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La criminalisation du VIH et l'Affaire Steve Biron

Qu'est-ce qu'une relation sexuelle "safe", une personne "clean" et surtout, qu'est-ce que le "barebacking" ? Au sein de la communauté gaie québécoise, les termes ont leur importance puisque ce sont avec ces expressions que les rencontres se font sur les sites Internet spécialisés.
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AFP/Getty Images

Dans le cadre des procédures déposées en Cour Suprême par le Gouvernement du Québec qui souhaite faire annuler les acquittements prononcés par la Cour d'Appel du Québec dans des dossiers de personnes séropositives accusées de transmission volontaire du VIH, vu les questions soulevées par la requête du Québec alors que le Canada est le second pays à criminaliser le plus les personnes séropositives, il me semble important de revenir sur le dossier de départ, l'Affaire Steve Biron, qui avait soulevé les passions à propos de ce jeune homme emprisonné à Québec alors qu'il était sous trithérapie...

J'ai été le premier journaliste à sortir cette affaire en 2010 impliquant des policiers de Québec et surtout, des victimes qui n'en étaient peut-être pas, si on doit se fier à l'enquête journalistique. Voici donc le dossier Biron, revu et corrigé:

L'importance d'utiliser les vrais mots...

La pire affaire de mœurs depuis l'Opération Scorpion visant la prostitution juvénile à survenir dans la vieille Capitale de Québec secoue en fait le monde entier en visant un homme gai pour des actes supposément répréhensibles. Les faits sont simples: Steve Biron, emprisonné à Québec pendant près d'un an en attendant son procès, est accusé d'avoir sollicité des hommes gais sur des réseaux de rencontres Internet dans le but d'avoir des relations sexuelles non protégées, se sachant atteint du VIH.

La prémisse est simple et les questions soulevées par l'affaire très claires: Qu'est-ce qu'une relation sexuelle "safe", une personne "clean" et surtout, qu'est-ce que le "barebacking" ? Car toute l'affaire repose sur cette "mode" au sein de la communauté gaie en général.

Avant d'aller plus loin dans la publication de mon enquête, une ordonnance de non-publication quant à l'identité des victimes à été prononcée par le Tribunal au début des procédures. Je ne mentionnerai donc pas le nom des "victimes" mais leur identité n'est pas importante puisque ce sont les comportements ici qui font l'objet d'un procès.

Au sein de la communauté gaie québécoise, les termes ont leur importance puisque ce sont avec ces expressions que les rencontres se font sur les sites Internet spécialisés. Les membres de ces sites Internet les utilisent régulièrement et en voici les principales définitions:

SAFE: Ce mot a une signification liée à un niveau de sécurité dans le cadre de la relation sexuelle. Il peut vouloir signifier l'usage de condoms, mais est généralement utilisé en matière de comportements. Des relations sexuelles "safe" peuvent signifier des contacts sans échanges de fluides, des massages, des baisers, des caresses, des relations sans pénétration ou des jeux avec objets comme les dildos ou gels. La diversité des relations "safe" est vaste et ne peut être limitée ou simplement résumée qu'à l'usage d'un condom. Il serait tout aussi faux de prétendre qu'une relation "safe" signifierait une absence de VIH. Une personne séropositive peut très bien avoir des relations "safe".

CLEAN: En complément du terme "safe", le mot "clean" est directement en lien avec un état de santé. Il peut signifier souvent une absence d'infection au VIH et une sérologie séronégative, mais il est aussi utilisé pour toutes les maladies transmises sexuellement comme la gonorrhée, la chlamydia, la syphilis, l'herpès ou les hépatites et autres maladies transmissibles par des contacts physiques.

Être "clean" peut aussi vouloir dire, pour certaines personnes, de se savoir séropositives, mais indétectables au niveau de la charge virale. En effet, depuis quelques années déjà, on sait que grâce aux traitements de trithérapie, lorsque suivis régulièrement, la charge virale du VIH peut baisser au point de devenir indétectable dans le sang et, par conséquent, le virus devient plus difficile à se transmettre puisqu'il n'est pas en quantité suffisante pour constituer un risque grave. L'ONUSIDA compte d'ailleurs sur la trithérapie comme meilleur moyen de prévention de la transmission du VIH depuis 2010, avant l'usage du condom et le Canada adhère à cette position de l'organisation internationale liée à l'ONU. Une personne séropositive traitée par trithérapie et dont la charge virale est indétectable pourrait se déclarer "clean" et la science supporte maintenant cette affirmation.

Dans la même logique, certaines personnes séropositives et sous traitement par trithérapie se déclarent séronégatives, lorsqu'elles se savent indétectables. On peut ne pas être d'accord avec cette dernière vision, mais en toute logique, elles sont en effet séronégatives par défaut.

