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Le grand show des conventions politiques américaines

Trump et Clinton sont en lutte frontale avec pour seul argument fondamental celui du «moindre mal».
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Dans la série House of Cards dont, par hasard, je regardais la 4e saison lors des conventions républicaine puis démocrate, Frank Underwood, le président corrompu et assoiffé de pouvoir, dit lors d'un échange bien senti que la politique n'est plus du théâtre mais un grand show. La fiction de la série peut servir de révélateur de la réalité politique.

Comme dans la série, on voit des partisans acclamer des dirigeants et des discours contradictoires, et surtout de la pure rhétorique qui n'engage à rien. Les pires ennemis peuvent donner l'impression d'être devenus ou redevenus amis, le cynisme l'emporte sur la conviction. Donald Trump, dont tous les médias ont déjà présenté et déconstruit les mensonges, approximations et déclarations abjectes, joue son rôle de bouffon qui ne craint pas la contradiction et s'amuse de sa propre ignorance.

Cependant, il n'est pas plus ignare que Reagan dont il partage la paresse, il n'est pas plus vulgaire que Nixon à qui il a emprunté un thème de campagne, mais tandis que Nixon affichait sa vulgarité méprisante en privé, Trump en fait un spectacle dont les canons ont été établis par la TV depuis belle lurette. Comme Nixon, il tente de se présenter en candidat de la loi et de l'ordre (law and order) et surtout il copie sa stratégie raciste de division. Pour Nixon et sa stratégie sudiste, il s'agissait de créer un clivage entre travailleurs blancs et noirs, surtout dans le Sud, afin de récolter les voix des ouvriers blancs, acquises au Parti démocrate.

Le racisme et la xénophobie comme arguments de campagne sont différents pour Trump puisqu'il a choisi de faire des Mexicains et des musulmans ses boucs émissaires (sans pour autant approuver les combats antiracistes des Afro-Américains, bien évidemment).

On ne sait pas ce que Trump pense véritablement des groupes qu'il attaque, sauf peut-être des femmes, dont sa vie personnelle semble confirmer qu'il ne les tient pas en haute estime. En vrai clown fascisant, Trump lance ses attaques et formules simplistes pour attirer des électeurs peu informés mais qui savent que la mondialisation n'est pas faite pour eux.

Il est un membre de ce que l'on appelle de façon problématique, l'élite, qui fait croire qu'il veut s'attaquer au système qui pénalise les exclus de la mondialisation. C'est un exemple typique de ce qui, selon Christopher Hitchens, est l'essence de la politique américaine: «le populisme manipulé par l'élitisme».

Bien évidemment, en tant que patron capitaliste, il fait partie des classes dominantes et n'a aucune intention de mettre sur pied un programme de redistribution, comme le proposait Bernie Sanders. Il va à la pêche aux gogos et ceux-ci se pressent à ses meetings, mus par leur véritable souffrance sociale dont la classe dominante est responsable.

Lorsqu'il affirme dans son discours de clôture de la convention républicaine qu'il connaît le système et qu'il sait que celui-ci est truqué (rigged), on pourrait entendre qu'il est un des grands bénéficiaires du système dont il dit que lui seul peut le corriger, comme si un président pouvait seul changer tout un pays.

Qu'il parle de changer les règles de l'OTAN ou de son rapport à la Russie est tout de suite interprété de façon sérieuse par les analystes politiques. Pourtant, l'histoire des déclarations de Trump montre que la seule constante, c'est le changement d'avis. On ne voit pas comment le complexe militaro-industriel, ou ce que l'on appelle l'État profond, pourrait laisser Trump s'écarter aussi radicalement des lignes de force de la politique étrangère. Autrefois il fut ami des Clinton, qu'il a même invités à l'un de ses mariages en 2005 (une photo les montre hilares près du bouffon).

Deux mauvais shows lors de deux conventions pour deux mauvais candidats.

Le récit du show républicain est assez simple à décrypter: vous avez envie d'en découdre avec le système et les responsables politiques habituels? Alors suivez mes provocations perverses et crachez dans la soupe. Le public, qui a vu des revenus chuter depuis le triomphe du néolibéralisme, en redemande et se moque bien des mensonges ou contradictions que les professeurs et analystes ne cessent de dénoncer.

