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Salaire minimum: qui a raison?

Deux études sur le même sujet qui disent le contraire. La science économique est le seul domaine dans lequel deux chercheurs peuvent être récipiendaires du Prix Nobel en s'étant contredits.
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L'étude de Berkeley utilise uniquement le nombre d'emplois comme s'il s'agissait de la seule façon que les employeurs ont pour s'ajuster aux augmentations du salaire minimum.
Jim Young / Reuters
L'étude de Berkeley utilise uniquement le nombre d'emplois comme s'il s'agissait de la seule façon que les employeurs ont pour s'ajuster aux augmentations du salaire minimum.

Lundi, le National Bureau of Economic Research a publié un document de travail produit par des économistes de l'Université de Washington qui traitait d'une hausse du salaire minimum importante et graduelle à 15$ par heure, exclusive à la ville de Seattle. Le résultat de cette étude soulignait que si le nombre d'emplois n'a pas changé, le nombre d'heures travaillées a baissé de telle sorte que les travailleurs ont vu leurs revenus mensuels diminuer de 125$ au net (après les gains salariaux par heure travaillée). Presque au même moment, une autre étude est sortie, cette fois de l'Université de la Californie à Berkeley, montrant que le salaire minimum n'avait pas eu d'effets négatifs (du moins, c'est comme cela qu'on a présenté cette étude).

Deux études sur le même sujet qui disent le contraire, quoi de mieux pour qu'on puisse ressortir la farce selon laquelle la science économique est le seul domaine dans lequel deux chercheurs peuvent être récipiendaires du Prix Nobel en s'étant contredits. Puisque personne ne l'a fait, je me sens obligé de fournir une explication des deux études afin de souligner que celle des chercheurs de l'Université de Washington est nettement supérieure sur le plan méthodologique.

L'étude de Berkeley

L'étude produite par les économistes de l'Université Berkeley utilise en fait une méthode à la fine pointe des méthodes économétriques : celle du contrôle synthétique. Cette méthode consiste à laisser les données nous montrer quel est le scénario contre-factuel le plus plausible afin d'évaluer l'importance d'un changement. C'est avec ce genre de méthode qu'on explique des changements politiques importants comme l'effet de l'immigration sur les institutions d'un pays d'accueil, l'effet du régime castriste sur l'évolution économique de Cuba et l'effet pour le Venezuela d'avoir élu Hugo Chavez en 1999. Cette méthode, c'est la crème de la crème. Et d'ailleurs, l'un des auteurs de cette étude (Reich) est reconnu pour l'utilisation de méthodes statistiques avancées pour résoudre des questions épineuses (voir ici notamment, même si ce résultat a été hautement critiqué ici).

L'étude de Berkeley utilise uniquement le nombre d'emplois comme s'il s'agissait de la seule façon que les employeurs ont pour s'ajuster aux augmentations du salaire minimum.

Le problème, c'est que la méthode utilisée est aussi bonne que les données utilisées. L'étude de Berkeley utilise uniquement le nombre d'emplois comme s'il s'agissait de la seule façon que les employeurs ont pour s'ajuster aux augmentations du salaire minimum. La plupart des économistes qui étudient le salaire minimum reconnaissent que l'ajustement se fait souvent par d'autres moyens : heures travaillées, bénéfices offerts aux travailleurs, prix aux consommateurs, qualité du service, substitution entre travailleurs. Après tout, si on est une petite entreprise, pourquoi virer un de ses deux employés (sacrifiant ainsi la moitié de la production) pour une maigre augmentation du salaire minimum de 10%? Si l'augmentation est petite, autant s'ajuster par d'autres moyens que le licenciement. Ce faisant, l'étude de Berkeley choisit un peu son résultat.

Non seulement cela, mais elle utilise uniquement l'emploi dans le domaine de la restauration, un secteur dont la demande est reconnue comme étant moins sensible aux changements de prix que pour d'autres secteurs. Les entreprises de restauration ont une tendance bien connue à utiliser les prix afin de s'ajuster aux changements du salaire minimum (voir ici, ici, ici et ici). Encore une fois, cette limite génère une méthode de recherche qui ressemble à l'homme qui cherche ses clés perdues sous un lampadaire simplement parce que c'est là que la lumière se trouve. En somme, on ne cherche pas au bon endroit.

L'étude de l'Université de Washington

En contrepartie, l'étude de l'Université de Washington est nettement supérieure puisqu'elle utilise – contrairement à la plupart des études sur le salaire minimum – des données de salaire horaire qui incluent les heures réellement travaillées. Par le passé, plusieurs études ont été contraintes par le fait qu'on était limité à des données de rémunération limitées ainsi qu'à des études qui manquaient d'informations fiables quant aux heures travaillées. Il s'agissait d'une complication majeure et dramatique à laquelle les chercheurs de l'Université de Washington ont échappé. Ce faisant, ils ont pu mettre de côté l'approche qui consistait à utiliser le secteur de la restauration qui avait pour but de prendre l'industrie la plus représentative possible étant donné les contraintes de données.

Ainsi, les chercheurs de l'Université de Washington ont les meilleures données supérieures puisqu'ils peuvent analyser l'un des autres moyens par lesquels les employeurs peuvent s'ajuster : les heures travaillées. Ainsi, ils ont des données qui peuvent réellement vérifier la théorie et non pas un « second best ». En fait, ils trouvent exactement le même résultat que les chercheurs de Berkeley : le nombre d'emplois n'a pas changé. Cependant, grâce aux données supérieures, ils ont pu constater que l'ajustement s'est fait sur le nombre d'heures travaillées – un ajustement qui a éclipsé les gains salariaux horaires générant ainsi une réduction nette du revenu mensuel.

Le seul problème de taille de cette étude porte sur le groupe de contrôle utilisé afin d'évaluer le scénario de ce à quoi Seattle ressemblerait sans l'augmentation du salaire minimum.

Le seul problème de taille de cette étude porte sur le groupe de contrôle utilisé afin d'évaluer le scénario de ce à quoi Seattle ressemblerait sans l'augmentation du salaire minimum. Ces derniers, par le fait que l'état de Washington est l'un des seuls qui produisent des données aussi détaillées, ont été empêchés d'utiliser la méthode de contrôle synthétique (une méthode nettement supérieure) des chercheurs de l'Université Berkeley. Malheureusement, il s'agit d'une faille irrémédiable, même si elle n'est pas nocive à la qualité fondamentale du résultat puisqu'elle confirme une vague de recherches récentes qui met l'emphase sur les heures et les autres moyens d'ajustement (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici)

L'importance de comprendre l'économie

Par le passé, j'ai pris la peine d'expliquer dans près d'une dizaine d'articles de blogue sur le site du Journal de Montréal les grands pans de la littérature économique sur le salaire (ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici, ici et ici). Lorsque j'écrivais ces billets, mon but était de communiquer les détails de la recherche et inclure les détails méthodologiques épineux qui confrontent les économistes sur ce front. Dans ces billets, j'ai résumé plus d'une centaine d'articles. S'il est vrai que le salaire minimum n'a pas toujours un effet sur l'emploi en matière de nombre de personnes (à moins qu'il ne s'agisse d'une augmentation importante), il y a toujours des canaux différents (mais tout aussi problématiques) par lesquels les ajustements se font. Si l'étude l'Université de Washington nous a montré une chose, c'est que ce point demeure valide et crucial. Malheureusement, il demeure largement ignoré au Québec, c'est ce pour quoi il faut continuer de faire de l'éducation économique.

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