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Individualité et communauté

Face au délitement de nos institutions démocratiques, il devient urgent de réfléchir à leur refondation. Face à la corruption endémique, à la croissance des inégalités, aux injustices sociales de plus en plus grandes, il devient urgent de repenser la solidarité entre tous au sein de notre communauté.
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Face au délitement de nos institutions démocratiques, il devient urgent de réfléchir à leur refondation. Face à la corruption endémique, à la croissance des inégalités, aux injustices sociales de plus en plus grandes, il devient urgent de repenser la solidarité entre tous au sein de notre communauté.

Ces réflexions traversent deux ouvrages récemment parus: Liberté, égalité, solidarité: Refonder la démocratie et la justice sociale de Christian Nadeau, professeur de philosophie à l'Université de Montréal et Démocratie des urnes et démocratie de la rue: Regard sur la société et la politique de Jean-Marc Piotte, professeur émérite de science politique à l'UQÀM. Les deux auteurs, d'ailleurs, réfèrent à ces notions fondatrices de la gauche politique - liberté individuelle, égalité individuelle et solidarité entre tous, pour tous. Plus spécifiquement, ils cherchent à refonder le projet de la gauche au Québec.

La gauche, projet utopique de désœuvrés, ironise Christian Nadeau d'entrée de jeu : «tout juste bonne à éblouir quelques troupeaux de jeunes naïfs ou à conforter les vues d'ancêtres gâteux et agités du bocal» (p.9). C'est dans l'optique de cette refondation de la gauche que les deux auteurs nous invitent à penser le lien social avec plus de profondeur et de perspective que les clivages habituels. Bien plus, ils mettent tous les deux de l'avant l'importance de la liberté individuelle indissociable de la solidarité dans leur projet politique - laquelle revendication de liberté semble être devenue le monopole de la droite qui diabolise une gauche qui serait liberticide par sa soi-disant obsession du rôle prépondérant de l'État.

Car fondamentalement, les deux auteurs en appellent au réinvestissement des institutions de délibération qui garantissent à la fois la liberté et l'égalité de tous les citoyens. La thèse de Nadeau peut se résumer ainsi: une société juste présuppose l'égalité et la liberté individuelles. La solidarité sociale et politique est le principe qui «permet la convergence des deux premiers et donne ainsi son sens réel à la gauche» (p.25). Le moyen cardinal pour assurer cette solidarité réside dans un ensemble d'institutions publiques, étatiques, mais aussi privées ou intermédiaires, qui permettent une véritable délibération démocratique et assure qu'aucun groupe ou individu n'ait ni pouvoir ni influence démesurée dans la conduite de la chose publique.

Or, il existe un «gouffre grandissant» entre les mouvements sociaux et les institutions de l'État - «élément essentiel pour comprendre les dynamiques sociales au Québec» (p.158) - lequel écart doit être comblé par un investissement des institutions par les citoyens: «Il s'agit dès lors d'investir les institutions afin qu'elles soient à notre service, et d'éviter ainsi qu'elles ou leurs représentants s'octroient des pouvoirs au-delà de leurs fonctions» (p.159). Il s'agit de contrer non seulement de contrer le détournement des institutions étatiques qui devraient être au service du bien public, mais aussi de limiter l'influence indue des lobbies et de raffermir les «corps intermédiaires», ces institutions plus ou moins formelles (par ex.: syndicats, groupes communautaires) qui sont aussi des lieux de délibération (pp.131-153).

Pourquoi l'égalité, la liberté et la solidarité sont souhaitables et essentielles à l'édification d'une société juste? Parce qu'elles permettent la promotion d'un idéal du vivre-ensemble basé sur la coopération qui offre à tous «des conditions de développement personnel» (p.125), appuyé sur une conception de la justice sociale comme moyen de défense et de promotion des «libertés individuelles, en leur offrant des garanties structurelles et institutionnelles» (p.63).

