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Pour une salle de cours branchée à 100%

Le fétichisme technologique est une maladie pernicieuse dont il n'est pas facile de se débarrasser.
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Cette session, avant que mes étudiants assistent à leur premier cours de philosophie, je n'ai pris aucun risque. Voulant leur éviter un certain malaise, j'ai décidé de leur envoyer un courriel pour les prévenir qu'ils allaient participer à une expérience pédagogique qui pourrait remettre en question leurs habitudes et même leur façon de penser.

Je leur explique dans ce message que cette expérience sera vécue entièrement en 3D et dans une ambiance sonore de qualité. Ainsi, la salle dans laquelle ils prendront place sera dotée de quatre murs blancs ayant la capacité de réfléchir la lumière. Sur l'un d'eux se trouvera un tableau rectangulaire multifonctionnel et sans fil sur lequel je pourrai mettre du contenu qu'il me sera loisible de sauvegarder, de supprimer ou de réorganiser à volonté.

Tout en se vivant en temps réel, ce cours sera aussi totalement interactif avec possibilité de rétroactions positives. En fait, trois types d'expériences communicationnelles en flux continu s'offriront à nous: les modes «uni», «bi» ou multidirectionnel, selon les objectifs pédagogiques visés. Grâce à ce réseau conçu pour favoriser une transmission de données à très haut débit, nous pourrons échanger de l'information sous le mode visuel, sonore et même tactile, ce qui nous permettra de consulter des documents, de les faire circuler, de partager et de comparer le contenu de nos réflexions et de nos recherches afin d'en améliorer le produit final. Le travail d'équipe sera ainsi grandement facilité.

Finalement, je précise que la classe sera organisée de la façon suivante: je me tiendrai debout devant mon tableau vert, craie à la main, et face à moi seront assis l'ensemble des étudiants. C'est à partir de ce moment que pourra se mettre en branle cette expérience pédagogique qui a le potentiel d'être des plus déstabilisantes, puisqu'elle se donne comme objectif d'être à 100% branchée sur l'être humain.

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Voilà la stratégie que j'ai utilisée auprès de mes étudiants pour redonner ses lettres de noblesse au cours magistral, pour leur faire comprendre ce que peut receler de potentialités cette méthode pédagogique.

D'un côté un enseignant avec son expérience, le savoir propre à sa discipline et la passion de partager celui-ci d'une manière structurée et explicite. De l'autre, non pas des «apprenants», mais bel et bien des étudiants curieux, habités par le désir d'apprendre, de se dépasser et aussi de se laisser surprendre.

Dans ce contexte, lorsqu'une des parties refuse de jouer son rôle d'une manière authentique et sincère, elle est rapidement démasquée. Aucun écran dans cette classe derrière lequel les étudiants ou moi pourrions nous cacher, faire semblant, nous laisser distraire. Le cours magistral nous offre encore ce privilège, de plus en plus rare dans un monde qui a tendance à se virtualiser, de se regarder directement dans les yeux, quitte à ce que ce regard, parfois, devienne insupportable pour celui qui veut «tricher», qui ne veut pas s'impliquer dans ses études - ou encore dans son travail d'enseignant!

Ma salle de cours est un sanctuaire que je m'entête en tant qu'enseignant à protéger du «bruit», des modes et des distractions en provenance du monde extérieur. En fermant la porte à tout ce brouhaha, j'offre la chance à l'étudiant de prendre une pause, de se débrancher un moment, d'être attentif, concentré, en somme de s'entendre penser. Un luxe incroyable à notre époque, et sur lequel l'étudiant peut parfois lever le nez au début, tellement cette expérience peut lui sembler inconfortable ou même insupportable.

Donc, une salle dénudée, avec un simple tableau vert et des étudiants qui rangent leur téléphone intelligent - oui, je l'exige -, qui prennent des notes, qui écoutent ou réagissent à mes commentaires, qui posent des questions et qui se doivent d'être toujours prêts à répondre aux miennes lorsque je m'adresse à eux personnellement dans le but d'évaluer leur degré d'attention et de compréhension: voilà ce que je considère comme des conditions minimales pour que puisse s'accomplir ce que j'appelle apprendre.

Il est donc faux de prétendre que, dans ce type d'enseignement, on retrouverait d'un côté un enseignant actif et de l'autre des étudiants passifs pétrifiés par l'ennui. On l'a vu, cette vision manichéenne est simpliste et erronée. Comme l'explique Henri Peña-Ruiz dans son ouvrage intitulé Qu'est-ce que l'école?, il s'agit là de «la rituelle critique du cours magistral, presque toujours confondu avec le cours ex cathedra : dans l'imagerie qu'elle accrédite, le silence d'élèves attentifs et concentrés devient signe irréfutable de passivité, tandis que la cohérence propre au discours du professeur est interprétée comme une preuve de clôture narcissique.»

Apprendre demande un effort soutenu et volontaire de l'étudiant. Ainsi, son silence ne doit pas nous leurrer. Pendant qu'il écoute, loin d'être passif, il suit le fil des explications, tisse des liens dans son esprit, emmagasine de l'information qu'il devra ensuite «ruminer» longuement, comme disait Nietzsche, pour que toutes ces données se transforment en un savoir vivant qui finira par faire partie intégrante de sa personnalité.

Mais la tentation est grande. Plusieurs s'accrochent aux technologies de l'information et de la communications comme si elles représentaient la solution miracle aux nombreux problèmes auxquels est confronté notre système d'éducation.

L'histoire est pourtant riche en illusions perdues: tout a commencé lorsqu'on a voulu «être dans le vent» en faisant entrer le projecteur de diapositives et le téléviseur dans la salle de cours. On appelait cela l'ère de l'audiovisuel... Ensuite, ce fut le tour du PowerPoint, de l'ordinateur portable et, finalement, du tableau blanc interactif (TBI). Pour ce qui est de cette dernière panacée censée révolutionner le monde de l'éducation, une étude menée par le CRIFPE nous apprenait que ces tableaux n'étaient ni vraiment interactifs, ni adaptés à une salle de cours régulière, qu'ils tombaient souvent en panne et que les enseignants avaient mal été préparés pour les utiliser. Oups!

«Croire que l'informatique peut devenir le centre de l'enseignement, c'est confondre la transmission des savoirs, opération complexe irréalisable par une machine, avec la communication d'information», nous dit Fanny Capel dans son ouvrage ayant pour titre Qui a eu cette idée folle un jour de casser l'école?

Aurons-nous finalement compris la leçon? Je ne crois pas. Dans quelques années, une autre étude viendra nous apprendre que les sommes astronomiques qui auront été «investies» dans l'achat de tablettes numériques - on peut compter sur nos politiciens et sur les pédagogues pour que cela se produise - auront surtout servi à amuser ou à «distraire» les élèves au lieu de véritablement les éduquer. Le fétichisme technologique est une maladie pernicieuse dont il n'est pas facile de se débarrasser.

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