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La société du spectacle

Depuis la parution de l'essai de Guy Debord en 1967, la société du spectacle s'est considérablement transformée.
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Depuis la parution de l'essai de Guy Debord en 1967, la société du spectacle s'est considérablement transformée. Alors qu'il était jadis attribué à la surconsommation marchande, le spectacle s'est aujourd'hui déplacé vers ce que l'on pourrait nommer « la reconnaissance extrinsèque ». En effet, dans le monde informationnel, l'importance de se montrer, de se pavaner, d'être vu et parallèlement d'être reconnu constitue définitivement le néo-spectacle quotidien. Cela dit, sans pour autant nier l'importance de la possession et de la consommation des marchandises dans ce nouvel idéal sociétal, l'individu tend néanmoins à orienter, de plus en plus, son succès personnel vers sa reconnaissance par autrui.

Ce paradoxe d'une société individualiste, égoïste et narcissique qui a essentiellement besoin de l'autre pour s'épanouir ne fait aucun sens à mes yeux. Pourtant, c'est bel et bien via sa proposition à l'autre que l'individu attribue sa réussite personnelle. Sur ce point, l'individu, plus que jamais, s'autodéfinit par l'intermédiaire de ses possessions et, plus spécifiquement, par leur exposition au plus grand nombre, et ce dans le but d'acquérir de facto une reconnaissance distinctive. Que ce soit la jalousie, l'envie, la convoitise, l'idolâtrie ou simplement par exhibitionnisme malsain, mais pas pour autant innocent, l'individu du spectacle recherche pompeusement une réaction afin de légitimer son action initiale. Dans son esprit, il ne peut y avoir de triomphe sans reconnaissance extrinsèque.

Pour ce faire, il sollicite constamment les spectacles et ses plateformes d'exposition dans le but, d'une part, de justifier son être et, d'autre part, d'atteindre une certaine suprématie sur l'autre, c'est-à-dire une domination sociale sur autrui ; c'est que ce l'on pourrait nommer un narcissisme aliénant, dans la mesure où la finalité n'est plus uniquement d'accroître sa confiance, mais plutôt de s'imposer par rapport à l'autre.

Cette vision aliénante du monde, par sa pratique et son idéalisation, est regrettablement devenue un mode de penser et d'agir de la vie quotidienne. Cette recherche constante d'une reconnaissance artificielle, ce que certains auteurs ont appelé « le processus d'individuation », est devenue une norme sociétale, surtout chez les adolescents et les jeunes adultes. Or, ce désir ardent de distinction des individus par rapport aux autres - je ne parle par ici d'un anticonformisme essentiel au développement social, mais bien d'une distinction superficielle et narcissique - vient pratiquement justifier et reproduire une forme de philistinisme malsain et nocif pour l'individu, ainsi que pour la société dans son ensemble.

Le spectacle, tel qu'il doit donc être compris, fait nécessairement référence à l'importance excessive qu'accorde un individu à sa personne, mais plus encore à la surimportance qu'il attribut au regard de l'autre et à son approbation, quelle que soit la méthode utilisée et le résultat obtenu. C'est donc plus qu'un simple trouble individuel de la personnalité ; c'est davantage une exigence, une quête perpétuelle de contemplation du soi par le biais des yeux d'autrui. Ainsi, l'approbation de son voisin, de son ami, de sa famille et même de l'inconnu représente l'essence de l'épanouissement individuel dans cette société du spectacle.

Avec la multiplication des plateformes virtuelles, les réseaux sociaux notamment, cette prétention à vouloir s'exposer à l'autre a pris des proportions démesurées, au point où c'est la société entière qui est menacée par le narcissisme spectaculaire. Un parcours rapide de Facebook et autre outil socio-virtuel suffit pour constater l'étendue du problème actuel. Il apparaît de plus en plus évident que la vie virtuelle tend progressivement à se substituer à la vie réelle, créant conséquemment une illusion qui est abordée (à tort) de manière rationnelle et, de ce fait, comme une vérité absolue.

Nous assistons donc, aujourd'hui, à une nouvelle forme de consommation paradoxale, soit celle de l'accord d'autrui dans un dessin purement narcissique. Les individus cherchent ainsi, par tous les moyens envisageables, à obtenir un consentement, une bénédiction, un entérinement de leur être, voire de leur paraître à des fins exclusivement personnelles.

Dans cette optique, les actions passent dorénavant non pas par la réflexion la plus exhaustive, mais par l'assentiment de l'autre. Étant constamment soumis à la pression de ses pairs - une pression qu'il perpétue et rend légitime par ses actions -, l'individu en vient rapidement à croire que l'aval d'autrui est plus décisif que ses propres perceptions et opinions. Par conséquent, la validation extérieure tend à devenir un paradigme immuable qui, à terme, sclérosera notre jeunesse jusqu'à la disparition du raisonnement individuel.

En somme, dans cette société du spectacle « pavanatoire », la reconnaissance extrinsèque est sur le point de remplacer nos dispositifs d'accomplissement individuel et collectif. À travers une scénarisation perpétuelle du soi pour les autres, l'individu est à un cheveu de devenir quelqu'un... quelqu'un qu'il n'est malheureusement pas. Cela dit, au-delà de la critique initiale à l'égard de la société de consommation, c'est une critique du narcissisme d'exposition, voire une condamnation de ce désir excessif de reconnaissance qu'il faut formuler, car, dans le cas contraire, c'est la société du spectacle qui s'assurera de vous critiquer et de vous aliéner...

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Avril 2018

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