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Santé: entre le cirque et le génocide

On se retrouve prisonnier d'un cirque d'une infinie tristesse, mais aussi extrêmement enrageant, qui laisse à penser qu'au fond, le gouvernement actuel ne souhaite qu'une chose : que les plus démunis finissent par s'autoéliminer eux-mêmes.
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Lundi dernier, un sondage de l'APTS (Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux) nous apprenait que 60 % des professionnels de la santé souffrent de détresse psychologique, de démotivation et d'absentéisme (contre 19 % pour l'ensemble des travailleurs québécois). Difficile de leur lancer la pierre lorsqu'on a envie de se plaindre du manque de services en santé.

Bien sûr qu'ils sont victimes de l'odieuse gestion de notre système de santé en général, et de la réforme Barrette en particulier. On a déjà lu qu'ils se taisent par peur de représailles, de congédiement, et c'est bien dommage pour eux. Mais en bout de ligne, il y a des victimes non pas collatérales, mais de premier plan : les gens qui nécessitent des soins et qui sont abandonnés à eux-mêmes. À force de couper partout, on ne peut pas s'étonner de la désintégration des services ; le panier de la Santé n'étant pas le sac de farine de Marguerite Bourgeoys, comme le voulait la légende.

Comme tous les assistés sociaux, je commence à manquer de tout vers le milieu du mois. Par « tout » j'entends : le pain, le lait, le fromage kraft en plastique, bref, le strict minimum. J'ai un toit, même s'il est médiocre, et tant pis pour la facture d'électricité, Hydro ne peut pas me couper avant le 1er avril... La spirale de la pauvreté ne tire que vers le bas.

Heureusement, il y a Moisson Estrie pour nous donner des denrées une fois par mois. Mais encore faut-il être capable de s'y rendre. C'est à 6,3 km de chez moi. Les 85 ¢ qu'il me reste en poche jusqu'au prochain chèque ne sont pas suffisants pour prendre l'autobus aller-retour. De toute façon, quand on marche avec une canne et qu'on souffre de fibromyalgie, impossible de transporter deux sacs d'épicerie.

Demander un service d'accompagnement ? Bonne chance. Il y a des organismes pour les jeunes, pour les femmes, pour les aînés, mais absolument rien pour un homme de race blanche âgé entre 50 et 60 ans. Il faut se tourner vers le CLSC, nous répond-on partout.

Toutefois, à partir du moment où on demande de l'aide, on se transforme comme par magie en balle de ping-pong. Le CLSC vous indique qu'il faut s'adresser à l'Aide communautaire. L'Aide communautaire vous dit d'appeler au CLSC. Pour la concertation entre ressources, on repassera. On est bien obligé de dénoncer une certaine inertie, voire l'indifférence des employés des CLSC, qui sont censés être la ressource de première ligne. On est bien désolé pour eux, de leur situation intenable dans un système de santé circassien, mais avoir le ventre creux, c'est vraiment tout aussi stressant.

Car on ne plus dire que c'est le bordel dans le monde de la Santé, c'est carrément devenu un cirque.

Et le clou du spectacle, c'est le CLSC lui-même. Un jour quelqu'un vous dit qu'ils n'ont pas de ressource, même pas un bon alimentaire de 20 $ à échanger au Provigo. Un autre jour, une autre préposée du même CLSC vous annonce que le point de service local va vous octroyer un bon de 20 $.

C'est quand même hallucinant : deux employées du même service, travaillant dans le même CLSC, qui donnent des réponses complétement opposées à une même requête. Et toujours, à la fin de l'échange, cette agaçante question en forme de condom : « Êtes-vous satisfait de ma réponse ? » (« NON ! », ai-je envie de hurler). Je présume qu'il faut se protéger quand on travaille sous le régime de la terreur.

Parlant du point de service local, la personne à l'accueil vous prévient d'emblée que vous ne recevrez aucun service. La matrone qui trône à la réception, pendant que deux de ses collègues se liment les ongles, vous indique qu'il n'y a pas d'infirmière et que le médecin ne reçoit que sa clientèle établie. Coudon, est-ce un CLSC ou une clinique privée ?

On se retrouve prisonnier d'un cirque d'une infinie tristesse, mais aussi extrêmement enrageant, qui laisse à penser qu'au fond, le gouvernement actuel, avec sa Loi 70 et son absence absolue de compassion envers les aînés dans les CHSLD ou les pauvres, ne souhaite qu'une chose : que les plus démunis finissent par s'autoéliminer eux-mêmes. Comme une sorte de génocide par voie de contournement, en accord avec la loi de la sélection naturelle. Et dire que dans quelques jours - suprême ironie - ce sera la semaine de prévention du suicide...

Pour reprendre une vieille histoire racontée dans les années 70 par les Cyniques : quand on veut faire la guerre à la pauvreté, on lance des grenades sur les pauvres.

Quant à moi, après deux journées entières passées au téléphone, incluant un appel au bureau du député de ma circonscription, j'ai fini par obtenir un bon de 20 $ à défaut de pouvoir aller cueillir mon panier d'aide alimentaire mensuel. Demain, mon prochain défi sera de trouver de la moulée pour mon chien.

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