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Chroniques d'un État policier

Quelques journalistes ont parlé de confusion dans les déclarations policières, mais lequel a demandé des comptes au SPVM au lendemain de la descente dans les rues des partisans du Canadien? Le roi était pourtant nu : jamais le mandat politique du règlement P6 n'avait été aussi clairement visible.
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Avez-vous senti ces derniers mois un changement dans l'atmosphère montréalaise? Avez-vous eu l'impression que quelque chose se passait, que les journalistes pointaient du doigt des dérives autoritaires dans la métropole? Non? C'est tout à fait normal. L'État policier a pris tranquillement ses marques sans soulever les passions.

Durant le printemps 2012, Monsieur et Madame Tout-le-monde ont pu voir les preuves irréfutables de la violence policière. Des étudiants ont été blessés, deux d'entre eux ont perdu un œil, alors qu'une autre a vu sa bouche défoncée par une balle de plastique. Ce ne sont que de tristes exemples des centaines de cas qui ont été documentés, filmés, etc. De nombreux organismes ont demandé l'ouverture d'une enquête publique sur les agissements des différents corps de police, avec le résultat que l'on sait : un cirque médiatique, un ballon de baudruche.

À la fin de ce même printemps, nous avons changé de gouvernement. Le peuple a envoyé paître les libéraux en mettant au pouvoir une Pauline Marois dont on se rappellera avec quelle énergie elle avait frappé de la casserole avant de souffrir d'amnésie quelques mois plus tard.

La suite, on la connaît. Le SPVM a appliqué durant toute l'année 2013 le règlement municipal P6 quand et comme bon lui semblait. Les arrestations de masse se sont succédé malgré leur condamnation dès 2005 par un rapport de l'ONU, qui s'inquiétait de l'utilisation d'un tel procédé à des fins politiques à Montréal.

Depuis, nous avons assisté le 15 mars à la fermeture du métro et des rues dans un large périmètre autour du «départ» de la manifestation annuelle contre la brutalité policière organisée par le COBP. Cette journée a été marquée par une arrestation de masse, de violentes rafles dans le quartier, l'intimidation des personnes qui ont tenté de soutenir les arrêtés, le maintien à distance des journalistes et, au final, un véritable gaspillage des deniers publics avec la présence de centaines de policiers du SPVM à cheval, à vélo, à pied, en voiture et même de ceux de la SQ pour entourer une centaine de manifestants. Sans parler du recours à l'hélicoptère qui survole à présent Montréal pendant des heures au moindre rassemblement.

Le 3 avril, à la fin de la manifestation appelée par l'ASSÉ contre l'austérité, les policiers ont brutalement chargé les manifestants, blessant grièvement un homme de 71 ans. Alors que, sur Twitter, le SPVM annonçait que d'autres manifestants étaient responsables de l'événement, les photos de l'homme au visage ensanglanté faisaient le tour des réseaux sociaux, suivies par des vidéos montrant clairement qu'un cordon de policiers avait sciemment projeté l'homme à terre. Interpellé sur Twitter, sommé de se rétracter, le SPVM n'a jamais publié de communiqué pour revenir sur sa déclaration mensongère.

Le 22 avril dernier, le juge Starck déboutait un groupe de manifestants arrêtés le 15 mars 2011 en rejetant leur contestation de la validité de l'article 500.1 du Code de la sécurité routière. Le juge Starck a conclu que l'article en question représentait «une limite raisonnable dans une société libre et démocratique». Il ajoutait ainsi quelques zéros au chèque que le ministre de la Sécurité publique et l'administration montréalaise avaient déjà signé au SPVM.

Le hasard a voulu que le même soir, soit le 22 avril, se tienne à Montréal un match des Canadiens. Avec à l'esprit l'émeute qui avait suivi en juin 1993 la victoire de la coupe Stanley, plusieurs ont demandé au SPVM quelle serait son attitude si une manifestation se produisait après la partie. Résultat : un cafouillage en deux temps, avec une déclaration de Laurent Gingras à la Presse Canadienne, «Les gens ne pourraient pas manifester ce soir, parce qu'on n'aurait pas reçu un trajet au préalable. Donc, ils le feraient dans l'illégalité. Les gens s'exposeraient à des accusations» ; déclaration contredite dans la soirée sur le compte Twitter du SPVM, «Contrairement à info qui circule, P6 ne s'appliquerait pas si rassemblement».

Quelques journalistes ont parlé de confusion dans les déclarations policières, mais lequel a demandé des comptes au SPVM au lendemain de la descente dans les rues des partisans du Canadien? Le roi était pourtant nu : jamais le mandat politique du règlement P6 n'avait été aussi clairement visible.

Le SPVM a donc pu poursuivre son bonhomme de chemin, fort de la myopie des médias sur la manifestation du 15 mars, de la confirmation juridique de 500.1 et de la cécité journalistique sur la soirée de hockey du 22 avril. À noter, comme le souligne très bien Marc-André Cyr dans un article récent (1), lorsque que les médias mentionnent la répression, ils le font en jouant sur les mots et en transformant cette dernière en «interpellation». Et c'est exactement ce qu'exige l'instauration d'un État policier : une forte répression, suivie d'un silence des médias, auquel peut succéder en toute impunité une répression encore accrue.

Pour finir, je vous épargnerai les détails sur ce qui s'est passé jeudi soir. Vous avez pu comme moi voir les images de l'imposante présence policière, du recours à la SQ, des souricières, des arrestations brutales, des blessés qui ont dû être conduits à l'hôpital, etc. Non, vous ne les avez pas vues? Vous avez entendu parler de la manifestation du 1er Mai tout de même? Vous savez pourquoi le 1er Mai des millions de personnes descendent dans les rues à travers le monde? Oui, vous le savez, assurément, excusez-moi. Ah, mais c'est vrai, vous avez raison, j'avais oublié que c'était soir de hockey. Et puis, vous commencez à être fatigués de ces images de manifestations, toujours un peu les mêmes au fond, non? Je vous comprends. Voilà qui est tout naturel. Vous avez tranquillement glissé dans cet état d'indifférence, de distraction, aidés par toutes les personnes qui s'évertuent à vous faire regarder dans la bonne direction, à fermer votre oreille à certains sons. Vous avez tranquillement glissé dans un État policier.

(1) «La répression de la répression», Marc-André Cyr, Voir, 28 avril 2014.

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