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La réponse des Tunisiens à l'assassinat de Chokri Belaïd

Si la liberté vaincra en Tunisie, si la Tunisie est le dernier État touché par le printemps arabe qui pourrait ne pas tomber dans l'escarcelle des islamistes, et notamment des Frères musulmans, si la société civile tunisienne est si prompte à réagir quand le destin de sa révolution est menacé, c'est parce que la Tunisie, avec ses 3 000 ans d'histoire, peut-être plus que ses voisins méditerranéens, est un pays de la synthèse entre la tradition et la modernité.
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Ce matin là, la Tunisie s'est réveillée au son des pleurs, et avant même le chant du muezzin, au son des balles qui résonnait dans Tunis en écho.

Ce matin là, nous apprenions que pour la deuxième fois en moins d'un an en Tunisie, un responsable politique était assassiné.

La mort de Chokri Belaid, le leader du Mouvement de gauche des Patriotes démocrates, mercredi 6 février dernier, diffère cependant du meurtre de Lotfi Naguedh, militant du parti de centre droit Nidaa Tounes survenue le 18 octobre dernier. Cet assassinat, n'est pas en effet le fruit d'un lynchage aussi spontané et incontrôlable que sont barbares les accès de folie de la foule. Il présente tous les signes d'une préparation, minutieuse, visant à mettre à mort un symbole national.

Quels que soient les résultats de l'enquête, alors que sont pointées du doigt les fameuses milices salafistes étrangement appelées "de protection de la Révolution", cet assassinat a provoqué un électrochoc.

Cet assassinat appelle à l'action de tous les démocrates, tunisiens et amis de la Tunisie, pour mobiliser toutes les composantes de la société tunisienne favorables à une Tunisie des libertés. Car l'heure est grave.

Alors que le gouvernement tripartite de Hamadi Jebali vient de démissionner, alors que les travaux de la Constituante viennent à peine de reprendre (mais qui l'a remarqué ?), la société tunisienne, le peuple de la révolution a décidé de se faire entendre à nouveau : ils étaient, et elles étaient des centaines de milliers, peut-être un million, aux obsèques de Chokri Belaïd.

Le billet de Michel Taube se poursuit après la galerie photos

Funérailles de Chokri Belaïd

Tunisie: les funérailles de Chokri Belaïd

Ils seront très nombreux lundi à Paris au théâtre Dejazet pour lancer un Appel solennel pour une Tunisie des libertés. À cette occasion, des Tunisiens de tous bords, de la société civile et des partis politiques, des Français attachés à la Tunisie et à l'issue démocratique des printemps arabes, seront ensemble à l'invitation de l'Institut Arabe des Droits de l'Homme, de la FIDH et de notre journal www.opinion-internationale.com. Cette soirée vise à mobiliser la communauté internationale pour soutenir le Pacte de Tunisie des droits et libertés, texte qui demande l'inscription de l'universalité des droits humains dans la Constitution tunisienne. Ce Pacte, signé par des milliers de Tunisiens, c'est la Déclaration universelle des droits de l'Homme version tunisienne, comme nous eûmes en leur temps les versions américaine et française.

Telle est et telle sera la réponse du peuple de la révolution aux assassins de Chokri Belaïd et aux ennemis de cette révolution de la dignité et de la liberté.

Si la liberté vaincra en Tunisie selon nous, si la Tunisie est le dernier État touché par le printemps arabe qui pourrait ne pas tomber dans l'escarcelle des islamistes, et notamment des Frères musulmans, si la société civile tunisienne est si prompte à réagir quand le destin de sa révolution est menacé, c'est parce que la Tunisie, avec ses 3 000 ans d'histoire, peut-être plus que ses voisins méditerranéens, est un pays de la synthèse entre la tradition et la modernité. La Tunisie, c'est l'histoire d'un pays au carrefour des cultures, premier État à abolir l'esclavage, premier Etat du monde arabe à se doter d'une Constitution, premier Etat à adopter un statut de la femme que toutes les femmes arabes envient à leurs amies tunisiennes, enfin le premier peuple à se dégager du joug de la dictature, ouvrant la voie aux révolutionnaires égyptiens, libyens, syriens, yéménites et bahreinis. Les Tunisiens aspirent à la liberté et c'est pourquoi nous ne croyons pas une minute que les islamistes prendront le dessus sur les démocrates.

Un défi politique

Cependant, la société civile et les citoyens ne peuvent tout faire. Nous sommes convaincus que la mort de Chokri Belaid est avant tout un défi lancé à toute la classe politique tunisienne. Nous pensons que ce crime politique sonne comme un double appel :

Un appel à l'union entre les partis d'opposition, la frange modérée d'Ennahdha représentée par le premier ministre démissionnaire et ses alliés de la Troïka, le Congrès pour la République et le parti Ettakatol, pour assurer que la Tunisie de la Révolution protège pour ses enfants, les libertés et refuse la tentation de la violence.

N'en déplaise aux Cassandre, cette union est possible : souvenons nous du Comité du 18 octobre pour les droits et libertés en Tunisie, créé en 2005 pour soutenir la grève de la faim de l'opposition légale au régime de Ben Ali, parmi lesquels des membres de la gauche, de la société civile, mais aussi des islamistes.

Islamistes comme libéraux ont souffert dans leur chair de la dictature : pressions, années de prison, et pour les plus chanceux, l'exil. Et ils ne seraient pas capables de surmonter leurs divisions aujourd'hui ? On cherche en vain une telle concorde puisée dans la souffrance des corps quand ce sont aujourd'hui les cœurs des patriotes de Tunisie qui souffrent du laxisme face aux attaques sur les libertés, autrefois chèrement défendues, qui saignent face aux dérives d'une politique identitaire qui clive intentionnellement et artificiellement les Tunisiens autour de la question religieuse. Quels acteurs peuvent en effet aujourd'hui porter ce mouvement, alors que le gouvernement est compromis, que la crise au sommet de l'Etat atteint des sommets et que la population perd confiance dans ses dirigeants ?

Le deuxième scénario est dicté par les raisons de la démocratie et de l'Etat de droit : que l'Assemblée constituante cesse de se prendre pour une Instance législative qu'elle n'aurait jamais dû être. Qu'elle adopte enfin (après un an et demi de travaux qui dépasse largement l'engagement initial d'un an) une Constitution qui affirmera sans réserve l'universalité des droits humains, l'interdiction de tout parti politique violent (à l'instar de la Loi fondamentale allemande) et quelques grands principes constitutionnels d'une Tunisie moderne et respectueuse de ses traditions. Une fois la Loi fondamentale adoptée, les Tunisiens pourront retourner aux urnes et choisir le projet de société qu'ils souhaitent pour leur avenir.

Mesdames, Messieurs les politiques, réveillez-vous ! Le peuple de la révolution du 14 janvier vous en conjure.

Michel Taube, avec Emma Ghariani

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