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Le NPD, Énergie Est et le pétrole de l'ouest

Il ne faut pas défendre une position ambiguë sur ces enjeux et l'accompagner de phrases creuses ou de vœux pieux, car il en va du sort de la planète.
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Le NPD est-il pour ou contre le projet Énergie Est (ÉE)? Il est difficile de répondre clairement à cette question. Un nuage d'ambiguïté électoraliste règne sur cet enjeu au sein du parti et son chef n'a pas contribué à clarifier la situation.

Mulcair n'est-il pas pour Énergie Est?

Dans plusieurs déclarations, Tom Mulcair s'est ouvertement montré favorable au projet. Il a, par exemple, qualifié le projet ÉE d'«option sensée».

L'argument semble être le suivant: s'il faut produire du pétrole, vaut mieux le produire chez nous au lieu de l'importer de la mer du Nord ou des pays arabes, surtout si ça nous donne des emplois et que c'est sécuritaire. Vaut mieux aussi utiliser les pipelines que les trains qui sont moins sécuritaires. C'est semble-t-il ce qu'il faut comprendre lorsque Tom Mulcair affirme que ÉE est une option sensée.

Cet argument présente toutefois plusieurs difficultés. Premièrement, on laisse entendre que l'enjeu autour d'ÉE en est un d'approvisionnement, alors que c'est d'abord et avant tout un enjeu d'exportation. En effet, si ÉE voit le jour, on ne va pas remplacer tout le pétrole importé par du pétrole produit ici.

Selon Équiterre, les raffineries québécoises vont vouloir maintenir une variété de sources d'approvisionnement. En outre, selon certains experts consultés, nos raffineries ne sont pas en mesure de raffiner aisément le «pétrole» issu des sables bitumineux. Deuxièmement, le transport par train ne va pas disparaître non plus. Il y a une telle quantité de pétrole à exporter que le transport par train va être maintenu, voire accentué. Enfin, l'argument occulte plein d'autres questions liées à la transparence du processus d'approbation et à l'acceptabilité sociale.

Mulcair n'est-il pas contre Énergie Est?

On a toutefois aussi des raisons de penser que Tom Mulcair est contre Énergie Est. On a rapporté ainsi les propos qu'il aurait apparemment tenu: «Énergie Est a comme prémisse, a-t-il enchaîné, de doubler la quantité de pétrole qu'on sortira des sables bitumineux. Si on le fait sans regarder la quantité de gaz à effet de serre, sans regarder la pollution, on est en train de permettre la construction d'une infrastructure qui ne devrait pas exister dans ces volumes.»

Il semble donc que pour que le projet ÉE soit acceptable, selon Mulcair il faut non seulement qu'il soit sécuritaire et que cela nous rapporte des emplois, mais il faut aussi que cela aille de pair avec une réduction progressive de la production issue des sables bitumineux.

L'idée semble être la suivante: dans une perspective de développement durable, il faut taxer la production de pétrole sale. Cette taxe peut servir à investir dans des énergies durables, mais elle peut aussi servir à réduire la production de pétrole albertain.

L'élément le plus faible de cette argumentation est le suivant: on ne voit pas comment le projet ÉE pourrait être compatible avec une réduction progressive de la production. Comme on vient de le faire remarquer, il ne s'agit pas simplement de remplacer le pétrole importé par du pétrole produit ici. Le projet vise pour l'essentiel à exporter du pétrole des sables bitumineux et non seulement à approvisionner le Canada. La quantité de pétrole susceptible d'être extraite en Alberta dépasse donc largement nos besoins de consommation. Les 1,1 million de barils qui sont censés circuler sur le territoire du Québec dans le pipeline d'Énergie Est représentent trois fois la consommation actuelle de pétrole au Québec.

En outre, la production de ce pétrole est extrêmement coûteuse. Pour que le projet soit rentable, il faut que le pipeline d'Énergie Est fasse circuler une très grande quantité de pétrole. En l'occurrence, on prévoit faire transiter plus de 400 millions de barils par année et éventuellement, selon Équiterre, tripler la production (et non seulement la doubler comme l'affirme Mulcair). Ce n'est pas pour rien que les projets Northern Gateway (vers la Colombie-Britannique), Keystone XL (vers les États-Unis) et ÉE ont vu le jour. On veut augmenter la cadence et produire de plus en plus de pétrole.

L'objectif de réduire progressivement la production de pétrole ne semble donc pas compatible avec le projet ÉE. Si le projet est inacceptable «dans l'état actuel», ce n'est pas seulement pour des raisons de sécurité ou des raisons liées au trop peu d'emplois générés au Québec, mais aussi pour des raisons liées aux objectifs de réduction progressive de la production.

Un projet inacceptable «dans l'état actuel»?

On peut en ce sens trouver problématique de voir le NPD affirmer que le projet est seulement inacceptable «dans son état actuel». Dans une perspective de développement durable et du remplacement progressif des hydrocarbures par des énergies renouvelables, le projet semble être inacceptable tout court. Certains stratèges du parti auront beau nous indiquer qu'effectivement, le NPD est contre le projet ÉE, car cela découle logiquement du fait qu'il suppose une production croissante alors que le NPD envisage une production décroissante. Mais on se demande alors pourquoi le parti n'affiche pas plus clairement ses couleurs. Si les positions défendues par le NPD impliquent un rejet d'ÉE, pourquoi ne pas le dire? Pourquoi se contenter seulement de dire que le projet est inacceptable «dans l'état actuel»?

L'aile jeunesse du parti ne s'y est pas trompée. Elle a bien noté, puis critiqué, l'ambivalence du chef sur cette question.