Autrement dit, le projet de la gauche devrait viser, autant pour Nadeau que pour Piotte, une société juste qui offre à tous les citoyens la possibilité de développer leur plein potentiel et de vivre une vie à la hauteur de leurs aspirations légitimes.

La droite, particulièrement au Québec, diabolise souvent le projet de la gauche comme liberticide, une vision du lien social qui gommerait les différences individuelles et la liberté qui en permet autant l'expression que le développement. Or, c'est confondre individualisme et individualité; c'est confondre égoïsme et épanouissement personnel. Jean-Marc Piotte reprend à son compte l'important passage du De la Démocratie en Amérique de Tocqueville (1835-1840; livre II, 2e partie, chapitre 2): l'individualisme «est la principale maladie de l'homme moderne qui ne songe qu'à soi ou à ses proches, s'affranchissant de tout devoir de solidarité envers la société et l'humanité. L'individualiste poursuit ses intérêts privés, dissociés du bien public», rappelle Piotte (p.23). Christian Nadeau précise: le projet moderne de la solidarité «respecte les individualités, et même leur accorde une valeur de premier ordre, puisque l'interdépendance présuppose une différenciation» (p.51).

À cet égard, les ouvrages de Nadeau et Piotte sont importants: ils posent les bases d'un dialogue collectif sur l'importance de refonder le lien de solidarité politique au Québec qui passe, entre autres, par le rehaussement de l'efficacité de nos institutions pour assurer une meilleure délibération et, à terme, une société plus juste. Si Piotte ne croit plus au «Grand Soir» révolutionnaire, il en appelle cependant à suivre la voie de la réforme de notre vie politique (p.110). Dans les deux cas, pour assurer le libre développement de nos aspirations individuelles au cœur d'une véritable liberté politique.

L'ouvrage de Jean-Marc Piotte, plus intime et personnel que celui de Nadeau - un assemblage impressionniste de réflexions sur la société québécoise actuelle. En revanche, celui de Christian Nadeau loge à l'enseigne de la pédagogie - dans le sens le plus noble du terme: accessible à un large public, cohérent, clair et offrant à la fois des outils théoriques et des réflexions pragmatiques sur l'avenir de notre démocratie.

Il est toujours injuste de reprocher à un auteur d'avoir passé sous silence des questions qu'il ne désirait pas traiter. À ce titre, j'aurais aimé lire des réflexions sur un problème qui me paraît important lorsqu'on traite de justice sociale et d'inégalités: celui de la «fracture numérique». Si les auteurs s'inquiètent des graves problèmes de littératie «classique» touchant la moitié des Québécois - obstacle majeur au développement d'une société juste et solidaire -, ils n'offrent pas de réflexion sur un autre illettrisme, celui du numérique. L'accès à la maîtrise des outils du web et des médias sociaux constitue à la fois une nouvelle division sociale importante et, je crois, une nouvelle voie pour le renouvellement de la délibération démocratique. De nouvelles possibilités de tisser des liens de solidarité, en somme. Cela étant dit, le livre de Christian Nadeau offre au lecteur les outils conceptuels qui permettent de réfléchir à cette question.

Les livres de Christian Nadeau et de Jean-Marc Piotte sont des contributions importantes non seulement au renouveau du projet politique de la gauche au Québec ,mais aussi, et c'est là de première importance, d'alimenter le dialogue démocratique pour tous les Québécois, de gauche comme de droite.

Liberté, égalité, solidarité: Refonder la démocratie et la justice sociale, de Christian Nadeau (Boréal, 2013, 263 p., ISBN 978-2-7646-2283-4, 25,95$).

Démocratie des urnes et démocratie de la rue: Regard sur la société et la politique, de Jean-Marc Piotte (Québec Amérique, 2013, 153 p., ISBN 978-2-7644-2509-1, 24,95$).

Dans cette chronique, Ianik Marcil propose la recension critique d'essais de sciences humaines et sociales ou de philosophie pour mieux nous aider à décoder notre monde et ses défis - et réfléchir aux solutions qui s'offrent à nous.

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