Le côté démocrate tente de faire de la campagne un show manichéen avec l'horrible Trump d'un côté et la candidate historique proche des minorités de l'autre. Le show démocrate doit tenter de réunifier un parti pourtant éclaté entre la gauche de Sanders et les amis de la finance de Clinton. Pour ce faire, il faut transformer la campagne en référendum sur Trump le candidat misogyne, xénophobe, raciste et ignare. Trump est certes tout cela, mais sa popularité vient du ressentiment à l'égard des classes dirigeantes qui ont favorisé la mondialisation et l'envolée de l'inégalité (sans pouvoir, d'ailleurs, lutter contre le racisme, notamment celui qui vise les Afro-Américains ou la violence policière dont ils sont victimes.)

Clinton est probablement la pire des candidates démocrates pour cette élection. Elle est un emblème de la classe dominante, celle que Sanders appelle la «classe des milliardaires». Elle a fait partie du conseil d'administration de Walmart, l'exemple même de la mondialisation qui conduit à la destruction des emplois et à la pression sur les salaires. Elle a fait des discours pour Wall Street, grassement payés, dont elle refuse de publier le texte. Elle a insulté les Afro-Américains emprisonnés en les appelant des «super-prédateurs». En politique étrangère, elle a voté pour la guerre de Bush en Irak, poussé pour l'intervention en Libye, et est un faucon qui ne déplaît pas aux militaristes du Parti républicain. C'est une femme de droite.

Au moment où les États-Unis, après Occupy Wall Street et comme le montrent les campagnes de Sanders et de Trump, sont à nouveau agités par la question sociale, elle est l'exemple même de la manipulation des enjeux sociétaux pour faire oublier la question sociale. La série House of Cards s'applique fort bien au show des démocrates. Les démocrates tentent de récupérer les thèmes de campagne de Sanders alors que leur histoire des 30 dernières années est celle d'un oubli des classes moyennes et ouvrières et d'une course à l'argent des grandes sociétés et des milliardaires. Les Clinton eux-mêmes, qui sont millionnaires, ont fait fortune grâce à leur fondation alimentée par des dons ou émoluments pour des discours auprès des élites de la classe dominante. On peut légitimement se demander si les personnages hyper-manipulateurs de Frank et Claire Underwood n'ont pas été inspirés par Bill et Hillary Clinton, tant leurs côtés retors et hypocrites se ressemblent.

Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que ce qui relie Trump et Clinton soit leur impopularité auprès des Américains. Trump le bateleur hypocrite et misogyne et Clinton la moins bonne bateleuse hypocrite et amie des 1 % les plus riches sont donc en lutte frontale avec pour seul argument fondamental chez la première femme candidate à la présidence, celui du «moindre mal».

En anglais, on utilise une expression «better the devil you know» pour dire qu'il vaut mieux choisir le diable que l'on connaît pour éviter les mauvaises surprises. Et certainement, cet adage est pertinent: on sait que Clinton est une guerrière néolibérale qui n'a aucune intention de respecter sa parole nouvellement progressiste. De Trump, on ne sait pas ce qu'il voudrait ou pourrait faire, mais l'on sait qu'il s'appuie sur les forces les plus réactionnaires comme la NRA et que son racisme, sa misogynie et sa xénophobie sont notoires. Si Clinton est élue, elle le devra, en partie, aux progressistes qui préféraient Sanders et qui vont continuer à faire pression sur les démocrates pour qu'ils renouent avec la question sociale.

Deux mauvais shows lors de deux conventions pour deux mauvais candidats. En 1924 déjà, donc avant la télévision, l'humoriste américain H. L. Mencken disait des conventions qu'elles étaient «vulgaires, laides, stupides, ennuyeuses» et qu'elles étaient dures pour les cerveaux et les muscles fessiers. La campagne cette année s'annonce également terrible pour nos cervelles et nos muscles fessiers, et la 5e saison de House of Cards n'est prévue que pour 2017, après la véritable élection de novembre.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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