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Le médecin-éducateur... malgré lui?

Ce ne sont pas l'achat de livres et le subventionnement d'associations professionnelles qui nuiront à l'optimisation financière du réseau de l'éducation, si chère aux libéraux: c'est l'improvisation du ministre Bolduc, qui gère à coup d'essais et d'erreurs un ministère auquel il ne connait rien.
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En avril 2014, le premier ministre Couillard plaçait le Dr Yves Bolduc à la tête du ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport. Depuis, l'incroyable cafouillage du ministre a pris toutes les apparences d'une attaque lente et sournoise contre l'amélioration et la qualité de l'enseignement du français au Québec.

D'abord, en aout, le ministre propose aux bibliothèques scolaires de cesser d'acheter des livres, austérité budgétaire oblige. « Il n'y a pas un enfant qui va mourir de ça », affirme-t-il alors sans rougir, avant de se rétracter à la demande de son chef . Quelques semaines plus tard, il admettait candidement en entrevue n'avoir aucune stratégie pour améliorer l'enseignement du français. Puis, le 22 octobre, le ministre sévit de nouveau, proposant que la réussite de l'épreuve uniforme de français (ÉUF) ne soit plus une condition sine qua non à l'obtention du diplôme d'études collégiales (DEC). Là encore, quelques jours plus tard, il se rétracte partiellement. Il assure ne pas vouloir supprimer l'ÉUF : il veut seulement faire preuve de « compassion » à l'égard du « boucher dyslexique » (nous reprenons le malheureux exemple du ministre, qui semble ignorer qu'on apprend la boucherie dans le cadre d'études professionnelles et non d'études collégiales) et des autres élèves en difficulté. Par ses rétractations successives, le ministre se dit maladroit, mal cité, mal compris, mais le jupon dépasse...

En vérité, les déclarations irréfléchies du ministre révèlent toute sa méconnaissance du milieu (plusieurs l'ont souligné depuis) ainsi que le peu de considération qu'il accorde à l'enseignement et à l'apprentissage du français. Ignorant tout de l'école et des modèles didactiques, il a nié sans vergogne le lien entre la lecture, l'écriture et la réussite scolaire. Sans la moindre retenue, il n'hésite pas à proposer de niveler les critères de réussite vers le bas : à quoi sert de connaitre les littératures québécoise et francophone? Pourquoi aiderait-on les élèves qui font un DEC technique à développer leur capacité à exprimer une pensée complexe et nuancée? Pourquoi s'entêter à former des citoyens riches d'une culture générale et d'une capacité à réfléchir alors qu'il serait plus efficace et plus simple de former des travailleurs ? Mieux vaut se débarrasser de cette chose encombrante, inutile et non rentable qu'est l'apprentissage du français et de la culture dont il est à la source. Ne fournissons pas des mesures d'appui au « boucher dyslexique » : délestons-le plutôt du lourd fardeau de la culture. Cela ne l'empêchera tout de même pas de travailler, d'être productif, de contribuer activement à l'économie, unique préoccupation de notre temps. Ces propos nous semblent traduire aussi un certain mépris du ministre à l'égard des étudiants qui ne comptent pas poursuivre des études universitaires.

Et que dire des autres suggestions de coupes faites aux écoles, comme celles de sabrer les budgets de formation continue des enseignants? Comment ne pas voir, dans ces économies de bouts de chandelle, autre chose qu'un désengagement dans l'enseignement de la langue nationale? Le message du ministre Bolduc et du gouvernement Couillard, plus largement, est clair : le français sera bientôt une langue folklorique; par conséquent, il n'est plus digne d'être lié à la diplomation. Le ministre des Finances a déjà commencé à livrer ses discours en français et en anglais, histoire de rappeler aux Québécois que les deux langues sont considérées par le gouvernement actuel sur un pied d'égalité. Le français devient une préoccupation si marginale que l'octroi d'une subvention annuelle de quelques milliers de dollars à l'Association québécoise des professeurs de français (AQPF) devient inutile aux yeux du ministre... de l'Éducation. Pourtant, il n'hésite pas à engager des fonds pour implanter l'enseignement intensif de l'anglais au primaire et pour poursuivre l'achat de tableaux numériques interactifs (TNI), encore là, sans se soucier de la formation des enseignants qui auront à les utiliser.

