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La crise portoricaine est-elle semblable à la crise grecque?

L'Espagne avait cédé Porto Rico aux États-Unis en 1898. Ce territoire est associé aux États-Unis depuis plus d'un siècle, mais doit faire face aujourd'hui à la plus importante crise économique et financière de son histoire.
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Un pays en crise

L'Espagne avait cédé Porto Rico aux États-Unis en 1898. D'une superficie de 8870 km2 ce pays à l'est des côtes d'Haïti et de la République Dominicaine représente la taille moyenne d'un grand département français. Ce territoire est associé aux États-Unis depuis plus d'un siècle, mais doit faire face aujourd'hui à la plus importante crise économique et financière de son histoire.

Cette crise dure depuis 10 ans et n'a jamais montré de signes d'amélioration. C'est un pays endetté avec des ressources de plus en plus limitées. En effet, il doit 73 milliards de dollars [67 milliards d'euros] à ses créanciers américains, principalement détenteurs d'obligations. Le fonds "The Puerto Rico Public Finance Corporation [PFC]" n'a pu rembourser que 628 000 dollars [573 000 euros] sur les 58 millions de dollars [53 millions d'euros] qu'il devait le 3 août 2015, soit 1,08% de la somme exigée. L'agence de notation américaine Moody's a aussitôt classé les obligations du pays en défaut de paiement partiel (default debt payment) avec la note "D". Le pays ne va plus pouvoir émettre de nouvelles obligations et va devoir faire face à des problèmes de liquidités.

En 2014, l'île avait émis 1,2 milliard de dollars de prêts à court terme. Porto Rico n'a jamais pu faire appel au FMI puisque ce n'est pas un État souverain, et les 3,6 millions de Portoricains sont citoyens américains. Face à un avenir incertain, l'exode de la population vers les États-Unis n'a jamais été aussi élevé depuis les 3 dernières années. Ainsi, plus de 3000 médecins ont quitté le territoire depuis cette période. Le pays ne pourra plus compter sur les recettes fiscales de ces exilés, indispensables à l'équilibre budgétaire. Ce dernier n'a jamais pu s'améliorer depuis cette période. L'économie se retrouve aujourd'hui dans une spirale financière difficilement gérable avec des rentrées fiscales moins élevées et une dette qui augmente. Le gouverneur doit rapidement trouver une issue afin d'éviter que le pays ne plonge dans un chaos économique et social échappant ainsi à toute gouvernance.

Une gouvernance en crise

La gouvernance actuelle est limitée dans ses choix politiques, économiques, fiscaux et budgétaires. Le gouverneur Alejandro Garcia Padilla du Commonwealth de Porto Rico refuse toute hausse d'impôts, de taxes et de procéder à de réelles coupes budgétaires. Il souhaite maintenir un service public indispensable à sa population. La remise en cause des services sociaux actuels pourrait avoir des conséquences sociétales fortes, puisque 45% de la population vit en deçà du seuil de pauvreté [La Banque Mondiale retient 1,25 dollar ou 2 dollars par jour]. En effet, 1/3 des Portoricains vivent avec des coupons alimentaires envoyés directement par Washington. Le salaire minimum n'existe plus. Les transports et l'électricité ont été privatisés. La TVA a été relevée à 16%. Ces mesures n'ont pas permis de réduire le montant de la dette ni d'augmenter les recettes afin de relancer l'économie. Dans le contexte actuel, la mise en place de nouvelles mesures d'austérité ne permettra pas de stimuler la croissance et l'emploi. Le gouverneur espère que le Congrès américain sera sensible à une restructuration partielle ou totale de la dette. Même si les lobbys portoricains fonctionnent dans les états du sud des États-Unis, l'île n'a, en effet, aucun représentant au Congrès bien qu'elle dépende de Washington. Le 24 août dernier, Porto Rico a annoncé s'être tournée vers la Cour suprême des États-Unis afin que ses entreprises publiques puissent être autorisées à se déclarer en faillite. Le pays attend que la plus haute juridiction légifère, comme elle en a la capacité, sur la restructuration de la dette publique "dette obligataire" de ses organismes.

