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La liberté (relative) d'expression

Voici quelques idées qui me passent par la tête au sujet de la liberté d'expression et des limites qu'on peut lui opposer.
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On ne me fouettera jamais pour avoir écrit ce texte. Raif Badawi, lui, a été condamné à 1000 coups de fouet et 10 ans prison pour avoir blogué.

Ce jeudi à 20 h, on m'invite à être « Twiveuse » sur le plateau d'Open Télé à MAtv, une émission en direct animée par Sophie Durocher, où on débat les sujets brulants du moment. Au menu cette semaine: «Faut-il imposer des limites à la liberté d'expression?»

J'y réfléchis, mais ce qui ne m'échappe pas dans ma réflexion, c'est que la liberté d'expression ne se vit pas de façon absolue. On y met actuellement des limites, et celles-ci ne nous gênent pas forcément. Je reviens beaucoup à ce qu'a dit Rudi Sajous, que j'ai interviewé récemment au sujet du blackface : « La liberté d'expression des uns devrait s'arrêter au pied du respect et de la dignité des autres. »

Voici quelques idées qui me passent par la tête.

Le swastika : cool ou pas?

Cool : quand c'est dans un film ou sur une émission à la télé, dans un contexte historique ou fictif. Pas cool : quand c'est sur un costume d'Halloween dans la vraie vie. Pourtant, le prince Harry ne rendait pas forcément hommage au nazisme en portant ce déguisement, mais ça faisait preuve d'insensibilité et de maladresse. Il a vite appris sa leçon. Avant la Seconde Guerre mondiale, le swastika signifiait la bonne fortune; désormais, il n'appartient plus à ses origines. Si on choisit de ne pas utiliser le swastika, c'est par respect envers les communautés qui sont heurtées par ce symbole. Très peu dénoncent l'autocensure de ce geste. On dit que c'est justifié et justifiable, et on n'a pas tort.

Le discours haineux

Que fait-on quand la liberté d'expression nuit aux droits de la personne? Quel droit chérit-on davantage? Le concept du discours haineux raisonne que les propos de nature discriminatoires peuvent inciter à la violence, et nous avons la preuve - la Shoah et le génocide des Tutsis au Rwanda - que c'est une crainte légitime. Le débat qui tourne autour de l'imam Hamza Chaoui montre qu'il y a une volonté de limiter ce qui peut se dire, même si ces énoncés n'encourageraient pas forcément la violence. Suite à l'attentat contre Charlie Hebdo, on veut tout faire pour éviter une autre tragédie semblable. Identifier les discours haineux potentiels, c'est défendable. Mais strictement parlant, c'est quand même une restriction à la liberté d'expression qu'on accepte facilement.

La rectitude politique

Souvent, quand on invoque la rectitude politique, c'est parce qu'on veut continuer de dire des conneries, et c'est une façon plutôt efficace de réfuter ceux qui les dénoncent. La rectitude politique, ça dérange surtout ceux qui profitent du statu quo, et ceux-là, ils ne vivent rarement l'iniquité sociale au quotidien. La rectitude politique nous force donc à confronter le climat social actuel, ce qui, dans le meilleurs des cas, peut mener à mieux comprendre pourquoi certaines communautés se sentent blessées par certains propos.

Il existe toujours des inégalités

Qu'on se le dise : la discrimination, ce n'est pas réglé. Les femmes ne peuvent pas se promener seules sans être harcelées et elles gagnent en moyenne 75% du salaire des hommes. Le profilage racial est un problème qui règne au sein de la force policière. On vandalise des mosquées. Et malgré les arguments pour la laïcité au Québec, les modèles proposés favoriseraient quand même les mœurs et fêtes chrétiennes, convenablement désignées « historiques ». Tant que ces inégalités persistent, il y aura toujours des propos blessants pour ceux qui ne sont pas représentés par la culture dominante. Limiter ce genre de propos, c'est tant une admission que ces inégalités existent qu'un pas vers l'égalité qu'on recherche.

L'idée n'est pas fixe

La liberté d'expression n'est pas figée dans le temps. Elle occasionne un libre-échange d'idées, et ces idées sont mutables parce qu'elles sont alimentées par des contextes sociaux qui ressemblent à leur place dans l'histoire et dans le monde. La liberté d'expression est donc de nature évolutive. Ce qui était acceptable hier ne le sera pas demain; ce qui est offusquant ici ne l'est pas encore ailleurs. Tout ça, c'est inévitable. La liberté d'expression nous permet de changer d'avis puisqu'elle nous donne accès aux idées divergentes. C'est grâce à cette diversité que certains débats avancent et que la qualité d'expression s'améliore. Tant mieux si ça veut dire que les jokes de viol seront bientôt chose du passé.

Liberté, égalité, fraternité! (quand ça nous arrange)

Sommes-nous donc réellement libres de nous exprimer comme bon nous semble? Oui, mais c'est proportionnel à où on en est dans notre projet de société. Choses certaines : nous n'aimons pas les idées qui risquent de faire mal, et nous n'avons pas de difficulté à accueillir les idées qui se marient bien aux idéologies dominantes. Le reste, ça se discute.

Le gouvernement ne m'arrêtera pas pour avoir écrit ce texte. D'ailleurs, ce sont souvent ceux qui laissent des commentaires à la fin de mes billets qui me conseillent de me la fermer. Rien n'arrive à ceux qui manquent particulièrement de politesse.

Quand la liberté d'expression des uns déclenche la goujaterie gratuite des autres, on retient qu'on est libre de s'exprimer, mais jamais libre des conséquences.

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