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La doctrine militaire défensive de l'Iran

Il reste encore du chemin à parcourir pour que les puissances mondiales et l'Iran signent un accord complet, le 30 juin prochain. Mais le capital politique investi est tel que nous avons atteint le point de non-retour.
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Désormais, nous avons de bonnes raisons de passer de "prudemment optimiste" à "optimiste" en ce qui concerne la crise sur le nucléaire iranien. Certes, il reste encore du chemin à parcourir pour que les puissances mondiales et l'Iran signent un accord complet, le 30 juin prochain. Mais le capital politique investi par l'administration Obama et par le gouvernement Rouhani est tel que nous avons atteint le point de non-retour. De plus, les concessions faites, de chaque côté, sont trop importantes, elles vont d'ailleurs au-delà de ce que chacun aurait pu imaginer.

Le Guide Suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei, s'est également investi pour garantir le succès de ces négociations. Trois points principaux sont à retenir de son discours prononcé après l'accord-cadre de Lausanne. Premièrement, il a rassuré les différents centres de pouvoir en Iran en expliquant que les négociateurs iraniens n'avaient pas franchi les lignes rouges et qu'ils avaient préservé les intérêts et la dignité du peuple iranien. Deuxièmement, malgré sa méfiance à l'égard de l'Occident, il a réaffirmé son soutien au ministre des Affaires étrangères iranien Javad Zarif (qui dirige les négociations). Et troisièmement, il a exprimé pour la première fois un élément clé -- pourtant peu remarqué des médias- du programme du président Rouhani: la possibilité d'engager des pourparlers avec les États-Unis sur d'autres sujets que le nucléaire (si l'expérience des négociations sur le nucléaire est concluante).

Le succès de l'accord permettra à Washington et à Téhéran de déverrouiller les discussions autour de la résolution des multiples crises de sécurité régionale (jusqu'à présent rendue impossible à cause de la crise du nucléaire). En effet, une détente entre l'Iran et les États-Unis créera un espace politique pour une coopération pragmatique ayant pour objectif la lutte contre leurs principales menaces communes en Irak, en Afghanistan, au Yémen, au Liban: le terrorisme d'Al-Qaeda, Daesh et les autres groupes extrémistes sunnites.

Cela fait maintenant plus de 20 ans que l'Iran est exclu de la table des négociations pour résoudre ces crises et le résultat est sans appel: c'est un échec. L'argument des conservateurs qui s'opposent à une telle coopération est le suivant: l'Iran est un État qui "sponsorise le terrorisme", qui soutient le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen, les milices chiites en Irak, le gouvernement de Bachar al-Assad en Syrie et par conséquent, il ne peut faire partie de la solution. Déconstruisons ceci et étudions la doctrine militaire de l'Iran dans la région (chose que certains analystes choisissent -- en faisant preuve de malhonnêteté intellectuelle -- de ne jamais présenter).

Deux principaux courants dominent la politique étrangère iranienne. Le premier est la ligne dure, dont faisait partie l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad. Elle estime que les États-Unis ont pour objectif de renverser ou d'attaquer la République islamique et que, par conséquent, céder le moindre millimètre à l'Occident représente un danger. Ainsi, selon ce raisonnement, le déploiement de l'influence iranienne chez ses voisins permet à l'Iran de se protéger de toutes agressions étrangères ou d'attaques militaires.

Ces craintes ne sont pas illégitimes et Barack Obama a récemment expliqué, sur ce sujet, lors d'une entrevue vidéo au New York Times, une chose qui a également été peu remarquée dans les médias. Il explique que:

"La psychologie de l'Iran est en partie ancrée dans les expériences passées, le sentiment que leur pays a été ébranlé, que les États-Unis ou l'Occident se sont immiscés d'abord dans leur démocratie [référence au coup d'État anglo-américain de 1953 qui a renversé le premier ministre démocratiquement élu, Mohammad Mossadegh], puis en soutenant le Chah [Mohammad Reza Pahlavi] et ensuite en soutenant l'Irak et Saddam [Hussein] pendant cette guerre extrêmement brutale".

Ces mots sont importants et inédits. En effet, ce que peu d'Américains ou d'Occidentaux savent, aucun Iranien ne l'ignore (conservateurs ou réformistes). Pour rappel, les Iraniens se souviennent que c'est l'Irak qui a envahi l'Iran, le 22 septembre 1980, et que c'est l'ensemble des pays arabes du golfe Persique qui a financé l'agresseur à hauteur de 50 à 100 milliards de dollars selon les estimations. Les Iraniens, méfiants, savent aussi que l'Occident a également soutenu l'agresseur.

Obama poursuit: "Donc ce que j'ai dit en partie à mon équipe est que nous devons faire la distinction entre l'Iran offensif, influencé idéologiquement, et l'Iran défensif qui se sent vulnérable et peut parfois réagir parce qu'ils perçoivent cela comme étant le seul moyen qui leur permet d'éviter les répétitions du passé."

En effet, après avoir combattu ce qui est connu en Iran sous le nom de "guerre imposée" ou "défense sacrée" déclenchée par les voisins arabes, l'Iran a adopté une stratégie militaire régionale défensive. La guerre Iran-Irak a duré huit ans et elle a fait près d'un million de victimes côté iranien, dont plusieurs dizaines de milliers tués par des armes chimiques fournies par l'Occident, et plus de 600 milliards de dollars de dégâts. Les liens de l'Iran dans la région lui permettent de faire en sorte qu'une telle tragédie ne se reproduise jamais.

Selon un document déclassifié du Pentagone destiné au Congrès américain datant du 7 juillet 2014, "la stratégie militaire de l'Iran est défensive" et elle est conçue pour "dissuader une attaque, survivre à une frappe initiale, riposter contre un agresseur et contraindre à une solution diplomatique", tout en évitant des concessions majeures. La ligne politique choisie par Ahmadinejad (premier courant de pensée en Iran), mais aussi par l'appareil sécuritaire du pays dirigé par les Gardiens de la Révolution visait à projeter l'influence iranienne de sorte que l'Iran ne cède pas d'un iota. Cette confrontation apportait un cycle d'escalade des tensions prenant le chemin de la guerre puisque les États-Unis et l'Union Européenne refusaient également de céder devant l'Iran.

Le deuxième courant de politique étrangère iranienne est celui choisi par les modérés et les réformateurs -- et donc Hassan Rouhani et Javad Zarif -- à savoir l'engagement par la voie de la diplomatie, tant avec l'Occident qu'avec les voisins arabes sunnites. Le Guide Suprême, qui se positionne entre les deux lignes, soutient la politique d'engagement de son gouvernement. Par conséquent, un accord sur le nucléaire est une chance unique qui va dans l'intérêt de chaque partie et qui pourra redéfinir l'équilibre des relations américaines dans le Moyen-Orient. La bonne mise en œuvre de l'accord sur le nucléaire ouvrira probablement des pourparlers entre Obama et Téhéran. Ils sont indispensables à la stabilisation de la région. Cependant, un Républicain à la Maison Blanche en 2017 mettrait très probablement un terme à un tel projet d'intérêt commun.

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