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«Les retournants»: meurtres chez les embusqués

«Les retournants» est un excellent roman d'une implacable efficacité, de la famille de ceux dont on a de la difficulté à se détacher.
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Août 1918, dans quelques semaines, la grande boucherie qui ravage l'Europe, ses empires et leurs colonies, depuis juillet 1914, va se conclure. Mais ça, les combattants ne le savent pas encore et devant une guerre interminable, ils sont nombreux à troquer leurs uniformes pour des habits civils au risque de se faire dénoncer, arrêter et se retrouver devant un peloton d'exécution, le sort réservé aux déserteurs. Loin d'être une promenade de santé, ces évasions deviennent rapidement des cauchemars aux accents de délires paranoïaques, surtout comme dans le cas de Vasseur et Jansen, qui fuient le front de la Somme, les horreurs des combats dévoilent les aspects les plus sombres de leur psyché. À l'occasion de la sortie des retournants nous avons rencontré Michel Moatti un des auteurs français qui commence à s'imposer sur la planète thriller.

HC éditions

Curieusement si la Seconde Guerre mondiale a été exploitée sous toutes ses formes y compris le thriller, le premier conflit, lui, reste encore peu exploité. « C'est vrai qu'on en parle moins et c'est ça qui m'intéressait. » D'autant plus que cette période le fascine tout comme le Londres victorien de Jack l'Éventreur où se déroulait son Retour à Whitechapel. « Il y a des similitudes entre ces deux périodes. Dans les deux cas, nous sommes dans un monde qui se meurt et en même temps dans le début de la modernité. Dans Whitechapel, ce sont les années 1880 et le grand bond de la société industrielle, la mécanisation, les usines, le capitalisme international, etc., alors que pour la Première Guerre mondiale c'est une guerre mécanique, ce n'est plus une guerre d'hommes, mais une guerre de machines. »

Et même si certains romanciers comme Henri Barbusse ou Maurice Genevoix l'ont abordé, peu d'auteurs se sont intéressés aux déserteurs et encore moins aux embusqués, ceux qui n'ont pas combattu et qui ont continué à vivre tranquilles, comme si le conflit n'existait pas, loin du front. Ce qui était impossible avec la Seconde Guerre mondiale où tous les territoires étaient touchés alors que pour la Première l'arrière-pays était relativement épargné. Mis à part les restrictions alimentaires, il n'y avait pas d'occupation, pas de commandement militaire, seulement une paix artificielle dans laquelle les protagonistes du roman, Jansen et Vasseur, vont tenter de vivre. »

10-18

Loin d'être des héros faits d'un bloc, modèle de droiture et d'héroïsme, comme on en retrouve tant dans les romans, les bédés et les films de guerre, Jansen et Vasseur révèlent tout au long des 270 pages les côtés les plus inavouables de leur personnalité, particulièrement Jensen l'instituteur idéaliste qui au fil des événements devient même plus cruel que son anarchiste psychopathe de compagnon qui tue par peur de mourir. « Ce sont aussi victimes de la guerre, des victimes psychologiques. Ce ne sont pas des déserteurs qui refusent de monter au front, au contraire, ils ont été de toutes les batailles, ils sont là depuis le début du conflit, ils sont même des officiers. Non, ils se sauvent parce qu'ils ont peur de mourir. Ils savent que l'offensive qui se prépare risque d'être leur dernière. Ils n'agissent pas sur un coup de tête, leur geste est réfléchi et ils en connaissent les conséquences. Comme l'a dit un des personnages: déserter c'est mourir plus tard, rester dans l'armée c'est mourir tout de suite. »

Munis de fausses identités, volées à des cadavres de médecins, ils vont se cacher dans un domaine perdu de Picardie et y perturber la vie des occupants, un vieil industriel ruiné, sa fille somnambule Mathilde et leur domestique Nelly Voyelle, des planqués qui continuent de vivre comme si la guerre n'était qu'un joyeux spectacle lointain. Une occasion fabuleuse pour faire des observations sur les relations tendues entre les soldats et ces civils cachés derrière les lignes du front. « Il y avait sans doute une forme de culpabilité de la part des embusqués qui savaient que d'autres mouraient à leur place. C'est assurément ce qui nourrit celui qui les dénonce. Il espère que cette dénonciation rachètera son refus de participer aux combats. Je crois qu'il n'était pas le seul qui vivait mal cette prise de position. »

Herve Chopin

Thriller au parfum d'une société qui se meurt, Les retournants est un excellent roman d'une implacable efficacité, de la famille de ceux dont on a de la difficulté à se détacher.

Michel Moatti, Les retournants, HC éditions.

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