Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

L'ONU fête ses 70 ans et Johnnie attend toujours sa réponse

Autant l'ONU constitue le centre de gravité indispensable de toute légitimité internationale, autant l'organisation n'est pas, et n'a jamais été, l'acteur opérationnel de premier plan dans la plupart des champs d'intervention.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

«Trente-deux étages, quatre-vingt-deux pays membres, trois mille neuf cent quatre-vingt-quatre employés, un budget de soixante-et-un millions de dollars (...), ça doit tout de même pouvoir servir à quelque chose!». C'est par ces mots que Johnnie, héros idéaliste choisi par Fosco Sinibaldi - alias Romain Gary, alors porte-parole à la Représentation permanente française - pour incarner l'homme à la colombe dans le roman éponyme, découvre l'Organisation des Nations unies (ONU). Près de soixante ans plus tard et alors que le budget biennal de l'Organisation a été multiplié par cent, l'interrogation de Johnnie continue de nous hanter.

À cela, au moins deux raisons principales. La première a trait à un malentendu originel, que l'ONU n'a d'ailleurs jamais rien fait pour dissiper: contrairement à une idée reçue, elle est moins là pour faire que pour dire. Dans son épure historique, son objectif était de constituer un forum de discussion, lieu de rencontre des États, de leurs intérêts... et souvent de leurs égoïsmes. Ce n'est que progressivement, à partir notamment du début de la Guerre froide et de la guerre de Corée, que l'activité opérationnelle de l'ONU s'est amplifiée, d'abord dans le secteur de l'assistance technique et économique, puis une décennie plus tard en matière de sécurité internationale, à travers ce qui allait devenir les opérations de maintien de la paix.

Or, ce grand écart entre d'un côté des objectifs certes louables mais ambitieux et, de l'autre, des moyens opérationnels somme toute très limités, ne pouvait engendrer que frustration et désenchantement. C'était vrai hier lorsqu'il s'agissait de mettre un terme aux conflits des Balkans. Et cela risque de l'être demain, lorsque l'on évaluera l'atteinte des dix-sept objectifs du développement durable, tout juste adoptés à grands renforts de trompettes médiatiques.

La seconde raison est que l'organisation stricto sensu ne couvre qu'une part marginale de l'action onusienne. Il convient en effet de bien distinguer ce qui relève de l'ONU elle-même, centrée autour de ses six organes principaux et symbolisée par le célèbre fer à cheval du Conseil de sécurité, de ce qui est du ressort du système onusien, vaste ensemble hétéroclite de fonds, programmes et institutions spécialisées.

Or, qu'y-a-t-il de commun entre le Fonds monétaire international (FMI), l'Organisation Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO) et le Programme alimentaire mondial (PAM), si ce n'est que, à un titre ou un autre, ils sont organiquement liés à leur maison mère, l'organisation. Doit-on se plaindre de l'inefficacité de l'ONU lorsque l'Organisation mondiale pour la santé (OMS) peine à enrayer l'Ebola en Afrique de l'Ouest ou lorsque le Haut Commissariat pour les réfugiés se retrouve débordé par les afflux migratoires actuels? À l'évidence, non. Et pourtant, à défaut de comprendre toutes les subtilités du système, c'est bien vers les 39 étages du bâtiment de l'East River que, tel Johnnie, les 193 États membres et leurs citoyens se retournent.

Et c'est là que la vérité budgétaire doit contribuer à faire comprendre la réalité des faits. Prenons par exemple l'enjeu majeur du financement de la lutte contre le changement climatique, soit les fameux 100 milliards de dollars que les États du nord se sont engagés à investir dans les États du sud à l'horizon de 2020. À combien s'élèvent les dépenses imputées en la matière sur le budget ordinaire de l'organisation? À peine plus de 20 millions de dollars par an. Si l'on y ajoute les ressources allouées au Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), basé à Nairobi et financé principalement à partir de contributions volontaires, on atteint péniblement les 340 millions de dollars par an, pour un périmètre d'action d'ailleurs bien supérieur à la seule finance climat. Et même lorsque l'on comptabilise la force de frappe naissante du Fonds vert, nouveau mécanisme qui en dit d'ailleurs long sur l'empilement systématique des structures, on demeure à moins de 5% de l'effort total. Autant dire que l'effet d'entraînement de l'organisation est limité et que, dans les couloirs de l'organisation, on parle davantage de grands principes que de milliards.

On pourrait comme cela multiplier à l'infini les exemples, y compris en matière de maintien de la paix où les opérations onusiennes s'apparentent trop souvent à des interventions de seconde classe, mais le constat serait toujours le même: autant l'ONU constitue le centre de gravité indispensable, et bien souvent indépassable, de toute légitimité internationale, autant l'organisation n'est pas, et n'a jamais été d'ailleurs l'acteur opérationnel de premier plan dans la plupart des champs d'intervention. De sorte que les questions qui entourent l'ONU ne devraient pas être «combien cela coûte?» - même si quiconque a déjà travaillé au siège new-yorkais sait qu'il y a là matière à économies - mais bien davantage «comment faire pour que l'investissement consenti, bien marginal au regard des sommes investies dans la coopération internationale, serve réellement d'effet de levier?»

On s'interrogerait alors sur le rôle de coordination qui devrait être celui de l'Assemblée générale et du Conseil économique et social des Nations unies, l'Ecosoc. On réfléchirait peut-être à une meilleure articulation entre les organisations spécialisées et le forum onusien. On poserait probablement la question de la nécessaire mise en ordre des structures du système, qui se dupliquent trop souvent et gaspillent davantage de ressources à chercher des nouveaux financements qu'à œuvrer sur le terrain. On conceptualiserait enfin un multilatéralisme réellement efficace qui, faisant fi des querelles de chapelles, serait articulé autour de la seule notion du service rendu. Bref, au lieu comme Johnnie de désespérer de l'ONU et de se laisser mourir de faim, on tenterait probablement de réinventer un modèle qui soit source d'espoir pour le 21ème siècle.

Morgan Larhant est l'auteur des Finances de l'ONU (Presses de Sciences Po, février 2016).

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.