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Des armes, des gestes et du courage

TUERIE DE NEWTOWN - La société américaine peut désormais aller dans l'une ou l'autre direction. Ou bien nous acceptons des folies meurtrières régulières comme des évènements malheureux qu'il faut bien traverser - comme, par exemple, les inondations et les morts qui en découlent avec le changement climatique mondial. Sinon, nous pourrions enfin nous attaquer sérieusement au contrôle des armes à feu. Mais c'est au Président de prendre la tête de ce mouvement.
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TUERIE DE NEWTOWN - Le massacre de 20 élèves et de 7 adultes, dont le tireur, à Newtown (Connecticut) pourrait être un tournant dans l'opinion publique et la présidence. Ou ce pourrait être le moment d'élans de bonté et de changements peu durables.

Le Président Obama était éloquent dimanche soir et a semblé préparer le terrain pour une action gouvernementale décisive et non pas symbolique. «J'utiliserai tous les pouvoirs en ma possession» a-t-il déclaré, rappelant Lyndon Johnson, pour empêcher «d'autres tragédies comme celle-ci».

La tuerie est survenue à un moment où Obama, tout juste réélu pour un deuxième mandat, commençait à comprendre comment utiliser son statut présidentiel pour gagner l'opinion publique à sa cause et placer ses opposants sur la défensive. Il était en train de découvrir qu'un peu de courage dans son action présidentielle, bien loin d'agacer les républicains, les contraignait à faire des concessions.

La politique concernant le contrôle des armes est particulièrement difficile parce que c'est un problème qui divise non seulement d'un point de vue idéologique, mais aussi culturel et géographique. Il y a vraiment des douzaines d'états dans lesquels adopter des limites, même les plus modestes, en matière de port d'armes revient à commettre un suicide politique. Et ce n'est pas un jeu de mots.

Ces dernières années, même les libéraux les plus convaincus ont tout simplement choisi d'éviter le sujet. Après le carnage de Virginia Tech, aucun chef politique de premier plan n'a profité du désordre pour réclamer de nouveau un contrôle des armes plus efficace. Même après celui de Colombine (Colorado), les politiciens étaient trop intimidés pour remettre le contrôle des armes en tête de l'agenda politique.

Bien au contraire, la tendance allait même dans l'autre sens. La Floride vient juste de célébrer son millionième permis autorisant le port d'armes dissimulées. De plus en plus d'états et de villes autorisent les gens à porter des armes dans deux lieux où elles étaient auparavant interdites. La tentative avortée du Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (ATF) de suivre le trafic transfrontalier d'armes, l'opération Fast and Furious, n'a servi qu'à mettre le contrôle des armes sur la sellette et à encourager encore plus la droite.

En cette année électorale, le Département de la Justice d'Obama a abandonné les plus modestes des initiatives visant à renforcer les lois déjà existantes. La respectable campagne Brady contre la violence des armes n'a jamais été plus faible depuis son lancement. Le petit bureau du Centre national de prévention contre la maladie, qui abordait la violence armée comme un problème de santé publique, a été fermé il y a plus de dix ans. Il n'y a pas de lobby en matière de lutte contre les armes, et à l'exception de quelques rares personnalités comme le maire de New York, Michael Bloomberg, la plupart des politiciens sont aux abonnés absents.

Mais peut-être parce que les victimes étaient des élèves de CP. Peut-être parce que c'est la semaine précédant Noël. Peut-être parce qu'Obama s'est récemment découvert un peu de poigne et qu'il aime ça. Ce massacre de Newtown est regardé différemment, et il place les lobbys des armes dans le box des accusés, d'une manière dont aucune tuerie ne l'avait fait jusqu'ici.

Un signe indicatif majeur : les émissions de dimanche ont invité 31 figures républicaines à venir défendre la liberté du port d'armes. Personne n'est venu.

La NRA reste elle aussi étrangement silencieuse.

Sous certains aspects, la NRA est un tigre de papier. Une majorité de vrais chasseurs et autres « sportifs » (quel que soit le sens de ce mot) sont en faveur des lois pour le contrôle des armes. La NRA a su camoufler tout effort pour réglementer le port d'armes d'assaut sous le slogan d'une campagne affirmant : « On veut vous enlever vos armes ». Dans la plus grande partie de l'Amérique rurale, l'opposition de la NRA à la candidature d'un politicien peut vraiment lui causer du tort, ce qui explique que nombreux démocrates évitent tout simplement le sujet.

Mais le moment est venu de rendre la NRA politiquement radioactive. Accepter ses financements devrait devenir une plaque politique pour la honte. Ce serait aussi le bon moment pour faire plus de journalisme d'investigation afin de savoir qui finance vraiment leur lobbying et leur campagne de dons. Ce ne sont pas les « sportifs ».

