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«Frankenstein Underground»: la fatigue des mythes

Si dans les, Digard oubliait de bien cerner ses personnages secondaires, Mignola lui oublie de développer son Frankenstein.
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Les mythes sont fatigués. Essoufflés, ils peinent à trouver la vigueur qui leur permettra de s'imposer dans cette seconde décennie du nouveau millénaire, comme ils l'ont toujours fait auparavant. Entre tradition et interprétation audacieuse, les légendes sont déstabilisées et ne savent plus où donner de la tête.

Le côté obscur de Sherwood

De Errol Flynn à Russel Crowe en passant par Richard Greene, Douglas Fairbanks Jr et Kevin Costner, Robin des bois a toujours été un modèle de droiture, combattant avec opiniâtreté les prétentions royales du prince Jean sans Terre frère de Richard Cœur de Lion, retenu prisonnier par le duc Léopold de Babenberg et Henri IV de Germanie après sa croisade en terre sainte, sans jamais faillir à sa mission ou remettre en question sa foi inébranlable envers son souverain.

Mais hélas il semble bien que celui qui maniait avec désinvolture et moult pirouettes, dans ses collants serrés, l'arc, n'était pas ce symbole d'intégrité que la légende a bien voulu nous faire croire. Qui était alors le véritable Robin de Loxley? C'est la tâche à laquelle s'est attelé le scénariste et romancier Nicolas Digard dans Les loups de Sherwood que les éditions Plon viennent de publier.

L'idée est intéressante, rétablir les faits et éliminer les éléments fantasmés qui, au fil des décennies, ont fini par composer l'image officielle de Robin, de Petit Jean, de Marianne, de Will l'Écarlate, du sympathique frère Tuck, d'Allan A'Dayle et de ce roi Richard qui ne parlait pas anglais et qui refusait d'habiter l'Angleterre préférant la gouverner de ses terres françaises. Sous la plume dynamique du scénariste, le prince des voleurs devient un violent impulsif, un violeur, assoiffé de vengeance, impitoyable, animé d'une conception presque «robespierrenne» de la justice, un paranoïaque prêt à sacrifier ses compagnons sans remords, un opportuniste ennemi et adversaire du roi Richard, mais avec qui il saura en désespoir de cause établir une alliance pour lui permettre de reconquérir son royaume et de destituer l'usurpateur Jean. Une relecture de la légende audacieuse et prometteuse.

Malheureusement si la proposition initiale est intéressante, le résultat lui n'est pas à la hauteur de ses promesses et ce, malgré l'écriture enlevée de Digard, son talent indéniable de conteur et sa maitrise du suspense et des techniques scénaristiques télévisuelles. Et c'est justement cette grande maitrise du scénario qui finit pas agacer et nuire à son intrigue. Tout semble trop calculé, que ce soit les punchs placés aux endroits clés pour surprendre, les retours en arrière, les coups de théâtre, les rebondissements, les révélations, les différentes intrigues. Avec le résultat qu'il nous manque ce je-ne-sais-quoi qui donnerait un parfum d' imprévisibilité à son récit, comme si la mécanique devenait plus importante que ce qu'il nous racontait.

Et si l'univers de Robin des bois est riche en personnages truculents, celui mis en place par Digard est beaucoup plus faible. Bien sûr son Robin aux zones d'ombre reste un personnage intéressant avec un potentiel dramatique certain, mais le reste de la galerie qui compose sa forêt de Sherwood est plutôt faible, tout au plus des figurants interchangeables transposés artificiellement, plus témoins qu'acteurs.

Dommage.

It's alive, it's alive!

On connait tous la mémorable tirade de Colin Clive à la vue des premières respirations de son monstre dans le Frankenstein (1931) de James Whale. Depuis, le monstre ne cesse de hanter les désirs les plus obscurs de ces savants qui se prennent pour Dieu et qui rêvent de recréer la vie. Épopée dramatique aux dimensions scientifiques, romantiques et tragiques exemplaires, il était normal que l'histoire de Mary W Shelley vienne aussi séduire le génial Mike Mignola, d'autant plus qu'il avait déjà mis en scène, il y a quelques années, la créature dans un mémorable combat de boxe contre son Hellboy.

Rejeté de tous, abandonné, réclamant la mort, le Monstre erre depuis des siècles, isolé de tous, victime des préjugés et de la haine des humains. Des coins obscurs du Mexique aux châteaux les plus glauques de l'Europe, le Monstre traine ses guêtres sur un sentier de plus en plus sombre qui le mène au cœur même de la terre creuse. Un décor parfait pour exploiter les facettes les plus baroques et les plus gothiques de Mignola et de Ben Stenbeck.

Et comme dans les pires dérives du gothique, Mignola produit une œuvre surchargée, mêlant dieux ancestraux, habitants de la terre creuse, dinosaures et démons, sans pour autant créer un lien unificateur. Le bédéiste passe d'une idée à l'autre sans véritablement les développer, déstabilisant constamment le lecteur et l'empêchant de bien saisir toutes les subtilités de son intrigue. Mignola court trop de lièvres à la fois, sans jamais les saisir véritablement et rapidement son Frankenstein underground devient un bateau fou sans gouvernail en pleine tempête.

Si dans les Loups de Sherwood, Digard oubliait de bien cerner ses personnages secondaires, Mignola lui oublie de développer son Frankenstein. Rapidement on l'oublie pour se concentrer sur les personnages secondaires plus vivants que sa créature, témoin apathique et pleurnichard de sa propre histoire.

Manifestement Mignola aurait dû être plus encadré pour cette réalisation. Pour l'instant il s'agit d'une prometteuse esquisse de ce qui pourrait devenir une excellente bédé, mais une esquisse quand même. Nous sommes loin d'une œuvre achevée.

Décidément beaucoup de rendez-vous manqués cette semaine.

Nicolas Digard, Les loups de Sherwood,Plon.

Mike Mignola, Ben Stenbeck, Frankenstein Underground, Delcourt.

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