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Affaire Mike Ward: les pendules à l'heure

Mike Ward, prends-tu les Québécois pour des valises?
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J'ai toujours défendu la liberté d'expression et je tenais à connaître les motifs qui avaient amené le juge Scott Hughes à conclure, dans l'affaire Ward, que la discrimination, dont Jérémy Gabriel avait été victime, était injustifiée, Mike Ward ayant «outrepassé les limites de ce qu'une personne raisonnable doit tolérer au nom de la liberté d'expression».

Le juge Hughes fait d'abord état des principes élaborés par les tribunaux, dont la Cour suprême, sur la liberté d'expression. Je résume ici quelques-uns de ces principes :

• Les Chartes des droits protègent la liberté d'expression pour que chacun puisse manifester ses pensées, ses opinions, ses croyances, toutes les «expressions du cœur ou de l'esprit, aussi impopulaires, déplaisantes ou contestataires soient-elles» ;

• «L'humour permet de tenir des propos dénigrants ou blessants susceptibles de porter atteinte à la dignité des membres d'un groupe protégé ; les formes d'humour, au détriment d'autres personnes, peuvent être dénigrantes et mêmes répugnantes. Des blagues, des railleries ou des injures, qui rabaissent un groupe minoritaire ou qui portent atteinte à sa dignité par des blagues, peuvent être blessantes». (Jugement Whatcott de la Cour suprême (2013, RCS, 2011)

Ces principes me rassurent et il me semble qu'ils sont de nature à rassurer les humoristes puisqu'un grand «terrain de jeu» leur appartient.

Après avoir fait référence à ces principes, le juge Hughes mentionne que l'affaire Ward s'en distingue «du fait que les propos discriminatoires de monsieur Ward ne visaient pas un groupe mais une personne en particulier». Il indique que la question, sur laquelle il doit se prononcer, est de déterminer «si la liberté d'expression protégée par la Charte permet de faire des blagues discriminatoires en lien avec le handicap d'une personne nommément identifiée».

Le juge Hughes précise que monsieur Ward a dit, dans son témoignage, que le rire du public lui servait de balise, que son objectif est de faire rire, mais aussi de briser des tabous. Pour lui, rire d'une personne ayant un handicap, c'est lui faire une place et ne pas la prendre en pitié. Le juge Hughes reconnaît que l'humour peut avoir des vertus inclusives, mais il ajoute que l'humour ne peut «servir de prétexte, de paravent ou de justification à une conduite discriminatoire». Le juge mentionne que des propos inacceptables en privé ne deviennent pas automatiquement licites du fait d'être prononcés par un humoriste dans la sphère publique.

Certaines personnes, dans le débat actuel, donnent à la décision du juge Hughes une portée qu'elle n'a pas, en affirmant que les tribunaux vont dicter aux humoristes ce qu'ils ne doivent pas dire.

Il indique que Jérémy a été pris pour cible par monsieur Ward, sans jamais y avoir consenti, le consentement constituant «la différence importante avec la situation de monsieur Dave Richer, dont a fait mention monsieur Ward dans son témoignage». Le juge Hughes conclut que les blagues de monsieur Ward ont outrepassé les limites de ce qu'une personne raisonnable doit tolérer au nom de la liberté d'expression et que la discrimination dont Jérémy a été victime est injustifiée.

Je rappelle la question étudiée par le juge : «la liberté d'expression protégée par la Charte permet-elle de faire des blagues discriminatoires en lien avec le handicap d'une personne nommément identifiée?» Ce que le juge dit, c'est que les humoristes ne doivent pas faire de discrimination. Certaines personnes, dans le débat actuel, donnent à la décision du juge Hughes une portée qu'elle n'a pas, en affirmant que les tribunaux vont dicter aux humoristes ce qu'ils ne doivent pas dire. Si c'était le cas, je serais prête à me battre pour que la liberté artistique des humoristes ne soit pas brimée, mais je ne monterai pas aux barricades pour appuyer les humoristes qui voudraient pouvoir, au nom de la liberté d'expression, faire des blagues discriminatoires liées au handicap d'un adolescent nommément identifié.

Voici un extrait du témoignage de Mike Ward relatif à ses blagues sur Jérémy : «Cinq ans plus tard, y'est pas encore mort! je l'ai croisé dans un Club Piscine et essayé de le noyer pour finalement constater qu'y est pas tuable», pour ensuite résumer ensuite la maladie de Jérémy en disant «Y'est lette!».

Mike Ward a affirmé que ses blagues sur Jérémy avaient pour but de briser des tabous et de faire une place à une personne qui a un handicap, de ne pas la prendre en pitié. Ces blagues auraient pour but de faire une place à une personne qui a un handicap? L'expression populaire qui me vient à l'esprit est : «Mike Ward, prends-tu les Québécois pour des valises?»

Plusieurs humoristes reprochent à Jérémy Gabriel de ne pas avoir plutôt intenté une action en dommages et intérêts contre Mike Ward : en entrevue à Radio-Canada le 30 juillet 2016, Gilbert Rozon a répété cela. Quel argument fallacieux! Les humoristes, ça suffit! Toute personne est libre de prendre le recours qui lui semble le plus approprié. Quant à moi, il est louable qu'une personne décide de défendre un principe, et le recours choisi par Jérémy démontre que, contrairement à ce qu'a dit Mike Ward dans son témoignage, il ne s'agissait pas pour Jérémy d'une question d'argent.

La cause se rendra très probablement en Cour suprême et c'est avec grande attention que je lirai les décisions à venir. Le recours de Jérémy va permettre d'établir si une personne handicapée, nommément identifiée par un humoriste et sans son consentement, doit tolérer d'être victime de discrimination au nom de la liberté d'expression.

En attendant, n'y aurait-il pas lieu qu'un humoriste (au moins) tende une perche à Jérémy Gabriel? Je crois que ce jeune homme de 19 ans a le sens de l'humour. En juin dernier, j'ai eu l'occasion de le voir jouer dans une pièce de théâtre (pas un spectacle d'humour) et je peux vous dire qu'il est un excellent comédien.

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Quelques précisions utiles sur l'affaire Mike Ward – Huguette Gagnon

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Mai 2017

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