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L'affaire Jean-Louis Roux: lynchage autour d'un svastika

Ce qu'a vécu Jean-Louis Roux en novembre 1996 est une injustice. Une véritable iniquité s'est produite dans un laps de temps d'à peine 48h. Ayant fixé la date de son exécution, la crème de la classe politique et médiatique québécoise s'est vautrée le temps de quelques jours dans une boue brunâtre dont elle s'est servie pour salir Roux à coups de grosses mottes, faisant mine de s'indigner de la croix gammée qu'il avait jadis dessinée pour retourner ensuite, satisfaite, à ses affaires.
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Ce texte est un extrait de l'avant-propos de l'essai que vient de publier Yves Lavertu: L'affaire Jean-Louis Roux : lynchage autour d'un svastika

Ce qu'a vécu Jean-Louis Roux en novembre 1996 est une injustice. Une véritable iniquité s'est produite dans un laps de temps d'à peine quarante-huit heures. Ayant fixé la date de son exécution au début de ce mois humide et frisquet, la crème de la classe politique et médiatique québécoise s'est vautrée le temps de quelques jours dans une boue brunâtre dont elle s'est servie pour salir Roux à coups de grosses mottes, tournant autour de lui comme une bourrasque de feuilles mortes follement possédées par le vent, faisant mine de s'indigner de la croix gammée qu'il avait jadis dessinée pour retourner ensuite, satisfaite, à ses affaires, abandonnant derrière elle son œuvre dans une vieille malle au couvercle cadenassé pour que personne ne pût l'interpeller en regard de cette inconcevable affaire.

Pendant la couple de jours qu'a duré l'affaire, on a assisté à un véritable défilé de l'arbitraire au-dessus duquel s'est exercée une justice de caste. Sans rencontrer au sein de la société de langue française un véritable contrepouvoir capable d'endiguer le magma de passion auquel s'étaient autorisés un certain nombre d'acteurs, la controverse a enflé dans des proportions démesurées. Incapables de se remettre en cause, enfourchant contre toute attente l'impensable monture de victimes pour mieux orchestrer la cabale contre Roux, ses tourmenteurs ont offert le spectacle d'une élite prête à outrepasser la frontière des pratiques démocratiques habituelles pour parvenir à ses fins.

Dans le lot des contributions déposées sur l'autel, celle des historiens n'aura pas été des moindres. Ils peuvent bien nier aujourd'hui que la profession a joué sa partition dans ce concert, ils peuvent nuancer tant qu'ils veulent, mais l'onction déconcertante dispensée par certains est indigne de leurs fonctions. Il n'y a personne à part Roux qui a eu à écoper dans cette affaire et surtout pas ceux et celles qui sont allés de lieux communs en propos complaisants ou encore orientés, d'approximations en énoncés à côté de la plaque, de sentences et d'arguments d'autorité en déclarations neutres.

Une fois rangée l'affaire dans la catégorie de celles qui portent la marque des méthodes d'un obscurantisme nouveau, héritier à bien des égards de celui d'antan, le sujet n'en demeure pas épuisé pour autant. L'épisode comporte un second degré de lecture, lequel revêt une dimension toute aussi significative.

À un demi-siècle d'intervalle, cette histoire pose le problème du difficile rapport qu'entretient la société québécoise avec un passé encore proche, celui lié à la Seconde Guerre mondiale. Bien qu'elle n'en reçoive pas le crédit, l'affaire Roux porte en son essence le poids de marqueur d'un refus de l'introspection critique en regard de cette période. Elle s'inscrit dans le prolongement d'une série d'autres manifestations à l'intérieur duquel les jalons de ce continuum se font écho. À rebours, chacun corrobore la volonté ambiante de ne procéder sur le sujet à aucune discussion publique qui serait à même d'ouvrir sur des perceptions nouvelles.

Car il ne s'agissait pas simplement d'abattre un homme en 1996, mais de faire rentrer ses fautes dans le cadre d'une stratégie pourvue de sa propre logique. Contre l'individu sous surveillance en raison de ses récentes déclarations contraires à l'orthodoxie nationaliste, l'hallali, c'était entendu, avait sonné. Les représentants de l'élite ont vu une occasion en or en ce mois des morts de combiner en une seule opération le lynchage programmé avec une vendetta au nom de l'Histoire. Et l'on ne s'est pas gêné.

L'exécution publique, au demeurant risquée, devait couper court une fois pour toutes à un problème qui s'exprimait de manière croissante dans l'agora et qui avait à voir avec la nécessité d'un travail de mémoire concernant les années 1930 et 1940. S'en prendre à Roux allait permettre aux instigateurs de sceller de manière définitive leur autorité sur cette période.

S'indigner de son comportement durant la Seconde Guerre mondiale et l'en tenir personnellement responsable allait par un mouvement de balancier envelopper les accusateurs d'une aura de bonne conscience et consacrer du coup leur regard et leur attitude comme relevant, elle, de la juste ligne, celle qui devait avoir préséance dans la cité. Faire de Roux le seul à devoir être tenu imputable d'un passé dont l'infamie serait concentrée dans son geste relevait d'une stratégie payante. Une fois le mal expié par lui, la société en général, et son élite en particulier, n'auraient plus à se sentir redevables de rien.

L'emphase dans la polémique n'a donc pas été placée sur le climat intellectuel d'antan ou sur l'influence d'institutions comme Le Devoir ou sur l'emprise qu'exerçaient alors les collèges classiques ou sur les directives du penseur Lionel Groulx, toutes choses qui auraient pu converger vers une discussion sur les racines du nationalisme québécois, mais elle a plutôt été mise sur le parcours d'un homme, ancien étudiant à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, vu comme un utile paratonnerre sur lequel devait se fixer la vindicte.

Ce texte est un extrait de l'avant-propos de l'essai que vient de publier Yves Lavertu: L'affaire Jean-Louis Roux : lynchage autour d'un svastika

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