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Affaire Mike Ward: des éclairages sur la permission d'appeler

Lorsqu'un juge de la Cour d'appel se prononce sur une permission d'appeler, cela ne signifie pas que le requérant, dans ce cas-ci Mike Ward, a des chances d'obtenir gain de cause en appel.
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Tôt hier matin, j'ai été surprise quand j'ai entendu une journaliste de RDI dire que la demande de permission d'appeler de Mike Ward, qui devait être présentée plus tard dans la journée, concernait une action en diffamation. Cette information est erronée.

L'action intentée par la Commission des droits de la personne contre Mike Ward n'est pas une action en diffamation. Elle est basée sur les articles 4 et 10 de la Charte québécoise des droits et libertés. Sur la base de ces articles, la Commission a soumis que Mike Ward avait porté atteinte aux droits de Jérémy Gabriel et de ses parents à la sauvegarde de leur dignité, de leur honneur et de leur réputation, sans discrimination fondée sur le handicap ou l'état civil.

Plus tard hier, l'honorable juge Manon Savard a accordé à l'humoriste la permission d'appeler du jugement du Tribunal des droits de la personne qui l'a condamné à verser des dommages-intérêts à Jérémy Gabriel ainsi qu'à sa mère. Suite à ce jugement, j'ai entendu des commentaires de personnes qui semblent penser que Mike Ward a eu gain de cause dans la contestation de sa condamnation, ce qui n'est pas le cas.

Lorsqu'un juge de la Cour d'appel se prononce sur une permission d'appeler, cela ne signifie pas que le requérant, dans ce cas-ci Mike Ward, a des chances d'obtenir gain de cause en appel. D'ailleurs, le juge Savard le mentionne : « Sans m'exprimer sur les chances de succès, j'estime que l'affaire soulève des questions qui méritent l'attention de la cour ».

La permission d'appeler ayant été accordée, trois juges de la Cour d'appel se prononceront sur le recours en appel de Mike Ward. Ceux-ci ratifieront ou réviseront le jugement du juge Scott Hughes. Les trois juges étudieront le dossier entendu par le juge Hughes pour déterminer si celui-ci a commis des erreurs de droit ou de faits. La Cour d'appel n'intervient normalement pas sur l'appréciation des faits du juge de première instance; ce sont donc les questions de droit, soulevées par cette affaire, qui seront au cœur de l'analyse de la Cour d'appel.

Plusieurs de ces questions ont été étudiées par le juge Hughes. Notamment, il indique que « l'humour permet de tenir des propos dénigrants ou blessants susceptibles de porter atteinte à la dignité des membres d'un groupe » (RE : Whatcott (2013, RCS, 2011) et Owens 2003 [1] RCS 779). Il fait une distinction dans le cas de Mike Ward parce que ses propos discriminatoires ne visaient pas un groupe, mais une personne en particulier. Le juge Hughes conclut que la liberté d'expression protégée par la Charte ne permet pas de faire des blagues discriminatoires en lien avec le handicap d'une personne nommément identifiée (« L'humour ne peut servir de prétexte, de paravent ou de justification à une conduite discriminatoire »). C'est l'une des questions de droit sur laquelle se prononcera sûrement la Cour d'appel.

À mon avis, l'affaire se rendra devant la Cour suprême, compte tenu des questions très importantes qui sont en cause.

Selon moi, tout comme le juge Hughes, la Cour d'appel prendra en compte le type de « personnalité publique » de Jérémy Gabriel (il n'est pas un politicien). Le juge Hughes mentionne que Jérémy était connu du public en raison de ses activités artistiques et qu'il s'exposait à être l'objet de commentaires et de blagues sur ces activités (qualité de chanteur, etc.). Le juge Hughes décide que les blagues de Mike Ward, à ce sujet, n'étaient pas discriminatoires. Cependant, il conclut que les activités publiques de Jérémy ne pouvaient être interprétées comme une renonciation à son droit au respect de son honneur, de sa réputation, de sa dignité, sans discrimination fondée sur son handicap. La Cour d'appel se prononcera sans doute sur cette conclusion du juge Hughes.

Par ailleurs, la Commission des droits de la personne a 10 jours, à partir du jugement de la permission d'appeler qui a été rendu hier, pour porter également en appel le jugement du juge Scott Hughes (appel incident). Il ne faut pas oublier que le juge Hughes a rejeté des demandes de la Commission, notamment la demande du père de Jérémy Gabriel. Il a rejeté également la réclamation basée sur l'état civil, un motif interdit de discrimination prévu à la Charte des droits et libertés, tout comme le handicap.

Si la Commission présente un appel incident, elle pourra demander que la Cour d'appel verse un montant de dommages-intérêts au père de Jérémy, et, également, qu'elle accorde des dommages-intérêts plus élevés à Jérémy et sa mère. À cet égard, je crois qu'il y aurait lieu de considérer que Jérémy était un adolescent lorsque Mike Ward a tenu des propos à son sujet.

Quelle suite sera donnée au jugement qui sera rendu par la Cour d'appel? À mon avis, l'affaire se rendra devant la Cour suprême, compte tenu des questions très importantes qui sont en cause.

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Mai 2017

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