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La Cour pénale internationale et la question libyenne

La Cour pénale internationale laisse en suspens de nombreuses questions et doutes face à sa capacité de répliquer aux violations des droits de l'homme.
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Peut-on emprisonner les criminels de guerre? Une instance internationale existe pour le faire. La Cour pénale internationale, ou CPI, est une organisation intergouvernementale dont les négociations pour sa création ont débuté en 1994. C'est finalement quatre ans plus tard, en 1998 lors de la Conférence de Rome, que la Cour est créée avec l'approbation de 120 pays, l'opposition de 7 dont les États-Unis, et 21 abstentions. Sous la présidence du diplomate canadien Philippe Kirsch, il fallut cinq semaines de négociations pour y arriver. Pour que le Statut de Rome entre en vigueur, un nombre minimal de 60 pays devaient le ratifier. Ce nombre fut finalement atteint en date du 1er juillet 2002 et la Cour fut en mesure de débuter ses opérations. Le siège de la CPI se situe à La Haye, aux Pays-Bas. La Cour est financée par les États ayant ratifié son Statut et par toute autre donation volontaire de gouvernements, d'organismes non gouvernementaux, d'entreprises, etc.

L'ouverture d'un dossier à la CPI peut seulement s'effectuer sous certaines conditions. Le Conseil de sécurité ou un pays ayant ratifié le Statut de la CPI peut demander l'ouverture d'un dossier, ainsi que le procureur de la CPI accompagné d'un tribunal de trois juges.

La CPI est une institution judiciaire indépendante. Elle entretient des relations étroites avec l'ONU et le Conseil de sécurité, bien qu'elle n'émane pas de cette organisation internationale. Son Statut adopté à Rome lui permet d'agir sur plusieurs questions importantes de la justice pénale internationale. La Cour peut traîner devant les tribunaux les individus soupçonnés d'avoir commis certains actes en relation avec des violations des droits humains. Notamment, elle peut intervenir dans les cas de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocides.

Le droit d'enquêter sur une telle situation revient d'abord au pays concerné ; la CPI est donc une instance de dernier recours. La Cour se réserve toutefois le droit de se saisir du dossier si elle juge que le pays est dans l'incapacité de mener à bien l'enquête. Elle se réserve également ce droit dans le cas où l'enquête menée par le pays a pour but de protéger l'individu concerné plutôt que de le mener véritablement devant la justice. En date du 1er avril 2015, 123 pays avaient ratifié ce Statut.

En 2006, la Cour a entendu sa première cause, celle de Thomas Lubanga. Le rôle de la Cour était de déterminer si des charges seraient portées contre cet homme accusé d'avoir recruté des enfants soldats en République démocratique du Congo. Aujourd'hui, la CPI a 23 dossiers en cours dans 9 pays différents, notamment en Ouganda, au Soudan, en Côte d'Ivoire et en Libye.

Prenons l'exemple des dossiers libyens desquels la CPI s'occupe pour illustrer plus précisément son fonctionnement. Au début de l'année 2011, s'entame dans la ville de Benghazi, en Libye, une révolte populaire qui plonge le pays et le régime du colonel Kadhafi dans le chaos. Ce dernier réplique avec une répression violente à l'égard de sa population. En mars 2011, ne tolérant pas cette répression enclenchée par le régime de Kadhafi, les États membres du Conseil de sécurité de l'ONU décident de voter la résolution 1973, autorisant ceux-ci à prendre «toutes les mesures nécessaires [...] pour protéger les populations et zones civiles menacées d'attaques, en Jamahiriya arabe libyenne». Le 27 mars de la même année, l'OTAN déploie une opération militaire de vaste amplitude dans une interprétation extensive de cette résolution.

Manifestation à Dublin, 19 mars 2011, William Murphy. (CC BY-SA 2.0)

Les évènements de 2011 placent les excès du Printemps arabe en Libye à l'ordre du jour de la CPI et exhortent l'ouverture d'une enquête. Le 27 juin 2011, la CPI délivre trois mandats d'arrêt à l'encontre de Saif Al-Islam Kadhafi, Abdullah Al-Senussi et Muammar Mohammed Abu Minyar Kadhafi, chef du régime, dont la poursuite a été abandonnée suite à sa mort en octobre 2011. Ces derniers sont accusés de crimes contre l'humanité (meurtres et persécutions) à travers la Libye, commis entre les 15 et le 28 février 2011 par le biais des forces de sécurité libyennes et par l'appareil d'État, notamment contre sa propre population civile participant aux manifestations antirégime.

Le 11 octobre 2013, la Chambre préliminaire I déclara qu'en raison d'une enquête nationale menée par les autorités libyennes soucieuses de restaurer l'État de droit et démontrant une intention ferme de mener à bien l'enquête, l'affaire concernant Abdullah Al-Senussi était dorénavant irrecevable devant la CPI.

En effet, le champ d'intervention de la CPI ne commençant que lorsqu'il y a incapacité des systèmes de juridictions d'un État à juger des crimes importants, le procureur de la CPI a accepté la requête libyenne de prendre en charge le dossier avec réserve de garanties face au déroulement de la procédure.

Bien que le nouveau régime libyen ait la volonté de «satisfaire la soif de vengeance de sa population» par la prise en charge du dossier, s'en remettre à la CPI, tribunal international assurant un procès équitable sans recours à la peine de mort, pourrait dissocier le nouveau régime d'un usage politique de la justice, rouage d'un passé trouble (Perrin, 2012). Toutefois, en date du 10 décembre 2014, le gouvernement libyen n'avait toujours pas comblé et exécuté les demandes de coopération transmises par la CPI. Afin d'éradiquer les aléas de la communication et de la coopération, la CPI sollicita la participation du Conseil de sécurité, et le dossier libyen fut référé au Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies.

L'implication de la CPI dans le dossier libyen, ne serait-ce que pour les innombrables défis qu'elle comporte, est un cas exemplaire du développement de la justice internationale. Avec l'intervention de la CPI dans de nombreux dossiers internationaux, nous assistons à une prépondérance de politiques privilégiant la primauté du droit, au profit d'une inaction consternante de la communauté internationale. Le dossier libyen, encore ouvert, demeure un défi considérable pour la communauté internationale, puisque la question d'une justice pénale internationale claire et plus efficace fut remise en question avec les défis perdus par la Cour pénale internationale.

Enfin, c'est avec la résurgence du conflit interne, notamment par le biais d'actions terroristes en cours depuis l'été 2014 et suite aux nombreuses occasions d'intervention manquées de la CPI, que cette dernière laisse en suspens de nombreuses questions et doutes face à son office d'instrument de résolution de conflits et sa capacité de répliquer face aux violations des droits de l'homme.

Bérangère Desfonds et Geneviève Péladeau-Gervais,

Étudiantes au collège Jean-de-Brébeuf.

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Mai 2017

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