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Je suis veuve. Pourquoi le sexe devrait-il disparaître de ma vie?

Quelques jours seulement après le décès de mon mari, j'ai dîné avec quelqu'un de très gentil. La conversation a débuté sereinement. Je me suis dit : «Examinons l'impossible, la question des pulsions sexuelles chez les veuves».
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J'ai regardé «The Correspondence» de Giuseppe Tornatore. Le film peut être vu comme un exemple de traque technologique qui repousse les limites de la vie terrestre, ou un projet perfide visant à renforcer la subordination d'une étudiante - très portée sur l'intellect - à son professeur.

En le voyant, je me suis dit que lorsqu'on pleure la perte d'un être cher, la solution la plus hygiénique et courtoise est finalement la cérémonie de l'immolation hindoue, dans laquelle on brûle la veuve aux côtés de son défunt mari. C'était mon état d'esprit il y a six mois, quand la mort de l'amour de ma vie m'a amenée à réfléchir à cet inaltérable tabou, celui que Tornatore ignore ou élimine, en utilisant toutes les techniques d'expression artistique possibles et imaginables.

«Que se passerait-il si une veuve était parcourue par l'instinct vital, aussi violent qu'inattendu, de réagir au deuil en se prouvant qu'elle est encore en vie, qu'elle n'est pas morte avec son mari?»

Quelques jours seulement après le décès de mon mari, j'ai dîné avec quelqu'un de très gentil. La conversation a débuté sereinement. Je me suis dit : «Examinons l'impossible, la question des pulsions sexuelles chez les veuves. Explorons le désir imprévisible et dévastateur des femmes qui viennent de perdre l'homme qu'elles aimaient.» En Italie, elles sont connues depuis toujours sous le nom de vedove bianche (les veuves blanches), prisonnières d'un désespoir qui ne les quitte plus. Mais que se passerait-il si une veuve était parcourue par l'instinct vital, aussi violent qu'inattendu, de réagir au deuil en se prouvant qu'elle est encore en vie, qu'elle n'est pas morte avec son mari?

Ais-je utilisé le terme «conversation»? J'aurais dû dire soliloque ou monologue. Mon interlocuteur n'a pas réagi, peut-être parce qu'il était gêné ou trop bien élevé. Il y avait assez de tabous pour mettre le feu aux poudres : la mort, le sexe, la perte et la souffrance. Le tabou qui entoure les veuves et l'amour.

"Explorons le désir imprévisible et dévastateur des femmes qui viennent de perdre l'homme qu'elles aimaient."

Et si le besoin le plus pressant était tout simplement de ramener son corps de femme à la vie? J'ai besoin qu'on m'embrasse, qu'on m'enlace, qu'on me serre comme un homme sait le faire... J'ai besoin de me rappeler ce que ça fait. Pouvez-vous m'aider?

Parce que personne ne vous demandera jamais ce que ça vous a coûté, et combien de temps vous avez enduré cela. Combien de temps s'est écoulé depuis la dernière fois que l'on vous a touchée. Une veuve est un esprit pur, dénué de tout désir charnel. Elle passe ses nuits à penser à l'être aimé disparu. Elle vit dans les cendres de sa propre existence, c'est bien naturel. Soudain, son monde n'est plus peuplé que de femmes. Seules ses amies lui offrent de la compagnie, des mots, énormément de temps et de gentillesse. Mais on échangerait sans hésiter toutes ces amies pour une seule nuit de sexe libérateur, de résurrection.

Cet appel à l'aide est répugnant pour les hommes et effrayant pour les femmes. Je ne me souviens pas d'un seul film, d'un seul livre, ni même d'une conversation sur le sujet. Derrière vous gît une éternité de silence, dont vous ferez bientôt l'expérience. «Trahir» le défunt est un sacrilège, au même titre que celle qui n'est pas consumée, corps et âme, par sa disparition. L'alcool est toléré, tout comme les médicaments et toutes les drogues du monde. Et pour cause : ce sont des solutions politiquement correctes. Mais le plaisir de la chair, lui, est satanique. Crucifiez donc cette sorcière! C'est comme pour le pain, l'air et l'eau. Il s'agit de s'accrocher à la vie quand on a tout perdu : son avenir, ses rêves, ses espoirs. Il vaudrait mieux mourir lentement, car ce serait là une fin juste. Et ensuite? Ensuite, ça empire. On ternit les souvenirs, ce qui annule des mois entiers de souffrance et de dévouement. Parce qu'on commence à se dire que tout cet amour n'est pas réel, et qu'il ne l'a jamais été.

«Exprimer ces sensations de manière simple et franche est jugé scandaleux, car on demande un geste physique, concret, de solidarité humaine, au lieu de camoufler ses envies par des demi-mesures au nom des us et de la décence.»

Je voulais faire cette expérience au nom de toutes les femmes qui traversent les mêmes choses que moi, en étant tout à fait consciente de l'infamie que cela allait générer, et certaine des réactions instantanées et des rejets prudes qu'allaient susciter mes propos. Exprimer ces sensations de manière simple et franche est jugé scandaleux, car on demande un geste physique, concret, de solidarité humaine, au lieu de camoufler ses envies par des demi-mesures au nom des us et de la décence.

Enfant, on apprend aussi bien les tabous que les façons de les contourner en se servant de ce que l'on appelle parfois les «arts féminins», aussi éternels qu'exécrables. Qu'attendent de nous les bonnes mœurs dans ce petit monde? Que nous flirtions, mais (Dieu nous pardonne!) en secret? Que nous nous abandonnions à un autoérotisme vertueux? À quelque chose de plus sain? De plus honnête? Quand s'intéressera-t-on enfin à cet abysse méconnu qui mérite peut-être - je dis bien «peut-être» - que nous lui témoignions de la compassion, voire du respect? Voyez cela comme une provocation. Elle peut être gênante, mais la question mérite des réponses sérieuses, une vraie compassion, la clémence du Pape François, plutôt que du dédain et de la culpabilité. Ou, du moins, une volonté d'écouter et de discuter.

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Ce blogue initialement publié sur le Huffington Post Italie a été traduit de l'anglais.

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