Après le massacre de Virginia Tech, mon ami Drew Westen a proposé le spot publicitaire suivant, destiné à être prononcé par un élu démocrate rural, comme Jim Webb ou Jon Tester.

L'intervenant porte un kalachnikov dans une main et un fusil de chasse dans l'autre. Il regarde la caméra et dit: «Ceci est un fusil de chasse. J'en possède un depuis l'adolescence. Tout Américain respectueux de la loi a le droit d'en posséder un. Ceci est un fusil d'assaut. On s'en sert pour tuer les gens. Si vous voulez avoir le droit de vous en servir, vous devriez vous porter volontaire pour intégrer l'armée. Si vous pensez que l'on doit s'en servir pour un daim, vous ne devriez pas en détenir un. Des questions?»

Bien sûr, la plus grande majorité des Américains sont d'accord. Mais personne ne s'est montré intéressé.

La droite affirme que le contrôle des armes ne fonctionne pas. Même la paisible Norvège a connu la folie meurtrière. Mais les lois sur les armes réduisent considérablement les tueries armées.

En 1996, après un massacre en Tasmanie (Australie), le premier ministre conservateur a mis en place une loi très simple. Les armes d'assaut seraient interdites et le gouvernement a financé leur rachat. Depuis lors, le taux d'homicide par les armes à feu a diminué de 59%, et celui de suicide au pistolet, de 65%.

Il y a un vrai risque que ce moment passe, que la vie continue, et que la politique en faveur du contrôle des armes ne se réduit qu'à une politique de gestes. Le Président pourrait parier sur la mise en place d'une commission nationale sur la violence armée. Cette commission travaillera deux ans et rendra son rapport: ô surprise! Nos lois sur le contrôle des armes sont bien trop laxistes; une minorité continuera d'insister sur le fait que les armes ne tuent pas les gens, que ce sont les gens qui tuent les gens, et l'élan sera perdu. Ou bien le Président et le Congrès pourraient se limiter à colmater quelques brèches comme le libre accès aux expositions d'armes à feu, sans s'attaquer au problème principal.

Notre société peut désormais aller dans l'une ou l'autre direction. Ou bien nous acceptons des folies meurtrières régulières comme des évènements malheureux qu'il faut bien traverser - comme, par exemple, les inondations et les morts qui en découlent avec le changement climatique mondial.

Si nous empruntons ce chemin, même nos plus accueillantes et plus sûres écoles élémentaires se transformeront en forteresse. Les vestiges de notre société tolérante se transformeront en société de surveillance. Nous mettrons fin à notre problème de chômage en engageant encore des millions de gardes armés.

Sinon, nous pourrions enfin nous attaquer sérieusement au contrôle des armes à feu. Mais c'est au Président de prendre la tête de ce mouvement. Une loi comme celle mise en place par l'Australie serait un bon début.

Durant la Guerre froide, il y avait un concept de négociations connu sous le nom de « linkage » (« lien »). Si nous nous mettions d'accord avec les Soviétiques pour, par exemple, réduire le nombre de têtes nucléaires, les progrès en ce domaine pourraient-ils être reliés à ceux d'un domaine totalement étranger comme les droits de l'homme en Pologne ou la vente de caviar russe ?

Durant son premier mandat, Obama avait sa propre idée du « linkage » : si vous calmiez la droite sur un problème, elle pourrait se montrer plus conciliante sur un autre. Et si vous la poussiez un peu trop fort d'un côté, elle risquait de vous renvoyer dans vos cordes de l'autre.

Ce principe s'est révélé dramatiquement faux sur tous les front. Plus Obama cherchait la conciliation, plus les républicains étaient persuadés qu'il n'était qu'un faible.

Aujourd'hui, les Républicains sont sur la défensive en matière de politique budgétaire parce que l'opinion publique est contre eux et parce qu'Obama a tiré parti de son avantage.

Certains experts ont suggéré que le Président ne voudra pas peut-être pas trop insister sur le problème des armes à feu parce que les négociations budgétaires ont atteint un seuil critique et qu'il a besoin de la coopération républicaine. C'est exactement l'inverse de ce qu'il faut comprendre. La droite ne comprend pas la bonne volonté. Elle ne comprend que la détermination inébranlable.

Ce Président a un don pour toucher l'opinion publique. S'il y a un moment où il devrait l'utiliser, au nom de ces élèves de CP tués et de ceux qui pourraient être épargnés, c'est bien aujourd'hui.

Robert Kuttner est rédacteur en chef adjoint du magazine The American Prospect et un membre senior de l'organisation Démos.

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