BAREBACKING: Le "barebacking" est une pratique qui n'est pas tout à fait nouvelle et est apparue vers 1996 au sein de la communauté gaie, mais principalement chez les personnes séropositives qui refusaient l'usage des condoms. Le consensus au sein des groupes communautaires spécialisés et au Ministère de la Santé du Québec est que cette pratique relève d'un désir conscient d'avoir des relations sexuelles non protégées pour se placer en situation de risque afin d'en retirer un "thrill", une montée d'adrénaline qui est alors associée à l'orgasme. Le "barebacking" est aussi synonyme de désir conscient de jouer avec la mort, comme on joue à la roulette russe. Certaines personnes dépressives qui ne se voient aucun avenir pratiquent le "barebacking" en se disant qu'elles ne vivront pas assez longtemps pour subir les problèmes liés à une infection au VIH. Le "barebacking" est aussi considéré dans certains cas comme une maladie mentale. Les personnes recherchant le "barebacking" sont toutes conscientes en fait qu'elles jouent avec le VIH et la mort.

Bavures policières et préjugés font bon ménage!

"Quand tout va mal, rien ne va plus..." Voilà comment nous pourrions résumer la gestion de ce dossier tout à fait unique dans la province de Québec qui implique l'emprisonnement d'un homme gai, Steve Biron, pour avoir pratiqué, selon les actes d'accusation, des relations sexuelles non protégées en se sachant porteur du VIH.

Tout a commencé, selon le témoignage du policier responsable de l'enquête lors de l'audience du 22 décembre dernier au Palais de justice de Québec, par le dépôt de plaintes de personnes se prétendant victimes de Biron. Le sergent-détective Louis Lachance du Service de Police de Québec, interrogé par la représentante de la Couronne Maître Rachel Gagnon, a tenté de résumer le dossier à la Juge Chantale Pelletier dans le cadre d'une audition sur une requête en liberté provisoire en attendant la suite des procédures. Le policier Lachance a tenté d'expliquer la différence entre les mots "safe", "clean" et "barebacking", confondant les définitions et allant jusqu'à admettre qu'il n'était pas en possession de tous les éléments du dossier pour en relater les faits. Il présente d'ailleurs le site de rencontres Gay411 comme un site d'échanges sexuels réservé aux "homosexuels" qui ne propose que des relations anales "top ou bottom".

Or, il est de notoriété publique, la simple visite du site le confirme d'ailleurs, que Gay411 est un site de rencontres pour hommes (qu'ils soient gais, bisexuels ou hétéros à la recherche d'aventures différentes), qui propose des services sexuels certes, mais de nombreux autres services comme l'amitié, la discussion de type "tchat" ou l'amour. Il est tout à fait erroné de prétendre que le site ne s'adresse qu'aux top ou bottom puisque ces pratiques ne sont pas communes à tous les gais.

Le témoignage du policier constituait finalement bien plus une démonstration gênante de préjugés sur la vie des gais qu'une description exacte d'un site servant aux rencontres gaies comme on pouvait s'attendre du fonctionnement habituel d'un tribunal criminel. Le policier a aussi confondu le sens des mots "safe" et "clean", affirmant que safe voulait dire séronégatif et clean la même chose, ce qui est pourtant faux. L'avocat de l'accusé Steve Biron quant à lui, Maître Herman Bédard, semble avoir décidé, à la surprise générale de tous incluant celle de son client, de ne pas déposer ses preuves et de laisser la juge rendre une décision qui semble ne pas être tout à fait éclairée.

Par exemple, l'avocat avait déclaré lors des rencontres préparatoires avec son client, avec l'auteur de ces lignes, les membres de sa famille et son conjoint, être prêt à déposer les résultats de l'enquête de Gay Globe Média qui démontraient que certaines des prétendues victimes n'étaient pas si propres et innocentes qu'elles le prétendaient dans leurs déclarations écrites à la police. L'avocat devait aussi permettre à la juge Pelletier de prendre connaissance de l'avancement de la médecine en matière de trithérapie et de charge virale indétectable, ce qu'il a finalement laissé tomber, malgré l'ensemble des autorités et des documents en sa possession. Le tout a résulté en un jugement qui maintenait emprisonné Steve Biron pour la suite des procédures, dont une enquête préliminaire prévue pour le 31 janvier 2011.

La Cour d'appel du Manitoba libère pourtant un séropositif sous traitement par trithérapie...

