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Comment paraître intelligent

Mêlant méritocratie et libéralisme, la société est devenue une gigantesque machine à classer, soumettant ses sujets à un tri permanent de la crèche à la maison de retraite. La conséquence est que l'intelligence est passée de luxe à nécessité.
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Une odieuse injustice

On se plaint avec raison des discriminations qui touchent les femmes, les noirs, les homosexuels, les petits, les roux, les gros... et ceux qui ont le malheur d'être tout cela à la fois. Pourtant, il existe une discrimination bien plus odieuse, et d'autant plus scandaleuse qu'elle est socialement acceptée: celle qui frappe les imbéciles.

Peut-être passe-t-elle inaperçue en raison de son importance même. Depuis deux siècles, l'esprit a en effet supplanté la naissance pour l'accès aux situations les plus enviables. Si Saint-Simon pouvait s'offusquer au XVIIe siècle de voir des « gens sans naissance » accéder au pouvoir et se boucher le nez au passage des roturiers, personne ne se vante aujourd'hui d'atteindre une quelconque position en raison du carnet d'adresses de ses parents. La méritocratie a triomphé, et rares sont ceux qui songeraient à la remettre en cause.

Parallèlement, l'enseignement s'est étendu jusqu'aux couches les plus humbles de la population et le monde de l'entreprise a supplanté l'organisation traditionnelle des sociétés ; l'artisan, le paysan ou le soldat (dont l'activité intellectuelle était loin d'être débordante) disparaissant au profit du cadre.

Mêlant méritocratie et libéralisme, la société est devenue une gigantesque machine à classer, soumettant ses sujets à un tri permanent de la crèche à la maison de retraite.

La conséquence est que l'intelligence est passée de luxe à nécessité. Pendant longtemps, on ne demandait pas à un homme (encore moins à une femme), à quelques exceptions près, d'être doué d'un esprit particulièrement profond, mais, selon les classes et les époques, d'être bien né, riche, pieux, courageux, travailleur ou docile.

Plus encore qu'un luxe, l'intelligence pouvait même être un vice. L'être intelligent, par sa promptitude à tout remettre en question, constitue indéniablement une menace pour toute société dont le fondement est la tradition plutôt que le changement.

La dictature de l'intelligence

Les Spartiates nous horrifiaient par leur cruel eugénisme consistant, selon Plutarque, à se débarrasser des enfants les plus faibles. Le problème n'a fait que se décaler, si bien que les étudiants de Harvard et de Yale vendent leurs gamètes à prix d'or à des parents désireux d'avoir des enfants brillants. D'une dictature de la force, nous sommes passés à celle, non moins funeste, de l'intelligence.

Or, il est triste de l'admettre, mais cette faculté ne concerne fatalement qu'un petit nombre d'élus. Stultorum numerus est infinitus, "le nombre des sots est infini", lit-on déjà dans la Bible (Ecclésiaste, I, 15). "Le temps ne fait rien à l'affaire", comme le remarque avec justesse Brassens. Deux mille ans après le roi Salomon, à l'exclamation du capitaine Dronne "mort aux cons!", de Gaulle rétorque: "Vaste programme". Le langage lui-même vient confirmer la prégnance de la bêtise, puisque si l'on ne trouve que quelques équivalents du mot intelligence (esprit, entendement, génie), ceux concernant l'imbécillité sont innombrables: ignorant, inculte, incompétent, incapable, primitif, arriéré, bête, abruti, brute, ahuri, balourd, benêt, borné, bouché, idiot, imbécile, gourde, lourdaud, fruste, gauche, stupide, obtus, butor, sot, grossier... pour ne citer que les plus polis.

Certes, mais tout cela ne nous dit pas combien d'imbéciles peuplent la Terre. Comme il n'existe pas de lobby ou de syndicat d'imbéciles (ou du moins n'en portent-ils pas le nom et ne les représentent-ils pas tous), et que l'INSEE se refuse autant à donner des statistiques sur les minorités ethniques que sur les minorités intellectuelles, nous devons nous en remettre à un outil très contesté, mais universellement utilisé: les tests de QI. Nous nous apercevons alors que le taux de personnes intelligentes sur l'ensemble de la population ne serait que de 15%. Mais à supposer que seul ce petit pourcentage de nos connaissances mérite l'épithète d'intelligentes, rien qu'en France, cela fait près de 56 millions d'individus condamnés au mépris de cette prétendue élite.