L'explosion de la dette obligataire

L'endettement a été multiplié presque par trois entre 2000 et 2012. Après l'État de Californie et de New York, Porto Rico est devenu le troisième plus gros émetteur d'obligations municipales. La dette d'un État doit s'apprécier par rapport à son PIB. Ramené à la richesse produite par Porto Rico, le ratio de la dette/PIB est de 105% de son PIB alors qu'il atteint 180% pour la Grèce. Même si nous sommes loin des 320 milliards d'euros de la dette souveraine grecque, ne devons-nous pas intégrer le niveau d'une dette par rapport à sa population tout comme le pourcentage des créanciers étrangers par rapport aux créanciers nationaux ? La dette par habitant représente 19000 euros à Porto Rico contre 29600 euros en Grèce. Toutes choses égales par ailleurs, la dette souveraine par habitant est une photographie à un instant donné, mais elle doit être approfondie. En effet, ce n'est pas seulement le montant de la dette par habitant qui doit être retenu, mais la capacité d'un pays à développer sa croissance économique afin d'accroître ses ressources. Ces dernières facilitent ainsi le remboursement des différentes maturités. Les créanciers américains sont aujourd'hui particulièrement pessimistes sur le devenir de l'île puisque qu'elle n'offre aucune visibilité tant sur le plan économique que stratégique.

Des créanciers américains

Les ressources économiques ne suffisent plus pour rembourser les obligations émises auprès des marchés financiers. L'état de Porto Rico doit rembourser 5 milliards de dollars dans les 12 prochains mois, soit 6,8% de sa dette totale. Dans l'environnement actuel et sans l'intervention de Washington, il ne sera pas en mesure de respecter cet échéancier. Sans de nouvelles maturités, nous devons nous attendre à de nouveaux défauts de paiement. Les détenteurs d'obligations doivent être prêts à faire des efforts sur une augmentation de la maturité et une baisse du taux de la dette. 20% des fonds de pension américains détiennent de la dette portoricaine. Ces derniers ont beaucoup prêté puisqu'ils étaient intégralement exonérés d'impôts sur les intérêts. 34 hedge fund américains détiennent une grande partie de cette dette. Selon Moringstar, 180 fonds communs américains possèdent 5% de leurs actifs financiers en obligations portoricaines. Parmi les plus importants engagements financiers, nous retrouvons principalement les fonds suivants : Oppenheimer Rochester Fund Municipals [Taille du fonds : 5,7 milliards de dollars soit 5,2 milliards d'euros], Oppenheimer Rochester High Yield Muni [taille du fonds : 5 milliards de dollars soit 4,6 milliards d'euros], Goldman Sachs High Yield Muni [3,4 milliards de dollars soit 3,1 milliards d'euros]. Ces fonds spéculatifs souhaitent moins d'État Providence avec une réduction immédiate des dépenses publiques [école, santé]. Porto Rico utilise le dollar, la langue couramment pratiquée est l'anglais, mais le pays ne peut se prévaloir d'un statut équivalent à celui des 50 états américains. Contrairement aux villes américaines, Porto Rico n'a pas la faculté de se déclarer en faillite comme l'avait fait la ville de Détroit dans le Michigan en 2013 en bénéficiant du chapitre 9 du Bankruptcy code. Le dollar ne lui appartenant pas, elle ne peut le dévaluer. Les détenteurs d'obligations portoricaines doivent s'attendre à l'augmentation de la volatilité et à une baisse de la valeur faciale des obligations qu'ils détiennent. Les investisseurs devront supporter un coût : la baisse du rendement et de la valeur de leurs obligations. Après cette nouvelle crise obligataire, les investisseurs vont plus que jamais être sensibles à la santé financière d'un émetteur [quels que soient sa taille et son périmètre économique et fiscal] avant d'investir dans de nouvelles émissions obligataires d'un pays. Les primes de risques ne seront plus suffisantes pour assurer l'émission de nouvelles tranches obligataires. Les opérateurs de marché vont également être attentifs au marché obligataire des Iles Vierges américaines et de l'île de Guam. Les revenus des obligations municipales émises par ces territoires bénéficient d'une exonération fiscale totale. Le risque de défaut prévaut aussi pour une obligation émise par un pays. Les dispositifs fiscaux ne couvrent jamais le risque de défaut de l'emprunteur. Le défaut de paiement du 3 août dernier laisse présager un avenir incertain de l'île si les États-Unis ne s'impliquent pas davantage dans la crise portoricaine.

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Mai 2017

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