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Pape, athées et approximation médiatique

Les athées vont-ils en enfer ou non? La question a fasciné quelques medias occidentaux au cours des derniers jours, alors que les propos conciliants du pape François semblaient être contredits par ceux d'un prêtre canadien. Alors que le pape tendait la main aux non-croyants, c'est plutôt la valse médiatique subséquente qui a retenu l'attention.
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Les athées vont-ils en enfer ou non? La question a fasciné quelques medias occidentaux au cours des derniers jours, alors que les propos conciliants du pape semblaient être contredits par ceux d'un prêtre canadien.

Le 22 mai, le pape François laissait entendre que la rédemption concerne également les non-catholiques. En s'exprimant sur un passage du neuvième chapitre de l'évangile selon Marc, le pape se penchait plus précisément sur la question du bien. Le bien qui devient source de la «culture de la rencontre». «Fais le bien: nous nous rencontrerons là!», a-t-il ajouté à l'attention des athées.

Jolie main tendue, non? Mais c'est plutôt la valse médiatique subséquente qui a retenu l'attention.

Comme le faisaient remarquer certains athées, l'impact est minime pour eux. Après tout, comment se sentir concerné par des croyances auxquelles ils n'adhèrent pas. N'empêche, ces paroles de François sont véritablement une invitation toute simple à se retrouver sur le chemin du «bien».

Même si ce langage peut sembler étonnant pour qui s'imagine encore une Église moralisatrice qui attend la première occasion de condamner, ceux qui connaissent un peu son histoire récente savent qu'elle a fait des pas de géant au cours des dernières décennies en matière de relations avec «le monde».

Ce rapport «au monde» est en fait une question théologique très ancienne, dont on retrouve les sources dans la Bible. Les évangélistes et saint Paul étaient habités par cette question: où se situe l'Église par rapport à ce monde? En fait-elle partie? Est-elle au-dessus de ce monde?

Pendant longtemps, l'Église s'est perçue comme une société parfaite nécessairement supérieure au monde. Mais tout cela a changé avec le concile Vatican II, l'événement marquant de l'histoire de l'Église au 20e siècle auquel ont pris part certains des plus grands théologiens du siècle dernier.

Parmi ces protagonistes, mentionnons d'abord le pape Jean XXIII, qui a longtemps fréquenté des non-catholiques au cours de son travail de diplomate. Pour lui, la question du rapport à tout ce qui n'était pas catholique se posait concrètement au quotidien. Mentionnons aussi le père Yves Congar, qui a partagé le quotidien des autres prisonniers de guerre pendant cinq ans au moment de la Deuxième guerre mondiale. Pour ces figures influentes du concile, la relation entre l'Église et le monde qui prévalait jusque-là ne suffisait plus à exprimer la réalité d'une relation qui devenait de plus en plus complexe au fur et à mesure que s'imposait la modernité en Occident et au-delà, avec son lot de bouleversements moraux et techniques.

Pas étonnant que le concile ait rompu farouchement avec les fameux anathèmes. Au lieu de décliner in extenso tout ce qui était condamnable aux yeux de l'Église, le concile a plutôt cherché à définir la tradition de l'Église de manière positive, et non par la négative.

Mais revenons aux propos de François, qui auraient été soi-disant contredits par le père Thomas Rosica, présenté dans plusieurs articles comme le «porte-parole du Vatican». Or, on présente normalement le père jésuite Federico Lombardi comme porte-parole officiel du Vatican, un homme affable avec un sens de l'humour affiné, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège depuis 2006. Pendant le récent conclave, le père Thomas Rosica l'a secondé pour s'occuper notamment des demandes des médias anglophones. Mais ce dernier demeure surtout connu pour le travail qu'il fait au Canada.

Le père Rosica est en effet l'homme à la tête de Télévision Sel et Lumière, la station catholique câblée et «bilingue» disponible au Canada. «Bilingue», car la production francophone n'a jamais été sa force, notamment en raison du fait que la station est basée à Toronto. Mais cela pourrait changer prochainement, puisque Sel et Lumière songe à s'implante plus sérieusement à Montréal pour sa production francophone. Cela reste à confirmer.

Rosica fut également responsable de l'organisation des Journées mondiales de la jeunesse en 2002 à Toronto. C'est un homme d'expérience, qui a ses entrées au Vatican. Habile communicateur, il ne dédaigne pas la lumière des projecteurs et laisse peu de gens indifférents. Il fait sans doute partie des prêtres catholiques les plus influents au Canada. Une forte personnalité qui ne se défile jamais devant les échanges musclés.

Au Canada, les critiques de catholiques engagés sont souvent étonnamment virulentes dans les médias. Un site comme LifeSiteNews - qui se définit lui-même comme un média pro-vie - a souvent eu maille à partir avec des évêques et des prêtres, dont le père Rosica et le curé Raymond Gravel. Ce dernier lui intente d'ailleurs une poursuite pour diffamation. Ce phénomène de médias catholiques spécialisés qui tentent d'agir comme chiens de garde de la doctrine est assez répandu en Amérique du Nord, particulièrement aux États-Unis. Ils sont souvent désignés comme étant les grands responsables de la détérioration de la qualité des débats publics au sein du catholicisme au Canada et aux États-Unis. Puisque Sel et Lumière est la seule chaîne télévisée catholique au Canada, elle est constamment scrutée ces médias spécialisés et des croyants particulièrement zélés, à l'affût d'un faux pas de sa part.

Mais Sel et Lumière assume entière son appartenance catholique et vise elle aussi à donner l'heure juste en matière de doctrine. Donc, quand un problème théologique désempare soudainement quelqu'un, il n'est pas rare qu'il se tourne vers Sel et Lumière pour obtenir un éclairage «by the book». Il semblerait que ce soit en réponse à de telles interpellations en lien avec la déclaration du pape que le père Rosica ait pris l'initiative de clarifier la doctrine catholique. Dans son texte - puisqu'il s'agit bien d'une réaction écrite - il ne contredit pas vraiment le pape : il précise surtout le contexte théologique de la tradition de l'Église dans lequel les propos de François sont recevables. Autrement dit, on est bien loin d'une querelle ou d'une hésitation dogmatique au sujet de l'athéisme. Les propos de l'un comme de l'autre ne changent strictement rien à ce qui est officiellement établi au sein de l'Église. Ils en proposent une lecture appréciative, tout au plus.

Il semblerait que ce texte ait été interprété dans quelques médias comme un pied-de-nez à François. Peut-on pour autant les blâmer? L'explication du «père Tom» est-elle trop complexe pour un système médiatique qui carbure souvent au potin en matière de religion? Le texte est, il est vrai, long et difficilement recevable dans un contexte de médias non-spécialisés.

Quand de tels imbroglio médiatiques surviennent au sujet d'une question religieuse, je ne peux m'empêcher de penser à ce que le journaliste français Michel Cool écrivait dans le numéro de mars 2010 de la Revue d'éthique et de théologie morale («Benoît XVI au risque de la communication», p. 9-22): «[...] les grands pourvoyeurs d'images dans la société ont principalement trois phobies qui leur servent de critères d'élimination: un, l'absence de scandale ; deux, les textes longs; trois, la complexité des problèmes». Malheureusement pour l'Église catholique, elle a souvent le don de combiner les trois.

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