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Élections en Iran : la disqualification de Rafsandjani ancre la République islamique dans une ère sécuritaire

Les élections présidentielles en Iran vont avoir lieu le 14 juin. La disqualification du charismatique candidat réformateur Ali Akbar Hashemi Rafsandjani fut un choc pour de nombreux Iraniens qui espéraient une nouvelle administration, ainsi qu'une meilleure gestion de l'économie et de la diplomatie. Cette élimination marque la main mise de la mouvance sécuritaire de la République islamique.
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AP

Les élections présidentielles (et municipales) en Iran vont avoir lieu le 14 juin. La disqualification du charismatique candidat réformateur Ali Akbar Hashemi Rafsandjani fut un choc pour de nombreux Iraniens qui espéraient une nouvelle administration, ainsi qu'une meilleure gestion de l'économie et de la diplomatie. Cette élimination marque la main mise de la mouvance sécuritaire de la République islamique.

Le Conseil des Gardiens de la Constitution - organe constitué de 12 membres: six religieux désignés par le Guide suprême et six juristes élus par le Parlement - a disqualifié deux potentiels favoris à l'élection. Tout d'abord, le protégé du président sortant Mahmoud Ahmadinejad, le conservateur Esfandiar Rahim Mashaei, qui est depuis longtemps dans le viseur du clergé iranien à cause de ses tendances à miser la carte du nationalisme aux dépens de celle de l'islam. L'argument mis en avant par le clergé pour le sortir était de qualifier la ligne du candidat comme faisant partie d'un «courant déviationniste». Sa disqualification n'est pas vraiment une surprise.

Par contre, la disqualification d'Ali Akbar Hashemi Rafsandjani est quant à elle plus surprenante et cette décision confirme que la République islamique mise désormais sur une politique plus sécuritaire que théocratique. Véritable pilier de la révolution et de la République islamique, sa disqualification est, comme le titre le quotidien Ebtekar, «un grand choc». Sa voix pèse considérablement sur la société iranienne et sur le clergé chiite. Son expérience est inégalée en Iran, et sa vision politique diffère diamétralement de celle d'Ahmadinejad ou des conservateurs (son récent discours délivré après la décision du Conseil des Gardiens - qui est majoritairement dirigé par des conservateurs - fustige l'actuel leadership).

Son inscription à la dernière minute a fédéré de manière incroyable un grand nombre de soutiens (pas seulement du camp réformateur). De nombreux leaders chiites des grandes villes saintes de Qom, Najaf ou Machhad, et d'autres figures importantes, se sont empressés de faire part de leurs soutiens à Rafsandjani, réduisant ainsi la manœuvrabilité du Guide Suprême Ali Khamenei. Le fait qu'un Ayatollah comme Rafsandjani puisse être exclu de la course démontre la transition entre l'autorité absolue du Velayat-e faqih (la tutelle de la jurisprudence) à l'autorité nécessaire du Sepah-e Pasdaran (les Gardiens de la Révolution, communément appelés Sepah en Iran). Comme le dit l'expert iranien Ahmad Salamatian: «derrière le turban de Khamenei, c'est le képi des militaires et des gardiens de la Révolution qui se montre».

Les candidats à l'élection présidentielle iranienne (en anglais)

Le billet se poursuit après la galerie

Ali Akbar Velayati

Iran's Official 2013 Presidential Candidates

Quelques éclaircissements. Le Sepah est l'une des forces spéciales les plus puissantes et organisées dans le monde. C'est une branche de l'armée iranienne créée après la révolution par l'Ayatollah Khomeiny afin de préserver la République islamique d'éventuelles tentatives - internes ou externes - de renverser la révolution. A l'époque de la transition du pouvoir du Shah à celui des révolutionnaires, Khomeiny avait compris qu'il était trop risqué de dissoudre l'armée. Par conséquent, il décida de contrecarrer les tentatives de putsch militaire en créant une armée parallèle : le Corps des Gardiens de la Révolution islamique - le Sepah. Ce groupe paramilitaire s'est incroyablement développé pendant la guerre Iran-Irak. Il est désormais présent dans les débats politiques et ses services de renseignements ont pris une autre tournure lors de la présidence de Khatami (1997-2005), période de demandes populaires de réformes sociales.

