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La double appropriation culturelle du Harlem Shake

Le, leet lene sont que quelques exemples de tendances qui doivent leur brève existence au réseau YouTube, et à des milliers de participants à l'affût de nouvelles sensations. Cela dit, la plus récente œuvre collective de jeunes écervelés possédant une caméra s'appelle.
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Le Shuffling, le Jump-style et le Gangnam Style ne sont que quelques exemples de tendances qui doivent leur brève existence au réseau YouTube, et à des milliers de participants à l'affût de nouvelles sensations. Cela dit, la plus récente œuvre collective de jeunes écervelés possédant une caméra s'appelle Harlem Shake.

Bon nombre d'observateurs ont rapidement compris que ce nouveau phénomène n'a rien en commun avec le style de danse des vidéos hip-hop du tournant du millénaire. En effet, la véritable danse intitulée Harlem Shake a été popularisée par la vidéo Let's Get It de G. Dep, ainsi que par des artistes tels que Lil' Bow Wow, P. Diddy et Cam'ron. La nouvelle mouture provient quant à elle d'une séquence de 30 secondes ayant pour trame sonore une pièce parue en 2012. Intitulée The Harlem Shake, cette vidéo artisanale montre un groupe d'individus demeurant assis et immobiles pendant qu'un danseur masqué s'agite seul au milieu de la pièce. Au changement de rythme, la totalité du groupe entre dans une transe frénétique. Le montage rend le tout extrêmement bizarre et caricatural.

L'auteur de cette vidéo s'appelle Filthy Frank. Son œuvre compte maintenant plus de 20 millions de visionnements sur YouTube, soit environ le double de la piste audio qui l'a inspirée. La contagion touche maintenant toute la planète.

Au cours du mois de février, le phénomène est devenu si populaire qu'environ 4 000 vidéos du même acabit étaient publiées quotidiennement sur YouTube. Parmi ceux qui y ont succombé, on retrouve l'animateur Jimmy Fallon, les Mavericks de Dallas, la US Navy et les Marines, d'innombrables étudiants universitaires, ainsi que les sites College Humor, Vimeo et Buzzfeed. La toune Gangnam Style vient de se faire détrôner de belle façon (adieu, Psy !)

Le billet de Huda Hassan se poursuit après la galerie

La trame sonore provient de Baauer, un DJ et producteur de musique Trap qui a lancé la pièce Harlem Shake l'an dernier sur le label Mad Decent. Cette pièce contient un bref échantillon (Now do the Harlem Shake) de la pièce Miller Time, de Plastic Little, parue en 2001. Comme le prouve la capture d'écran d'un courriel échangé entre Baauer et Jayson Musson (membre de Plastic Little), cet échantillon est bel et bien à l'origine du nom de la piste de Baauer. Ironiquement, nous n'aurions probablement jamais entendu celle-ci, n'eut été son utilisation dans la vidéo hypnotique de Filthy Frank. Quoi qu'il en soit, la pièce Harlem Shake est devenue l'un des plus grands succès commerciaux du label Mad Decent.

En réaction au phénomène, une autre vidéo suscite actuellement un intense débat dans la blogosphère. Publiée par Schlepp Films et tournée dans les rues de Harlem, on y voit des piétons interloqués exprimer leur mécontentement. Le lien inexistant entre la danse originale et la frénésie actuelle semble les préoccuper, si l'on se fie à leurs commentaires: «Ils se moquent du Harlem Shake» ou «Ce n'est pas le vrai Shake, merde !» Même si tout cela est un peu absurde, je dois me ranger du côté des Harlémites.

La trame sonore du phénomène actuel est un dérivé électronique de la musique Trap, elle-même un sous-genre de crunk et de hip-hop apparu dans le sud des États-Unis au début des années 2000. Quant à la gestuelle des milliers de vidéos qui circulent actuellement, elle n'a rien à voir avec la danse développée par Al B. à la fin des années 1980, mais elle en récupère le nom sans vergogne. Cette double appropriation fait du Harlem Shake l'un des exemples les plus emblématiques de culture afro-américaine reformatée pour une audience mondiale. Le problème est qu'il est désormais très difficile de retrouver la danse originale dans YouTube. (Faites-en l'essai pour en avoir le cœur net !)

Pour résumer le tout, la frénésie actuelle tire son nom d'un échantillon faisant référence à la danse originale, avec pour résultat que celle-ci est quasiment éradiquée d'Internet.

On pourrait étendre cette réflexion au label Mad Decent (qui n'est en rien responsable de la vidéo qui a parti le bal, soit dit en passant). Ce label appartient à Diplo, un producteur critiqué publiquement par la DJ émergente Venus X pour son appropriation de la culture afro-américaine. Le tort de Diplo serait d'incorporer les œuvres d'artistes underground dans un enrobage électronique sans donner aux auteurs-compositeurs le crédit qui leur revient. L'éternel débat sur l'échantillonnage est donc relancé, et il est malheureux que cette pratique donne aux DJ et autres remixeurs la réputation de génies alors que les auteurs-compositeurs tombent dans l'oubli. Mon allusion à Diplo est peut-être exagérée, mais il est ironique que ce soit sous son ombrelle que la récupération de la musique Trap ait entraîné à son tour la récupération d'une danse emblématique de Harlem.

Pour conclure, la controverse pourrait se calmer si l'on trouvait un meilleur nom à la tendance actuelle. Voici quelques suggestions qui me semblent plus appropriées: le brassage d'air, les blancs sur la E, le wacky-tacky ou le faux Shake.

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