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L'épopée guerrière de Harper: entrevue avec Noah Richler

À l'origine des Casques bleus de l'ONU, sous Pearson, le Canada est passé en un temps record d'un pays pacificateur à une nation guerrière. «, écrit Noah Richler dans son dernier ouvrage,». Comment cela a-t-il pu se produire?
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À l'origine des Casques bleus de l'ONU, sous Pearson, le Canada est passé en un temps record d'un pays pacificateur à une nation guerrière. «Le changement, écrit Noah Richler dans son dernier ouvrage, s'est effectué entre 2001 et 2006, années décisives, et sans qu'un seul Canadien ait perdu la vie en sol canadien à cause d'un acte terrorisme, autrement dit sans catalyseur» (p.43). Comment cela a-t-il pu se produire?

Il a fallu, explique l'auteur dans De la fleur au fusil: le Canada s'en va-t-en guerre, que le Parti conservateur, appuyé de militaires, d'universitaires et de faiseurs d'opinions instaure une nouvelle narration. La narration guerrière est celle de l'épopée, ce récit manichéen au cœur duquel s'opposent les méchants et les héros, le bien et le mal, le vrai et le faux. En moins de dix ans, la droite au Canada a balayé l'ancien récit, romanesque, celui-là, pour imposer cette vision du monde justifiant, notamment, les interventions de l'Armée canadienne en Afghanistan. Alors que les derniers militaires qui y sont déployés reviendront au pays d'ici la fin mars, la lecture de cet important et passionnant ouvrage me paraît essentielle.

Il s'agit de l'œuvre d'un littéraire - d'un passionné de littérature et d'histoire doublé d'un intellectuel engagé - et non d'un analyste patenté des relations internationales ou de la chose militaire. C'est la raison pour laquelle son analyse repose avant tout sur l'analyse narrative que sur la théorie politique, ce qui ne l'empêche pas d'être abondamment documentée. L'essayiste et journaliste y va d'une charge à fond de train contre cette narration belliqueuse qui s'appuie sur l'épopée et plaide pour le retour d'un récit romanesque, plus complexe et beaucoup plus exigeant pour le citoyen. La lecture d'un roman, m'a-t-il expliqué lorsque je l'ai rencontré il y a quelques semaines à Montréal, présuppose une certaine dose d'empathie: on doit se projeter dans une autre réalité géographique, sociologique ou temporelle pour comprendre ce que vivent les personnages. La complexité de leur vie, de leur passé, de leur psyché fait appel à la générosité et à la patience du lecteur. Il en va de même dans les relations internationales: comprendre les souffrances de l'Autre requiert un investissement important. «Il y a un saut imaginaire dans l'écriture et la lecture d'un roman, précise Richler en entrevue : on doit se demander ce que c'est que la vie pour d'autres dans un autre pays, dans un autre temps comment souffrent-ils à l'époque où nous nous trouvons. Mais je ne sais pas ce qui est requis pour recommencer à penser avec cette générosité d'esprit et ces instincts supérieurs - I'm sorry to be so moral

C'est en effet une vision profondément morale qu'appelle l'auteur dans son ouvrage. Il souhaite le retour d'un Canada plus moral, qui propose à la communauté internationale quelque chose de fondamentalement différent, comme cela était le cas de l'héritage de Pearson:

Au Canada, pays de la réflexion romanesque, rien n'empêche de donner à la force de conviction qui a servi à restaurer nos forces armées une forme plus progressiste qui tienne compte des nouvelles exigences de l'époque et fasse du Canada un exemple pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres. Un monde dans lequel il n'y a pas que des héros et des monstres est plus complexe, certes, mais les gens qui y vivent, en raison des récits qu'ils font et des institutions auxquelles leurs narrations donnent naissance, ont la possibilité de bâtir des ponts plutôt que de creuser des abîmes. (p. 336-337)

A contrario, la vision de Harper et d'une large part de la droite canadienne, en se réfugiant dans une narration épique glorifie les héros en uniforme autant que la monarchie, ne carbure que sur l'intérêt, croyant que cela bénéficiera au Canada. On en appelle sentiment individualiste des Canadiens, qui veulent en avoir pour leur argent: les missions de paix sont présentées comme coûteuses et inutiles alors que la défense des intérêts économiques et géopolitiques du Canada, autant que sa contribution sont exaltées. «C'est un mensonge de faire croire comme le fait Harper qu'on nous regarde mieux ailleurs dans le monde parce qu'on a envoyé des forces en Afghanistan, affirme-t-il en entrevue - personne ne parle des Canadiens, comme d'habitude. On a une toute petite armée, presque insignifiante. Ils nous écoutaient quand on proposait des choses différentes.»

style=Moraliser les relations internationales?

