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Financement universitaire: voir au-delà des chiffres

Peut-on vraiment espérer bâtir une société privée de philosophes, de sociologues ou d'historiens? Une société privée de chercheurs dont les travaux les mènent à développer une vision globale de notre expérience collective, une analyse sur le long terme qui ne peut qu'être utile lorsque vient le temps, par exemple, de se pencher sur nos rapports à l'autre, comme ce fut le cas avec la Commission Bouchard-Taylor.
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Le nouveau ministre de l'Enseignement supérieur, Pierre Duchesne, rencontre cette semaine les représentants des différentes associations étudiantes en vue du futur sommet sur le financement universitaire qui devrait être organisé sous peu par le gouvernement Marois.

Conséquence de l'annulation de la hausse des frais de scolarité, ce sommet doit servir à mettre à plat les différentes questions entourant le financement des universités et, notamment, à trancher le débat sur l'existence réelle - ou non - d'un sous-financement décrié ad nauseam par les recteurs, dont la gestion parfois douteuse du réseau devrait quant à elle être passée au crible par les nombreux représentants étudiants.

Pierre Duchesne affirmait récemment qu'il n'était pas lui-même persuadé que ce sommet déboucherait sur une augmentation du financement universitaire et qu'il demandait «à être convaincu» par les partis en présence. Bonne nouvelle en soi, si l'on considère que l'on peine à expliquer les mauvaises décisions administratives qui ont par le passé grevé le budget du monde universitaire.

Si la volonté de tenir un sommet sur le financement du réseau d'éducation supérieure doit être saluée, il convient cependant d'interpeller dès maintenant le gouvernement: le sommet doit viser plus large et dépasser rapidement la seule question des sources de revenus. La problématique des frais de scolarité n'est que l'épiphénomène d'une réalité beaucoup plus complexe et préoccupante: la lente transformation de l'université québécoise (et occidentale) et la mise au rencard des valeurs humanistes qui ont présidé à sa création, au profit de la marchandisation des diplômes et des seules matières jugées « utiles ». Là réside le nœud du problème.

Comme je le soulignais récemment dans mon livre Après le printemps, c'est toute une logique de l'enrichissement personnel, du développement économique qui anime désormais nos établissements d'enseignement, et qui a été mise en lumière par le mouvement de grève du printemps derniers.

Les études supérieures, exception faite de quelques facultés et départements sous-financés du monde des sciences humaines, n'ont plus vocation à former des citoyens réfléchis et des penseurs, mais bien de futurs travailleurs ultra-spécialisés, pouvant répondre aux besoins immédiats du marché.

Doit-on chercher à séparer l'université des besoins économiques de la société dans laquelle elle évolue? Certainement pas et en ce sens, la présence au futur sommet de représentants du milieu des affaires est plus que pertinente. Cependant, et c'est là un point essentiel, il convient de trouver un équilibre entre recherche fondamentale, recherche appliquée (dont les résultats profitent souvent à l'entreprise privée) et formation professionnelle.

Actuellement, c'est cette apparence de déséquilibre entre les différentes vocations de l'université et de ses acteurs qui choque une grande partie de la classe étudiante dont une bonne part d'élèves provenant des sciences humaines et sociales qui se voient bien souvent déconsidérés par rapport à leurs collègues des sciences dites «dures» pour lesquels l'on ne ménage aucune dépense. Peut-on vraiment espérer bâtir une société privée de philosophes, de sociologues ou d'historiens? Une société privée de chercheurs dont les travaux les mènent à développer une vision globale de notre expérience collective, une analyse sur le long terme qui ne peut qu'être utile lorsque vient le temps, par exemple, de se pencher sur nos rapports à l'autre, comme ce fut le cas avec la Commission Bouchard-Taylor.

Bien plus, ce problème acquiert une toute autre dimension lorsqu'on le couple aux profondes mutations qui façonnent notre monde aux prises avec une grave crise des institutions politiques et économiques, sans précédent depuis le milieu du XXe siècle. Nous formons aujourd'hui dans les pavillons modernes et dispendieux de nos facultés des économistes, des futurs gestionnaires ou des dirigeants d'organisations publiques ou privées dont le cheminement académique a été presque complètement aseptisé de toute notion de philosophie, d'histoire ou de sociologie, au profit de la simple vision comptable et managériale de la finance.

Le journaliste et essayiste américain Chris Hedges, qui sera de passage ce mois-ci au Québec, dénonçait cet état de faits dans un virulent réquisitoire contre ce qu'est en train de devenir l'université contemporaine, dans son récent livre Empire of illusion: « Il existe un lien direct entre la faillite du système économique et politique et l'assaut lancé contre les sciences humaines, arts et lettres. En négligeant ces domaines d'études, l'élite a réussi à organiser l'éducation et la société autour de réponses prédéterminées à des questions prédéterminées. On inculque aux étudiants la mentalité nécessaire à la production de telles réponses, et ce, même si celle-ci a perdu toute pertinence. [...] L'élite [économique] est incapable de poser les grandes questions universelles sur lesquelles s'appuie l'enseignement de la philosophie et des sciences humaines, questions qui mettent en cause les postulats les mieux enracinés et analysent l'âpre réalité du pouvoir économique et politique.»

Nombreux sont ceux qui accuseront les tenants d'un retour aux sources humanistes de l'université de vouloir détacher nos établissements d'enseignement de la réalité économique du XXIe siècle. L'on nous accusera de nous agripper à une vision « romantique » de l'université, tournée vers la quête désintéressée du savoir et animée par des débats dont la portée immédiate peut sembler inaccessible pour les profanes.

Face aux défis que pose aujourd'hui les transformations humaines et économiques de nos sociétés, les sciences humaines auront un rôle fondamental à jouer dans la redéfinition de notre avenir collectif. Il faudra, dans les prochaines années, trouver un moyen de rééquilibrer les vocations intellectuelle et professionnelle de l'université.

Dans une société entièrement dévouée à la recherche du divertissement et du bonheur commercialisé, où l'on consomme des «nouvelles» instantanées faites de jugements à l'emporte-pièce, il est plus que nécessaire de maintenir ces milieux de réflexion et de pensée critique. Une fois la question du financement du réseau tranchée, il faudra rapidement se pencher sur la vocation sociale de nos universités. En ce sens, le futur sommet sur l'éducation devrait apparaître aujourd'hui comme le premier acte d'une réflexion beaucoup plus grande que nous devrons inévitablement tenir. On ne peut se permettre de rater se rendez-vous collectif, sous peine de devoir repasser sous peu par les turbulences d'un nouveau printemps étudiant...

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