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Gaza: une tragédie triangulaire

Chacun des protagonistes voit que l’issue des événements ne pourra être que négative, et pourtant aucun d’entre eux n’arrive empêcher le dénouement annoncé.
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La tragédie à laquelle nous assistons dans la bande de Gaza n’est pas le résultat d’une opposition binaire, mais d’un affrontement entre trois acteurs.
Mohammed Salem / Reuters
La tragédie à laquelle nous assistons dans la bande de Gaza n’est pas le résultat d’une opposition binaire, mais d’un affrontement entre trois acteurs.

Chaque jour, des milliers de manifestants palestiniens tentent de traverser la frontière entre Gaza et Israël et essuient la riposte, souvent fatale, de l'armée israélienne. Chaque jour aussi, des ballons incendiaires lancés depuis la bande de Gaza atterrissent sur le territoire israélien, déclenchant des feux qui ont déjà détruit des milliers d'hectares de terre agricole. C'est d'ailleurs un miracle que ces ballons, auxquels ont été ajoutés des grenades, des explosifs ou simplement des tissus enflammés, n'aient pas fait de victime humaine: certains ont été trouvés au bord des routes, dans des jardins, au bord de crèches ou d'écoles, etc. On ne compte plus, enfin, les frappes de l'armée israélienne sur le territoire gazaoui ni le nombre de bombes artisanales lancées depuis Gaza sur l'armée israélienne.

Rien ne permet d'espérer une accalmie à court terme, malgré les annonces variées; les différents acteurs semblent pris dans un cycle destructeur. Les analyses de cette crise varient, mais une chose est sûre: pour bien la comprendre, il faut, au minimum, saisir qu'elle est plus compliquée que ce que l'on pourrait penser.

Contrairement à la représentation classique d'un conflit entre Israéliens et Palestiniens, la tragédie à laquelle nous assistons dans la bande de Gaza n'est pas le résultat d'une opposition binaire, mais d'un affrontement entre trois acteurs.

Le Hamas, mouvement terroriste islamiste, a pris le pouvoir dans la bande de Gaza en 2007, après un coup d'État contre le Fatah qui a fait des dizaines de morts. Depuis, le mouvement tient le petit territoire d'une main de fer. Les opposants sont arrêtés, emprisonnés et parfois exécutés. Toute la société gazaouie est mise au service de l'organisation.

Le Hamas a aussi transformé la bande de Gaza en base arrière pour attaquer Israël. Après avoir lancé des roquettes et construit des tunnels (souvent avec le béton envoyé par la communauté internationale), le groupe terroriste a adopté une nouvelle stratégie. D'une part, il encourage la population à lancer des ballons incendiaires en direction du territoire israélien, de l'autre, il envoie des dizaines de milliers de civils manifester et provoquer l'armée israélienne. Ses militants, quant à eux, encadrent ces manifestations de l'arrière ou en profitent pour lancer grenades et engins explosifs sur les soldats israéliens, tout cela étant financé par Téhéran.

Néanmoins, le Hamas ne veut pas d'une guerre de grande ampleur. Trois fois déjà, l'armée israélienne a lancé une opération de grande envergure sur la bande de Gaza et le groupe terroriste a, chaque fois, encaissé un coup dur. De plus, alors que son pouvoir repose sur un équilibre fragile entre le contrôle d'une population écrasée, le discours nationaliste et une alliance précaire avec des groupes islamistes concurrents , une nouvelle guerre contre Israël risque de le faire s'écrouler, entraînant avec lui la dictature en place à Gaza.

La situation tout aussi délicate d'Israël

Dès 2007, le gouvernement israélien a ordonné un blocus partiel contre la bande de Gaza et il a organisé depuis trois opérations de grande ampleur contre le mouvement terroriste. Rien ne semble avoir eu d'effet positif concret. Le Hamas est toujours au pouvoir et actif dans la bande de Gaza, et chaque mouvement israélien contre ce territoire suscite des réactions outrées de la communauté internationale, qui s'inquiète, non sans raison, de la situation de la population civile gazaouie.

Le gouvernement israélien actuel n'a pas trouvé de solution au problème qui frappe le sud du pays depuis plus de dix ans. Netanyahou est tiraillé entre la population israélienne, qui veut que son gouvernement agisse, sa coalition de droite nationaliste plutôt partisane d'une solution par la force (surtout que les prochaines élections israéliennes sont annoncées pour 2019), et les conseils des militaires israéliens, qui considèrent que le danger principal est la crise humanitaire se dessinant à Gaza, susceptible de dégénérer en guerre générale à tout moment, et qu'il faut donc alléger les sanctions. Sans direction précise, le gouvernement se contente de demi-mesures sans suite.