Sous la direction de deux spécialistes des questions géopolitiques et de la guerre, Ryoa Chung, professeure au département de philosophie de l'Université de Montréal, et Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, enseignant en droit de la guerre à Sciences Po Paris, les Presses universitaires de France publient une importante synthèse des réflexions philosophiques et juridiques sur l'éthique des relations internationales - une première dans le monde francophone.

L'ouvrage couvre tant les considérations théoriques de la question que ces conséquences pratiques, dans un grand nombre de sphères. Au cœur des interrogations et des recherches des auteurs: dans un monde globalisé et interdépendant, comment évaluer moralement les interrelations humaines à l'échelle de la planète, à tous niveaux? D'entrée de jeu, les directeurs de l'ouvrage affirment que la question morale est au cœur des réflexions récentes des spécialistes des relations internationales. Des opérations de la paix à l'action des multinationales pour lesquelles les frontières n'existent plus, l'interrogation éthique est devenue centrale.

Qui plus est, dans ce contexte où la souveraineté nationale s'étiole de plus en plus - et, donc, la valeur même du pouvoir politique - comment peut-on concilier l'appartenance à une humanité universelle à la liberté nationale? Comment réfléchir aux institutions nationales et à leurs liens avec des organisations supranationales et internationales? Voilà une multitude de réflexions qui touchent autant les questions militaires et diplomatiques (la première partie du livre s'y consacre) que l'action humanitaire (Fabrice Weissman), la transition politique de régimes guerriers ou dictatoriaux vers la démocratie (Christian Nadeau et Julie Saada), l'éthique des affaires (Pierre-Yves Néron et Wayne Norman), l'environnement (Hicham-Stéphane Afeissa) ou les questions de santé (Daniel Weinstock), pour ne nommer que certains volets couverts par cette somme. Un ouvrage de référence majeur qui intéressera quiconque curieux ou inquiet du développement accéléré de notre planète. Un ouvrage universitaire destiné à être un manuel pour les étudiants, mais très accessible et fécond de réflexions on ne peut plus contemporaines et urgentes.

Éthique des relations internationales: problématiques contemporaines, sous la direction de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer et Ryoa Chung (Presses universitaires de France, 2013, 475 p., ISBN 978-2-13-059112-2, 56,95$).

Pour Richler, on en appelle, dans ce contexte, qu'au contribuable, au payeur de taxes, et non plus au citoyen. L'idée même de citoyenneté est au cœur de son ouvrage, laquelle citoyenneté repose sur l'empathie et la solidarité; sur une narration romanesque. À cet égard, Richler considère que le Québec est une société distincte, davantage «polyphonique» que le R.O.C. Même le projet de Charte des valeurs, qui participe d'une narration épique et individualiste, «est le résultat plus récent d'une longue tendance à se demander ce qu'est être citoyen» au Québec. Il y aurait donc un point de tension entre ce débat identitaire et l'ouverture vers l'autre. D'ailleurs, l'auteur fait appel à de nombreuses œuvres littéraires québécoises (Roger Lemelin, Gabrielle Roy, Jean-Jules Richard) pour montrer que dans nombre de romans québécois le héros est un «voyageur qui se promène partout sur le contient nord-américain avant de retourner chez lui. Il fait ça comme si tout le continent lui appartenait encore. And I like that

Ce héros romanesque - contrairement à celui de l'épopée - embrasse la complexité de la réalité des autres, y compris au cœur de la guerre: «l'ennemi n'est pas aussi distant qu'on l'imaginait. Sous l'uniforme du monstre, il est essentiellement semblable à nous. Il est lié par les lois universelles de notre humanité commune» (p.176). L'auteur en appelle donc au retour à cette narration exigeante - laquelle, pour lui (c'est l'objet du dernier chapitre de son livre), passe par la mise en place d'un régiment d'opérations de la paix, d'une institution d'enseignement supérieur dédiée à la question et d'un service national volontaire destiné à réunir des forces civiles.

La vision singulière de Noah Richler est importante et essentielle. En puisant dans l'analyse littéraire pour nous faire comprendre les enjeux guerriers de l'histoire récente du Canada, il offre une vision riche et complexe de la politique canadienne, de l'idée de citoyenneté dans un monde globalisé et de la nécessaire solidarité internationale.

De la fleur au fusil: le Canada s'en va-t-en guerre, de Noah Richler traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné (Boréal, 2013, 386 p., ISBN 978-2-7609-1217-5, 29,95$).

Dans cette chronique, Ianik Marcil propose la recension critique d'essais de sciences humaines et sociales ou de philosophie pour mieux nous aider à décoder notre monde et ses défis - et réfléchir aux solutions qui s'offrent à nous.

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