La Cour d'appel du Manitoba, plus haut tribunal provincial juste sous la Cour Suprême du Canada, dans le dossier de la Reine contre Mabior, a rendu un jugement qui ne fait pas jurisprudence partout au Canada, mais dont la juge Chantale Pelletier, responsable du dossier de Steve Biron, décidait de ne pas tenir compte malgré tout. Dans son jugement, la Cour déclare "Pour qu'une personne soit déclarée coupable de voies de fait ou d'agression (sexuelle) (grave(s)) pour n'avoir pas divulgué sa séropositivité au VIH, le risque de transmission du VIH doit avoir été important. Sur la base des faits ainsi que des preuves médicales présentés dans cette affaire, la Cour d'appel a conclu que si un condom a été utilisé de manière prudente ou si la charge virale de l'accusé était indétectable, l'acte ne comportait pas de risque important de transmission du VIH. Par conséquent, il n'y avait pas d'obligation de divulgation de la séropositivité dans ces circonstances."

Vraies ou fausses victimes? Voilà la question...

Nous ne pouvions pas prétendre publier une enquête complète sur l'affaire Steve Biron sans effectuer un certain nombre de vérifications quant aux activités de certaines victimes qui se réclament pures et chastes, si on doit se fier à leurs déclarations produites à la Cour.

Comme la plupart des victimes prétendaient utiliser les services du site Gay411 pour faire la rencontre de Steve Biron et comme Gay Globe Média y avait un compte, il a été très facile de retracer les victimes, sous le couvert de l'anonymat le plus stricte et ce, bien longtemps après leurs déclarations au Service de Police de Québec menant à l'arrestation de Steve Biron. Un point en commun entre ces personnes et pour résumer, les victimes mentionnent toutes ou presque qu'elles ne recherchaient pas de barebacking, que ces relations sexuelles non protégées avaient été consenties sous de fausses représentations de la part de Biron, qu'elles avaient été inquiétées par la transmission possible du VIH, quelles avaient l'assurance de Biron qu'il n'était pas séropositif au préalable et que jamais elles n'ont été impliquées dans du "barebacking" auparavant. Notons aussi que pour le moment, toutes les victimes se disent séronégatives et tous les tests confirment que depuis l'arrestation de Biron personne n'a été infecté (à confirmer au procès de mars 2012), supportant la thèse à l'effet qu'une personne séropositive sous traitement et indétectable ne peut transmettre la maladie.

L'enquête de Gay Globe ne laisse aucun doute sur le fait que certaines des "victimes" semblaient mentir dans leurs déclarations aux policiers. D'abord, une personne de Gay Globe posant comme membre de Gay411 à la recherche de relations sexuelles non protégées a tenté de communiquer avec certaines victimes via leur profil dont le compte était toujours ouvert et fonctionnel. Il n'a pas été difficile de créer des liens avec au moins cinq des prétendues victimes de Steve Biron. L'identité web de ces victimes, leur nom d'usager autrement dit, étant clairement mentionné dans leurs plaintes et dans leur récit des événements aux policiers.

Fait troublant, non seulement des victimes qui se disaient traumatisées et en traitement post-exposition préventif étaient toujours très actives sur le site Gay411, trois de ces personnes répondaient positivement à nos demandes de relations sexuelles de type "bareback", sans nous poser une seule question sur notre statut de VIH ou notre santé et acceptaient même de nous rencontrer dans un hôtel connu de Québec. Concrètement, des personnes qui se disent victimes d'un "barebackeur" qui aurait menti sur son statut de séropositif recherchaient de façon très actives des relations "bareback" sans se soucier une seule seconde du VIH, contredisant totalement leurs plaintes criminelles. De plus, comme ces victimes se savent potentiellement infectées du VIH, c'est ce qu'elles prétendent dans leurs plaintes, en taisant ce renseignement à notre représentant lors de leurs recherches de relations "bareback", elle commettaient elles-mêmes les actes reprochés à Steve Biron, démontrant le peu de cas qu'elles font de la situation. L'identité exacte de ces personnes est connue.

Conclusion

Steve Biron est accusé d'avoir volontairement voulu transmettre le VIH et il fait face à une peine de prison pouvant aller jusqu'à 14 ans. Les questions qui retiennent mon attention sont simples: Si Biron avait vraiment l'intention de transmettre la maladie, pourquoi est-ce qu'il se traitait par trithérapie si la seule raison de le faire est de diminuer la charge virale? Est-ce que Steve Biron a vraiment voulu commettre un acte criminel? Il existe un doute raisonnable dans cette affaire et devant le doute, l'acquittement est le seul remède, c'est la règle dans le pays dans lequel nous vivons...

Que risquent ceux qui portent de fausses accusations?

Toute personne qui porte de fausses accusations criminelles contre autrui s'expose à de graves conséquences légales. Par exemple, la police pourrait accuser l'auteur de méfait qui pourrait résulter en une amende ou une peine de prison. Une personne qui livrerait un faux témoignage à la Cour s'exposerait aux mêmes conséquences. Enfin, les auteurs de fausses plaintes à la police pourraient s'exposer à des poursuites civiles, et ce, pour des montants très importants. Matière à réflexion...

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