- Maman, il s'est passé quoi?
- Des gens sont venus dans le journal qui s'appelle Charlie Hebdo. Ils en tué d'autres, plusieurs. Des journalistes, des gens qui étaient là, des policiers.
- Pourquoi?
- Parce qu'ils étaient caricaturistes. Tu sais ce que c'est, une caricature? Un dessin pour rire, rire et réfléchir. Les policiers étaient là pour protéger les caricaturistes, parce qu'on les menaçait Ils savaient que c'était risqué, ils ont quand même continué à dessiner.
- On tue à cause de dessins?
- Oui
- Pourquoi?
- C'est difficile à expliquer, ils trouvaient que ces dessins étaient...
- Moches?
- Non, pas moches. Insultants. Pour le dieu auxquels ils croient.
- J'y crois pas, en dieu.
- Toi non, moi non plus. Mais chacun a le droit de penser qu'il peut en exister un, plusieurs, ou pas du tout, tu sais. Personne ne devrait t'obliger à penser d'une certaine façon, c'est ça la liberté. Penser, dire ce qu'on veut, même si des gens ne sont pas d'accord avec toi.
- Quand même, tuer parce qu'on n'est pas d'accord... ce sont des monstres, alors?
- Non. Les monstres, ce sont les créatures imaginaires planquées sous ton lit.
- Des fous?
- Non plus. Un fou, c'est quelqu'un qui a une maladie.
- C'est quoi alors?
- Des hommes, mon bébé. C'est pour ça que c'est difficile à comprendre. Des hommes qui trouvent qu'on ne peut pas tout dire, qu'on ne peut pas rigoler avec tout, et qui considèrent que la punition, la seule valable, c'est de tuer ceux qui osent.
- On les a attrapés?
- Non
- T'as peur?
- Oui, très.
- Moi aussi j'ai peur.
- C'est normal, et on a la droit d'être tristes aussi. Beaucoup. On peut même pleurer. Ça passera, ça passera toujours.
- Et maintenant on va faire quoi?
- Rien. Enfin si, on va continuer notre vie. Toi, tu vas aller à l'école. Jouer et rigoler avec tes copains. Moi je vais aller travailler, et puis écrire un peu aussi.
- Tu vas écrire quoi?
- J'en sais rien encore. J'ai envie d'écrire que je suis triste, et en colère, et que je ne comprends pas. Que j'ai peur que les gens confondent ce qu'ont fait quelques hommes pour un dieu avec tous les autres. Je crois qu'aucun dieu ne demande de tuer. Jamais. Je suis triste pour tous ceux qui croient en ce dieu et ne feraient jamais le moindre mal. J'ai mal pour eux, j'ai envie de penser qu'on ne sera pas assez bêtes pour parler de vengeance. Je sais que certains vont en profiter pour vomir leur haine, et ça me fait peur, très.
- C'est compliqué d'être grand, hein?
- Oui, ça l'est.
- Je ne veux pas être grand, maman.
- Moi non plus, bébé. Moi non plus