La vraie raison de cette ambiguïté affichée par Tom Mulcair et le NPD est électoraliste. S'il m'était permis de filer une double métaphore, je dirais que le NPD souffle le chaud et le froid dans le but de ménager la chèvre et le chou. On ne veut pas heurter les sensibilités de l'est ou les sensibilités de l'ouest. Toutefois, l'entrée dans la campagne électorale d'un Bloc québécois dirigé par Gilles Duceppe va inévitablement changer la donne. Le NPD ne peut plus espérer se faufiler jusqu'au fil d'arrivée sans prendre clairement position sur cet enjeu.

Une autre raison de s'opposer: le manque flagrant de transparence

En plus des problèmes de sécurité, d'emplois et de développement durable, il y a des problèmes de transparence. Il y a ces 75 lobbyistes qui manoeuvrent en coulisse pour convaincre les élus. Il y a la TransCanada Corporation qui tente de contourner le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) et qui cherche à acheter secrètement le consentement des peuples autochtones. Il y a enfin aussi l'Office national de l'énergie (ONE) qui n'a même pas dans son mandat d'évaluer la quantité de gaz à effet de serre (GES) produite par l'extraction de 1,1 million de barils de pétrole par jour.

Grâce à l'institut Pembina, on sait cependant que la production de GES découlant de l'extraction de 1,1 million de barils par jour serait gigantesque. Puisque le pétrole des sables bitumineux produit cinq fois plus de GES que le pétrole ordinaire, l'institut Pembina a évalué à plus de 30 millions de tonnes la quantité de GES produite chaque année. Cela équivaut aux émissions annuelles de 7 millions de véhicules, ou à 40% de la totalité des émissions de GES au Québec.

Puisque l'ONE ne peut pas procéder à une évaluation de la pollution engendrée par l'extraction d'un pétrole sale, le NPD a une autre raison de s'opposer au projet.

Rien pour le Québec

Le projet ÉE ne donnera pas d'emplois au Québec. Après la construction du pipeline, il y en aura une trentaine tout au plus. Le pipeline ne sera pas non plus sécuritaire. Traversant plus de 60 municipalités et plus de 300 cours d'eau, la probabilité d'un déversement est immense.

Le Québec ne doit pas accepter que l'oléoduc passe sur son territoire pour «remercier» l'Alberta de bien vouloir nous consentir des transferts de péréquation. Au contraire, c'est parce que le gouvernement canadien commet l'erreur de ne pas diversifier suffisamment l'économie et qu'il concentre le développement économique en Alberta que cela entraîne de la péréquation. Une politique économique plus équilibrée et diversifiée serait préférable à une économie concentrée dans une région du pays combinée à de la péréquation. Cela vaut pour le Canada tout entier, cela vaut pour le Québec et cela vaut aussi pour l'Alberta.

Au-delà des emplois et de la sécurité

Un autre aspect important qui devrait alimenter la réflexion de Mulcair et ses troupes est que, dans l'état actuel, le Canada a un comportement en matière énergétique qui, s'il était imité par les autres pays, engendrerait une augmentation de la température de la planète d'ici à la fin du siècle atteignant 3 à 4 degrés.

En clair, le comportement actuel du Canada est celui d'un État resquilleur en matière de pollution. Il doit compter sur les efforts déployés par les autres pays pour éviter une catastrophe climatique. Avec ÉE, ce serait encore pire.

Le NPD ne peut pas et ne doit pas occulter ces enjeux. Il ne faut pas défendre une position ambiguë et l'accompagner de phrases creuses ou de vœux pieux, car il en va du sort de la planète.

Que faut-il faire maintenant?

Il ne s'agit pas d'arrêter tout d'un coup la production de pétrole en Alberta, mais il ne faut pas l'augmenter non plus. Au contraire, il faut progressivement la réduire au profit de l'énergie solaire qui, comme par hasard, est apparemment davantage disponible en Alberta. Il faut imposer une taxe sur le carbone qui financerait le développement de telles énergies alternatives. Tout cela est incompatible avec le projet Énergie Est qui va impliquer une production susceptible de tripler.

Il ne faut donc pas que le NPD regarde le projet seulement sous l'angle de l'autonomie énergétique, des emplois que le projet peut engendrer, et de la sécurité. Il faut l'examiner en tenant compte des GES produits par l'extraction de 1,1 million de barils par jour. Il faut l'examiner dans le contexte d'un réchauffement climatique global auquel le Canada contribue déjà beaucoup trop. Il faut l'examiner à l'aune de la responsabilité que les pays riches doivent assumer à l'égard des pays en voie de développement. Il faut l'examiner dans le contexte de la réduction progressive de la production d'hydrocarbures, et donc d'une autonomie accrue à l'égard des énergies fossiles. Pour le dire crûment, il faut aussi être contre le projet ÉE en tant que crime potentiel contre l'humanité.

Conclusion

Dans son encyclique publiée en juin 2015, le pape François en appelle à une révolution culturelle qui serait audacieuse en matière environnementale. Il blâme les pays riches qui n'assument pas leur dette écologique à l'égard des pays pauvres et dénonce les gouvernements qui veulent adopter la stratégie des petits pas ou qui font obstruction au changement. Il exhorte les pays riches pour qu'ils sauvent la planète d'un désastre écologique. Ce message s'adresse aux États-Unis, mais il s'adresse bien entendu aussi au Canada.

Avec le projet ÉE, le Canada et le Québec sont à la croisée des chemins. Il faut espérer que, s'il est élu premier ministre, Tom Mulcair sera à la hauteur et qu'il réagira en homme d'État responsable et capable de comprendre les enjeux cruciaux du Canada et du Québec, voire de l'humanité entière.

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