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Le conservatisme et l'illusion d'innovation

Pourquoi une vision plus large des organisations doit nécessairement être reléguée à une posture de rêveur, déconnecté de la « vraie » réalité?
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Lors d'une entrevue, dans une grande entreprise œuvrant dans le secteur financier, j'ai fait l'erreur d'affirmer la chose suivante : « J'ai trouvé inspirante votre décision de miser sur l'innovation, d'y consacrer des ressources et de vous donner le temps d'investir de nouvelles pistes ». Grave erreur que d'avoir mobilisé la notion de temps, puisque mes interlocuteurs se sont rapidement braqués pour me traiter de rêveur, ne connaissant pas les impératifs organisationnels. « Écoute, c'est bien beau le temps, le temps, mais ça coûte de l'argent et faut justifier ce qu'on fait au rendement; toi tu vois ça comme si tu avais tout le temps voulu, que tu pouvais prendre ton temps, hein? »

Un discours managérial conservateur

Pour se renouveler comme entreprise, pour innover, il faut développer les connaissances de ses employés et se donner une marge de manœuvre exploratoire pour développer de nouvelles idées, qui permettront de se démarquer de la concurrence.

Ce discours, je ne l'ai pas inventé, il figure au sein des meilleures pratiques soulignées par la recherche et l'enseignement managérial.

Ce discours, je ne l'ai pas inventé, il figure au sein des meilleures pratiques soulignées par la recherche et l'enseignement managérial. Pourtant, ces gestionnaires grincent des dents à la simple évocation des notions de temps, d'exploration, de création et autres termes profanes qui se détachent des impératifs opérationnels dans lesquels ils et elles baignent. Tout cela, dans le cadre d'un poste directement lié à l'innovation. Pourquoi une telle résistance? Pourquoi une vision plus large des organisations doit nécessairement être reléguée à une posture de rêveur, déconnecté de la « vraie » réalité?

Un anti-intellectualisme entrepreneurial

Ce discours cache une vision pernicieuse qui dépasse les murs des organisations, où s'entremêlent âgisme et expérientisme générant une forme d'exclusion. Exclusion au nom d'une réalité dont seuls ces individus seraient garants, qui se manifeste par l'impératif des chiffres, de la reddition de compte et d'un manque à combler permanent. Toute vision ne partageant pas ces impératifs, voire ce défaitisme, est reléguée au rang de l'irréalisme et de la déconnexion face au véritable monde des affaires tel que perçu par ces acteurs.

De telles réactions sont à mon avis une manifestation du phénomène social plus large que l'on pourrait appeler anti-intellectualisme. Ce dernier pousse les acteurs œuvrant au sein d'un même milieu à repousser toute forme de réflexion qui se distancie des opérations quotidiennes et de la productivité; surtout si elles sont issues de la recherche et de l'enseignement universitaire! Et pourtant, ces entreprises ne cessent de se mettre en scène comme étant innovantes.

Cet anti-intellectualisme est également promulgué par le courant entrepreneurial, qui n'est pas sans rappeler l'idéal du « self-made man » américain, où l'entrepreneur n'a besoin que de sa force de caractère pour défoncer des portes et faire de son entreprise un succès. Ainsi on prône un renfermement sur soi-même, sur sa propre réalité, puisque l'entrepreneur, le vrai, n'a pas de temps et sait exactement ce qui doit être fait.

Ce manque d'ouverture n'a rien d'innovant, surtout si l'on pense que cette expression, de façon étymologique, suppose quelque chose de jeune, nouveau, qui amène un changement à l'interne, un renouvellement.

À cette réplique de mes interlocuteurs, j'ai ainsi répondu : « Si on ne prend pas le temps de développer son personnel et de réfléchir à ses façons de faire, si on ne prend pas cette distance par rapport aux activités quotidiennes, et bien on n'innovera pas! On ne fera que livrer de beaux rapports à la direction sans changer ses façons de faire et améliorer son offre ». Ainsi, on aura entretenu une illusion d'innovation en perpétuant nos façons de faire sous une nouvelle étiquette.

Avril 2018

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