Comme si ce n'était pas assez, le ministre Bolduc veut s'adjuger le droit de mettre en tutelle les écoles qu'il ne jugera pas assez performantes. Or, comment un ministre cumulant autant de bourdes peut-il prétendre avoir la légitimité d'intervenir dans une école en difficulté? Comment un individu manifestant une méconnaissance aussi crasse de l'éducation peut-il vouloir s'arroger un pouvoir d'intervention omnipotent? Comment un médecin n'ayant aucune connaissance de la réalité des enseignants peut-il s'être retrouvé à la tête d'un des ministères les plus importants du gouvernement québécois? Aurait-on accepté qu'un enseignant dirige le ministère de la Santé? Poser la question, c'est y répondre.

Ce ne sont pas l'achat de livres et le subventionnement d'associations professionnelles qui nuiront à l'optimisation financière du réseau de l'éducation, si chère aux libéraux: c'est l'improvisation du ministre Bolduc, qui gère à coup d'essais et d'erreurs un ministère auquel il ne connait rien.

Ce texte écrit par Pascal Grégoire, Ph. D., professeur (UQAT) et Suzanne Richard, Ph. D., chargée de cours (Université de Sherbrooke) est cosigné par : Naholi Allard, enseignante de français (CS Marguerite-Bourgeoys); Sylvie-Anne Barbeau, conseillère pédagogique (CSDM) et doctorante (UQAM); Marie-Christine Beaudry, Ph. D., professeure (UQAM); Christiane Blaser, Ph.D., professeure (Université de Sherbrooke); Priscilla Boyer, Ph. D., professeure (UQTR); Viviane Boucher, étudiante au doctorat (UQTR et UQAM); Carole Boudreau, Ph. D., professeure (Université de Sherbrooke); Jean-Philippe Boudreau, conseiller pédagogique (Collège Montmorency); Julie Cloutier, enseignante de français (Collège Jean-Eudes); Godelieve Debeurme, Ph. D., professeure (Université de Sherbrooke); Julie Désilets, enseignante de français (Collège Jean de la Mennais); Olivier Dezutter, Ph. D., professeur (Université de Sherbrooke); Érick Falardeau, Ph. D., professeur (Université Laval); Marie-Claude Gauthier, enseignante de français (Collège Jean-Eudes); David Godard, enseignant de français au secondaire; Nancy Goyette, Ph. D., agente de recherche, chargée de cours (UQTR); Nancy Granger, Ph. D., enseignante (UQAM et CS des Grandes-Seigneuries); Amélie Guay, M. A., et doctorante en éducation (UQO); Émilie Hoang, enseignante de français (CS de la Seigneurie-des-Mille-Îles); Elisabeth Jean, enseignante de français et secrétaire de l'AQPF; Christian Lamothe, enseignant de français (CS des Grandes-Seigneuries); Brigitte Lauzon-Fibich, enseignante de français (Collège Jean de la Mennais); Lizanne Lafontaine, Ph. D., professeure (UQO); Jacques Lecavalier, Ph. D., chargé de cours (Université de Sherbrooke); Danielle Lefebvre, M. Éd., chargée de cours (UQTR et Université de Montréal); Martin Lépine, professeur (Université de Sherbrooke); Marie-Hélène Marcoux, vice-présidente de l'AQPF et conseillère pédagogique ; Geneviève Messier, Ph. D., chargée de cours (UQAM et UQAC); Julie Myre-Bisaillon, Ph. D., professeure (Université de Sherbrooke) ; Pierre-Luc Pauzé, M. A., enseignant de français (Cégep de Saint-Hyacinthe); Maryse Paquet, enseignante de français; Isabelle Péladeau, directrice générale de l'AQPF; Julie Roberge, Ph. D., enseignante (Cégep André-Laurendeau) et chargée de cours (UQAM); Fouzia Sahrane, enseignante de français et chargée de cours; Ophélie Tremblay, Ph. D., professeure (UQAM); François Vincent, Ph. D., professeur (UQO)

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