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Produit brut: Keynes contre Jean-Baptiste Say

Le Bureau d'analyse économique et le Département de commerce ont annoncé qu'ils commenceraient à calculer de nouvelles statistiques sur les comptes nationaux aux États-Unis.
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À la fin d'avril dernier, le Bureau d'analyse économique (BEA) et le Département de commerce ont annoncé qu'ils commenceraient à calculer de nouvelles statistiques sur les comptes nationaux aux États-Unis. Après le produit intérieur brut (PIB), le BEA calculera aussi le produit brut (gross output ou GO). Cette annonce s'est faite sans tambour ni trompette et a été largement ignorée. C'est dommage, mais un tel oubli est commun dans la presse financière du pays. Surtout quand on comprend que le GO représente une avancée significative.

Une brève analyse de l'histoire de la pensée économique nous montre d'ailleurs qu'il est très important. L'École classique s'étend de La richesse des nations d'Adam Smith (1776) jusqu'à environ la moitié du XIXe siècle et se concentrait sur le côté de l'offre de l'économie. La production y était vue comme le tremplin de la prospérité. L'économiste français Jean-Baptiste Say (1767-1832) fut l'un des membres les plus estimés de l'École classique. À ce jour, il est mieux connu pour la loi de Say des marchés. Dans le langage populaire - gracieuseté de John Maynard Keynes -, la loi dit simplement que « l'offre crée sa propre demande. Mais selon Steve Kates, un des plus grands experts mondiaux sur Say, l'interprétation par Keynes de la loi de Say change complètement le sens de cette dernière et coupe le cœur du message au montage.

Le message de Say était clair : une baisse importante de la demande ne pouvait pas causer de récession. Ce message fut accepté par à peu près tous les économistes influents avant la publication de la Théorie générale de Keynes en 1936. Avant ce livre, même si les économistes voyaient souvent l'apparition de cycles économiques, une baisse importante de la demande ne faisait pas partie des raisons d'un creux économique.

Keynes a chambardé les mentalités. Il a transformé Say en homme de paille, affirme Kates, afin que les idées de Say puissent disparaitre du discours économique et de la mentalité populaire. Keynes a agi de la sorte parce que toute sa théorie repose sur l'analyse d'une baisse importante de la demande et sur sa prescription pour revigorer la demande agrégée, soit un plan de relance (lire : une baisse d'impôts et/ou une hausse des dépenses publiques).

Le succès de Keynes ne se dément pas. Avec la publication de sa Théorie générale, l'économie de l'offre a presque entièrement disparu. Elle a été remplacée par la demande agrégée, qui fut fidèlement calculée dans les comptes économiques nationaux. Par conséquent, la demande agrégée domine les politiques et le discours économique depuis ce temps.

Ensuite vint la révolution de l'économie de l'offre dans les années 80, grâce à des personnes comme le Prix Nobel Robert Mundell. Cette révolution doit une fière chandelle au Wall Street Journal, où JB Say y ressuscita tel un phénix. L'éditeur du Journal (maintenant décédé) Robert Bartley se rappelle de la centralité de Say dans son livre The Seven Fat Year: And How to Do It Again (1992). « Je me rappelle que Art Laffer m'incitait à connaitre la loi de Say. "C'est ce en quoi je crois, confiait-il. C'est ce en quoi tu crois" ».

Il est intéressant de mentionner que le massacre de Say par Keynes a été largement ignoré par plusieurs économistes qui tentaient d'anticiper le cours de l'économie. Pour eux, le côté de l'offre a toujours été minutieusement observé. Par exemple, les principaux indicateurs économiques du Conference Board pour l'économie des États-Unis concernent surtout le côté de l'offre. La fonction d'analyse de la chaine d'approvisionnement (SPLC) de Bloomberg est un autre outil montrant ce à quoi les économistes pensent quand ils effectuent leurs analyses économiques et financières.

Mais quand on parle du débat public et des politiques publiques, rien ne vaut les données officielles. Jusqu'à maintenant, les données sur le PIB du côté de la demande produites par le gouvernement ont dominé le discours. Avec le GO, le PIB perd son monopole, car le gouvernement des États-Unis va désormais offrir des données du côté de l'offre. Le GO complémentera les données traditionnelles du PIB plutôt que de les supplanter. Cela dit, elle améliorera notre compréhension des cycles économiques et aussi la qualité du discours sur les politiques économiques.

Alors, de quoi la mesure conventionnelle du PIB et la nouvelle mesure du GO sont-elles composées ? Qu'en est-il de la dépense domestique brute (GDE), une proche cousine plus détaillée du GO? Voyez ici et ici une réponse (dans l'ordre des questions posées) à ces deux questions. Pour les personnes plus visuelles, voyez leurs composantes ici et ici (toujours dans l'ordre des questions posées) dans des diagrammes à barres.

C'est maintenant officiel : les données sur l'offre (GO) et la demande (PIB) sont maintenant compilées par le gouvernement des États-Unis. Comment s'est produite cette contre-révolution? Plusieurs y ont participé, mais un se distingue : Mark Skousen de l'Université Chapman. Son livre, The Structure of Production, publié pour la première fois en 1990, sortait l'artillerie lourde pour défendre son plaidoyer. En effet, c'est Skousen qui est en partie responsable de cette volonté du gouvernement d'offrir un portrait plus clair et détaillé de l'économie avec le GO. C'est d'ailleurs lui le seul à calculer la GDE.

Ces changements sont gigantesques, conceptuellement et numériquement. En effet, le GO était 76,4 % plus grand que le PIB et la GDE, 120,4 %. Pourquoi? Parce que le PIB ne calcule que la valeur des biens et services finaux dans l'économie. Le PIB ignore complètement les étapes intermédiaires requises pour produire le PIB. Le GO corrige la plupart de ces omissions, et la GDE pousse les choses encore plus loin en étant plus exhaustive que le GO.

Contrairement à ce que les livres d'économie standards nous ont enseigné et ce que les commentateurs nous répètent ad nauseam, la consommation n'est pas l'éléphant dans la salle. Cet éléphant, c'est plutôt les dépenses des entreprises.

Ce texte est signé par Steve Hanke, professeur d'économie appliquée à l'Université John Hopkins de Baltimore au Maryland.

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