Les manifestations massives qui ont suivit la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en 2009 représentent un véritable tournant qui a considérablement accru le pouvoir des Gardiens de la Révolution. Le Mouvement vert a amplifié le rôle des Gardiens de la Révolution qui ont su couper court le mouvement en le réprimant.

L'épisode suivant qui démontre la transition du pouvoir est celui des élections législatives de 2012. Près des trois quarts des candidats appartenaient au Sepah-e Pasdaran, et le motif principal mis en avant par le Conseil des Gardiens pour disqualifier des candidats ne concernait plus la mise en question de la loyauté envers le principe du Velayat-e Faqih, mais plutôt la dénonciation de la «guerre douce» (jang-e narm) articulée par l'ouverture aux nouvelles technologies de communications, les réseaux sociaux, les moteurs de recherches ou les SMS.

La récente disqualification de Rafsandjani confirme que la République islamique s'ancre dans une ère sécuritaro-militaire. Bien que la stratégie des conservateurs pour éliminer le favori âgé de 78 ans fût de prétendre qu'il était trop âgé, la stratégie de défense de l'intérêt national est claire : elle repose sur des questions sécuritaires. Par ailleurs, le projet de loi limitant les candidats âgés de plus de 75 ans à se présenter n'a pas été validé par le Conseil des Gardiens lui-même.

Rafsandjani et Mashaei étaient deux candidats susceptibles de créer un enthousiasme potentiellement capable d'enflammer les élections au point de déstabiliser à nouveau la République islamique, et leur élimination laisse place à des candidats moins connus, moins charismatiques, et moins à même de défier l'autorité du Guide suprême. Cependant, comme l'explique Trita Parsi, président du National Iranian American Council : « Bien que Khamenei puisse continuer de contracter le paysage politique, il existe des doutes quant à sa capacité à gouverner de cette manière. Éliminer les rivaux politiques du paysage politique ne revient pas à éliminer ses supporters de la société ».

De plus, il faut également voir au-delà de l'élection. En cas d'accord avec l'Occident sur la question du programme nucléaire, une importante interrogation demeure: quel président bénéficiera de l'énorme gain politique produit par un tel accord? Ce qui est certain, c'est que cela serait politiquement difficile pour Khamenei que le crédit revienne à Rafsandjani, ou au camp d'Ahmadinejad qui défi déjà l'autorité du Guide suprême.

Enfin, pour comprendre les décisions autour du choix des candidats, il faut garder à l'esprit le contexte régional. L'Iran est situé au centre d'une région qui est menacée de conflagration à tout moment. Une déstabilisation du régime ne mettrait pas seulement en jeu la stabilité du pouvoir; elle mettrait en jeu la stabilité de l'État iranien, risquant ainsi de détruire les équilibres de pouvoir d'une région déjà bien tourmentée.

En effet, la logique de l'entourage du Guide suprême est qu'un affaiblissement de l'État provenant de l'intérieur - ou de l'extérieur du pays - ouvrirait un boulevard aux groupes séparatistes (parmi les exemples mentionnés par Rafsandjani dans un récent discours figurent des séparatistes des provinces de Sistan, Baloutchistan et Azerbaïdjan). Rafsandjani, ne faisant pas appel à la décision du Conseil des Gardiens, comprend ce danger et évite une confrontation interne directe. Le contexte régional mêlé à des confrontations internes violentes mettrait davantage en difficulté la défense de l'intérêt national de l'Iran. Cela rendrait difficile le maintien de la stabilité de ses frontières et offrirait un espace à des potentielles violences sectaires, créant ainsi un scénario à la syrienne ou l'irakienne de plus grande ampleur.

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