Pour bien comprendre cette histoire, il faut cependant y intégrer un troisième acteur important: le Fatah, ancien parti de Yasser Arafat, dirigé actuellement par Mahmoud Abbas. Ce dernier adopte une attitude ambiguë vis-à-vis d'Israël. Les forces armées du Fatah coopèrent quotidiennement avec l'armée israélienne, mais Abbas continue d'attaquer violemment l'État hébreu sur la scène internationale, et de soutenir les terroristes qui frappent Israël.

Néanmoins, malgré les apparences, ni Israël ni Netanyahou ne sont les ennemis principaux de Abbas et de son parti. Depuis que le Hamas l'a délogé de la bande de Gaza, le Fatah, autrefois représentant incontesté du peuple palestinien, est dans une logique de guerre fratricide avec le mouvement islamiste, logique que le Hamas a adoptée aussi. Malgré les annonces habituelles de réconciliation, qui n'ont jamais été suivies d'effet, chacun des deux mouvements palestiniens, dont l'un contrôle Gaza et l'autre la Cisjordanie, veut éliminer l'autre.

L'argent est le nerf de la guerre

Pour arriver à ses fins, le Fatah veut étouffer financièrement le Hamas et arrêter les transferts d'argent qui servent à payer les fonctionnaires de Gaza. «Puisque le Hamas a pris le pouvoir dans ce territoire, qu'il paie!» affirment M. Abbas et ses soutiens. Et, face au Fatah et au risque de faillite, le Hamas a un allié pour le moins inattendu: le gouvernement israélien.

Israël veut en effet éviter les conséquences que pourrait avoir la cessation des paiements des fonctionnaires. La population gazaouie s'en retrouverait très appauvrie, le Hamas n'aurait plus rien à perdre, et tout cela risquerait de conduire à un embrasement général. À Jérusalem, on veut absolument empêcher que cela se produise.

Tout cela crée des situations assez saugrenues. On a ainsi vu Netanyahou demander à Merkel de faire pression sur Abbas pour qu'il verse des fonds au Hamas, le même Abbas furieux de voir Israël et le Qatar (pourtant pas connu pour être particulièrement pro-israélien) coopérer pour financer Gaza. Israël a aussi menacé de prélever directement l'argent sur ce qu'elle verse normalement au Fatah, qui a déjà annoncé qu'en retour il romprait les derniers liens existant avec Israël.

Si nous résumons la situation, Israël est pris entre deux groupes palestiniens qui sont prêts à tout faire pour se détruire l'un l'autre.

D'un côté le Hamas, multiplie attaques et provocations contre l'État hébreu, mais ce dernier est obligé de le financer pour éviter une crise encore plus grave. De l'autre, le Fatah, avec lequel il coopère localement malgré les attaques de Abbas contre Israël, et qui enrage de voir le gouvernement israélien continuer les versements à la bande de Gaza, bien qu'ils soient indispensables à la population gazaouie.

En plus d'être absurde, cette situation est extrêmement dangereuse

Nous avons là trois acteurs qui se haïssent les uns et les autres, qui ont chacun des moyens de pression importants sur les deux autres, qui ne veulent pas un affrontement important, mais qui manquent à la fois de courage et de marge de manœuvre pour arriver à un arrangement pacifique.

Dans ces conditions, la situation est au mieux bloquée, et au pire, condamnée à aboutir sur une guerre aux graves conséquences.

D'ailleurs, chacun de ces acteurs se prépare ouvertement à la catastrophe qui semble inévitable à plus ou moins long terme. En ce sens, la crise qui se déroule dans et autour de la bande de Gaza ressemble à une tragédie, au sens le plus classique du terme. Chacun des protagonistes voit que l'issue des événements ne pourra être que négative, et pourtant aucun d'entre eux n'arrive empêcher le dénouement annoncé.

Les victimes de cette tragédie ne sont pas les dirigeants israéliens ou palestiniens. Ce sont les agriculteurs israéliens qui voient leur travail et leurs revenus anéantis. Ce sont les habitants de Gaza qui, de bombardement en bombardement, doivent essayer de survivre malgré le blocus et la dictature du Hamas. Ce sont les familles du sud d'Israël qui vivent dans la crainte de voir un ballon incendiaire atterrir dans le jardin où jouent leurs enfants. Ce sont les manifestants palestiniens qui, par désespoir et à cause des manipulations du Hamas, foncent vers la frontière tout en sachant que l'armée israélienne ne les laissera pas la traverser.

Les tragédies sont généralement destructrices pour tous les acteurs impliqués. Celle qui se joue actuellement à Gaza n'est pas différente des autres de ce point de vue. Et il n'y a malheureusement aucune raison d'être optimiste. Cela prend de grands hommes pour arrêter le désastre qui s'annonce, et, pour l'instant, il n'y a pas personne de cette stature ni dans le gouvernement israélien, ni au sein du Hamas, ni parmi les dirigeants du Fatah.

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