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Une Europe en perte d’autorité morale

Le silence honteux et complice du Canada face à la situation catalane ne dit rien qui vaille!
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Sergio Perez / Reuters

Ces temps-ci germe en moi une vision de l'évolution du monde peu rassurante avec le délitement évident de la société internationale. À l'ère trumpiste où les repères politiques moraux, individuels comme nationaux, font naufrage, on voit le monde évoluer bien drôlement. Entre Al-Qaida, l'État islamique, Boko Haram et les autres tarés à la recherche d'une société théocratique, qu'ils cherchent à imposer aux autres, et des institutions internationales en pertes de moyens et d'autorité (UNESCO, FMI, ONU, etc.), on constate que l'un des derniers grands espoirs de l'Humanité, le projet européen de Robert Schuman et de Jean Monnet, est en train de se dévoyer complètement.

En 1958, au moment de la signature du Traité de Rome, fondateur de la CEE, ancêtre de l'Union européenne (UE) actuelle, les Européens inspiraient le monde et certains voyaient même la CEE ouvrir ses portes à des pays venant d'autres continents. On disait que l'Union européenne était l'exemple à suivre. De six pays membres, elle est passée à 28 aujourd'hui et plusieurs cognent encore à la porte. Et pourtant...

On doit forger les institutions pour servir les hommes et les nations, pas l'inverse!

Jean Monnet a écrit « Les institutions peuvent, si elles sont bien construites, accumuler et transmettre la sagesse des générations successives.» Il se demanderait bien où les dirigeants européens actuels ont bien pu piger l'idée de laisser matraquer sans rien dire des dizaines de milliers de Catalans qui voulaient simplement voter sur leur avenir? Et il se demanderait aussi pourquoi le cumul de sagesse, tiré des expériences navrantes de la première moitié du 20 siècle, n'a pas plutôt enseigné aux leaders européens que le droit à l'autodétermination des peuples devait passer avant la rigidité des institutions. Son collègue, Robert Schuman, a dit « La communauté européenne ne sera pas à l'image d'un Empire ni d'une Sainte Alliance ; elle reposera sur l'égalité démocratique transposée dans le domaine des relations entre les nations...» Et pourtant, l'Europe se comporte comme si toute désaffection au sein de ses frontières était une hérésie politique, une menace à l'Empire. On jette l'anathème sur les idées indépendantistes comme autrefois l'Église excommuniait les dissidents. Bref, on peut se demander si les institutions européennes sont devenues, au plan institutionnel, pour les nations aspirants à maîtriser leur destin, les robots tueurs que l'intelligence artificielle nous annonce et qu'on ne contrôlerait plus?

L'Europe, pleine d'arrière-pensées, se lave les mains de la Catalogne et du procès politique que l'Espagne veut intenter contre Carles Puigdemont et elle ferme les yeux sur les manœuvres répétées de l'Espagne pour gruger la mince autonomie catalane.

Bref, l'Europe, fondée sur un idéal de liberté et de démocratie, en est venue, on l'a vu avec les épisodes écossais, du Brexit et aujourd'hui la Catalogne, à incarner une mentalité de gang fermé qui renie ses généreux idéaux fondateurs. Sous la férule d'une bureaucratie omnipuissante, mais non imputable politiquement, et de politiciens, plus ambitieux que sages, plus carriéristes que valeureux, qui se font bouffer par le monstre bureaucratique, l'Europe se mue en camarilla qui protège ses membres et le territoire où ils font la loi. Dans cette Europe au comportement de gang maffieux, on peut taper sur les dissidents (avec de vraies matraques ou dans les médias), sans avoir à se soucier du jugement de ses pairs, pour peu que l'on invoque les principes pervertis du droit, d'unité nationale ou de l'inviolabilité européenne. L'Europe, pleine d'arrière-pensées, se lave les mains de la Catalogne et du procès politique que l'Espagne veut intenter contre Carles Puigdemont et elle ferme les yeux sur les manœuvres répétées de l'Espagne pour gruger la mince autonomie catalane. Ce faisant, elle se rapproche davantage de Ponce Pilate que de Salomon.

L'intimidation, que l'on rejette dans les relations entre les individus, a beau jeu en Europe!

Dans cette Europe détournée de ses valeurs premières, dont l'idée du libre-consentement, l'appartenance au clan devient plus importante que la probité du comportement. N'entre pas qui veut dans le gang! La Turquie attend depuis trente ans! Et une fois initié, on n'en sort pas, à moins d'être bien musclé et de pouvoir se défendre, comme le Royaume-Uni qui de toute façon n'a toujours appartenu qu'à moitié au gang (disposant de conditions spéciales et ne se joignant pas à ses rituels emblématiques comme l'espace Schengen ou la monnaie commune). Et même là, le gang fait tout ce qu'il peut pour lui mener la vie dure et le menacer de représailles. Même les petits délinquants, comme la Grèce, ne sont pas expulsés, mais disciplinés et, pour demeurer officiellement un membre honorable (quoiqu'insolvable), doivent montrer patte blanche et obéir aux diktats politiques de Bruxelles, car le chef de gang franco-allemand ne veut pas perdre la face. Il ne veut surtout pas admettre avoir commis une erreur en acceptant un membre tricheur et, surtout, en reconnaissant que les milliards d'Euros qu'il lui a refilés au cours des ans ne pourront jamais être remboursés.

Une Catalogne sacrifiée à l'autel des bureaucrates européens

Pourtant, tout ce que la nation catalane voulait était de se prononcer librement sur son destin politique. Il est absolument extraordinaire, malgré l'appel au boycottage et les mesures prises par l'Espagne pour empêcher le vote (allant de l'intimidation à la saisie des bulletins de vote et des urnes), que 43% de Catalans aient réussi à voter, alors que l'État policier espagnol faisait pleuvoir les coups de matraque sur eux. En Lombardie, la semaine dernière, dans un scrutin avalisé par l'Italie et auquel on encourageait la population à s'exprimer, 45% seulement se sont déplacés pour voter!

Les leaders indépendantistes catalans souhaitent demeurer au sein de l'Europe. Ils ne veulent pas diminuer l'Union européenne, mais y ajouter un nouveau membre! Mais, les mêmes dirigeants européens qui, hier, disaient aux Écossais, ne votez pas pour le Brexit, si vous voulez rester au sein de l'Europe, disent maintenant aux Catalans, vous ne pouvez pas quitter la prison constitutionnelle espagnole et l'Europe vous ferme la porte même si vous souhaitiez en devenir membres!

Aujourd'hui, ce sont les Catalans que l'on brime dans l'expression libre de leur volonté collective et à qui on dit, votre Constitution est votre prison. Demain, seront-ce les Québécois? Le silence honteux et complice du Canada face à la situation catalane ne dit rien qui vaille!

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