sens, l'écarteler, le clouer aux quatre coins avant de l'ouvrir de mon stylo et de le remplir d'une tonne de vide. La vieille grève deviendrait ainsi rutilant boycott que je n'aurais qu'à pousser doucement vers l'arène médiatique. J'oublierais répression, brutalité et droits civils pour ne plus parler que d'intimidation, d'itinéraire et de discernement policier. Si j'étais vedette virtuelle, je pourrais annoncer dès le mois de janvier que le printemps sera chaud, que je serai dans la rue, puis me taire, rester chez moi et détourner mon regard une fois le printemps devenu rouge sang.

Mais je ne suis que femme, chargée de cours, écrivaine de surcroît, précaire de la vie et donc passible de poursuites parce que, tout de même, on ne peut laisser n'importe qui écrire ni dire n'importe quoi; sinon, c'est le chaos; sinon, c'est l'anarchie.

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