De l'intérêt de se faire passer pour un génie

Néanmoins, rien ne vous interdit de refuser cette situation. Soyons clair, il sera difficile de devenir intelligent. Aucun traitement ne pourra vous permettre d'y remédier en profondeur, et il est peu probable, si vous avez été lauréat d'un Darwin Award, que vous soyez aussi récompensé dans cette vie par un prix Nobel. Tentez si vous le voulez la méthode préconisée par Salvador Dalí, dans son bien nommé Journal d'un génie, consistant à boire son urine, mais l'efficacité du remède est loin d'être garantie (et je sais de quoi je parle).

En revanche, rien ne vous interdit de ruser et de faire croire que vous l'êtes. Qu'importe si le roi est nu tant que tout le monde pense qu'il est habillé.

Un homme intelligent peut se permettre d'avoir l'air sot. Personne ne songerait à tirer les oreilles d'Einstein parce qu'il tirait la langue. En revanche, un idiot ne peut pas s'autoriser à afficher son faible QI sans mettre en péril sa carrière professionnelle et ses relations sociales. Dans un monde où tout, jusqu'aux téléphones portables et aux coffrets cadeaux -si machiavéliquement appelés smartphones et Smartbox-, se revêt des habits de l'intelligence, il faut être la réincarnation d'un kamikaze pour crier sur les toits sa stupidité. Comme le dit Kant:

"Si tu te fais ver de terre, ne sois pas surpris si l'on t'écrase avec le pied"

Vous ne serez pas le premier à le faire. Napoléon, pour ne citer que lui, faisait retoucher ses portraits pour y grossir la taille de sa tête, légèrement plus petite que la moyenne, afin de faire ressortir son génie à une époque où l'on pensait que l'intellect était fonction de la forme et de la taille du crâne.

Un conseil utile

Vous aurez remarqué que jusqu'ici, nous avons traité la question "pourquoi paraître intelligent?", et non comment. Vous avez raison. La longueur de l'article est malheureusement telle qu'il est impossible de le poursuivre beaucoup plus longtemps.

Si toutefois vous êtes avides de conseils et que vous ne vous êtes toujours pas endormis, en voici un modeste : faites l'acquisition d'une paire de lunettes. Conseil basique, certes, mais efficace.

Montesquieu affirme ainsi dans les Lettres persanes (1721) qu'un homme qui porte des lunettes ne peut pas être un fat.

Les lunettes font voir démonstrativement que celui qui les porte est un homme consommé dans les sciences, et enseveli dans de profondes lectures, à un tel point que sa vue en est affaiblie; et tout nez qui en est orné ou chargé, peut passer, sans contredit, pour le nez d'un savant.

L'idée avancée par Montesquieu est loin d'être une boutade. Mme d'Aulnoy remarque au milieu du XVIIIe siècle que les riches espagnols ont coutume, pour avoir l'air intelligents, de porter des lunettes, bien que cela leur soit inutile. Jacques Chirac se serait lui-même prêté au jeu pour renforcer sa crédibilité au début de sa carrière, poussant paraît-il le vice jusqu'à poser pour des photos de campagne électorale avec une monture dépourvue de verres afin d'éviter les reflets.

Les grands avocats américains recommandent eux aussi fortement à leurs clients de venir aux procès affublés de besicles selon le New York Daily News. Un homme ayant besoin de correction est en effet jugé plus fiable, plus intelligent et surtout plus intègre que les autres. C'est grâce à cela que Larry Davis, parrain de la pègre accusé du meurtre de quatre dealers et d'avoir blessé six policiers, qui s'est présenté au juge non en tenue de malfrat, mais en étudiant binoclard, aurait été acquitté. "Si les lunettes ont adouci quelqu'un comme Larry Davis, déclare un célèbre avocat, ça marchera avec tout le monde. Je dis toujours à mes clients d'en avoir une paire. Plus ils auront l'air de grosses têtes, mieux ce sera".

Pour aller plus loin, et si vous souhaitez davantage de conseils (et un peu plus originaux que celui-ci), vous en trouverez ici.

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