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Nationalisme ou pluralisme? Pourquoi choisir?

L'ordre constitutionnel canadien a été imposé au Québec sans la reconnaissance de son identité et sans tenir compte de ses revendications traditionnelles.
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On commence à appréhender l'ampleur de notre penchant profond à la discrimination. Il ne faut pas viser seulement le Bye Bye et la pratique du «blackface» ou les émissions de télévision de Radio-Canada, ni même seulement l'attitude des citoyens en général à l'égard des personnes racisées.

Ce qui est en cause, c'est la difficulté du peuple québécois (comme de bien d'autres peuples d'ailleurs) d'accepter la différence, de respecter la diversité et de reconnaître les minorités. Certes, le peuple québécois «reconnaît» bel et bien la minorité anglophone. Celle-ci est «mieux traitée» que les minorités francophones hors Québec, mais ce meilleur traitement n'est-il pas dû en grande partie au fait que la minorité anglophone était à une certaine époque la plus puissante force sociale et économique du pays? La question se pose. Il convient alors aussi de poser la question de l'ouverture du peuple québécois à l'égard des minorités vivant sur son propre territoire.

Il convient à cet égard d'affirmer haut et fort certains principes. Ceux-ci sont des points de repère pour l'élaboration de politiques concrètes. Il ne suffit pas d'adopter des principes ayant une portée constitutionnelle, mais il est nécessaire d'en avoir. C'est la raison pour laquelle il faut se donner des règles du vivre-ensemble qui énoncent des principes d'acceptation, de respect et de reconnaissance de la différence, de la diversité et des minorités.

Multiculturalisme et interculturalisme

Au Canada, on s'est doté d'une politique de multiculturalisme. Cette politique de la reconnaissance des minorités issues de l'immigration s'insère dans une constitution qui fixe les règles du vivre-ensemble. Elle est aussi combinée à la loi sur la citoyenneté qui impose la maîtrise de l'anglais ou du français pour acquérir la citoyenneté canadienne. Elle est aussi à mettre dans la balance avec la force socioéconomique de l'anglais dans une communauté d'accueil qui est en plus un pays souverain. On comprend alors très bien comment l'ensemble de ces principes forme un tout équilibré.

Au Québec, la règle du vivre-ensemble qui énonce la nécessité d'accepter la différence, de respecter la diversité et de reconnaître les minorités devrait être plutôt une politique d'interculturalisme. Cette politique combine la reconnaissance du groupe minoritaire avec l'intégration à une société de langue française. Les deux idées sont imbriquées l'une dans l'autre dans le principe même de l'interculturalisme: le métissage des uns et l'intégration linguistique des autres. Pour que l'équilibre soit atteint, il faut aussi que les minorités soient employées dans l'ensemble de nos institutions: à savoir dans la fonction publique, dans l'industrie du spectacle, à la télévision, dans nos salles de nouvelles, dans la création artistique, dans l'entreprise privée, etc.. Il faut assurer la reconnaissance des diplômes et corriger le chômage endémique.

Il faut cependant, en même temps, renforcer la présence du français: étendre la francisation des entreprises aux commerces de 10 ou 20 employés et plus; financer davantage la francisation des nouveaux arrivants; forcer le gouvernement fédéral à modifier sa loi de la citoyenneté pour qu'au Québec, l'obtention de la citoyenneté canadienne aille de pair avec la maîtrise du français (et non du français ou de l'anglais); imposer la francisation des institutions fédérales logées sur le territoire québécois; se doter d'une constitution interne dans laquelle seraient affirmés les principes fondamentaux de la charte des droits et libertés, mais aussi les principes fondamentaux de la Charte de la langue française et de la laïcité, l'interculturalisme, les droits collectifs de la minorité anglophone et les droits collectifs des peuples autochtones.

Une voie médiane

De cette manière, nous pourrions nous aussi parvenir au Québec à un certain équilibre. Le défi est de ménager une voie médiane entre deux positions extrêmes. D'une part, il y a les tenants du multiculturalisme canadien qui invoquent l'article 27, et donc simultanément une constitution qui a été imposée au Québec sans la reconnaissance du peuple québécois, sans un statut particulier accordé à l'État fédéré du Québec, sans le fédéralisme asymétrique et sans un droit de retrait avec compensation financière. Souvent, ces personnes ridiculisent le besoin de reconnaissance du peuple québécois, ne voient pas l'importance de constitutionnaliser les règles du vivre-ensemble au Québec et ne sont pas favorables à la nécessité de renforcer la présence du français partout sur le territoire, y compris à Montréal.

Puis, d'autre part, il y a des francophones blancs d'origine canadienne-française qui, sur la base de leur rejet de la politique canadienne de multiculturalisme, en viennent à rejeter toute forme de politique de pluralisme culturel et toute forme de reconnaissance des droits minoritaires. Ils en viennent à se servir de la France comme d'un modèle d'intégration et pire encore, à se vautrer dans le repli identitaire, le ressentiment, le refus de la critique et le déni du racisme ordinaire.

Une leçon pour les intellectuels

Il est pourtant dans l'intérêt des uns et des autres de rechercher l'équilibre, l'harmonie et la reconnaissance réciproque. Les intellectuels qui insistent sur la nécessaire reconnaissance des minorités au Québec et qui soulignent avec raison et à grands traits les travers de la société québécoise, ainsi que ses tendances au racisme ordinaire, ne doivent pas faire l'impasse sur les travers de la société canadienne. Ils doivent non pas défendre l'ordre constitutionnel de 1982, mais le critiquer. S'ils sont cohérents, ils doivent défendre la reconnaissance de la nation minoritaire québécoise.

En retour, le nationalisme québécois doit être capable de reconnaître et de corriger ses propres travers. Il doit épouser une politique de pluralisme culturel. S'ils sont cohérents, ils ne doivent pas seulement demander la reconnaissance, mais l'offrir aussi aux minorités.

Le Français et la reconnaissance de la diversité

Pourquoi traiter au sein d'un même article de la reconnaissance des minorités du Québec et la nécessité de promouvoir et protéger les droits collectifs linguistiques de la nation québécoise? Ne s'agit-il pas de deux sujets différents? Ce sont en effet deux sujets différents, mais qui sont liés étroitement entre eux parce qu'il faut rechercher un équilibre entre deux pôles opposés.

Les minorités dépourvues de repères identitaires communément partagés peuvent être involontairement amenées à mettre à mal l'identité nationale québécoise. Les nationalistes québécois, à l'opposé, peuvent être amenés à interroger la pertinence de reconnaître les minorités. Mais pourquoi faudrait-il donc constamment ne frapper que sur un seul et même clou? Les deux sujets ne sont-ils pas d'égale importance, surtout au sein d'une société qui est elle-même en mal de reconnaissance?

Ce n'est pas pour rien que, même en France, certains ont cru bon de créer un ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire. Sans approuver la pertinence de créer en France un ministère responsable notamment de l'immigration et de l'identité nationale, on peut quand même reconnaître que l'immigration, l'intégration, l'identité nationale et le développement solidaire sont intimement liés.

Et ce n'est pas pour rien qu'au Québec on parle plutôt d'interculturalisme. C'est parce que cette politique cherche à harmoniser la reconnaissance des minorités et l'intégration linguistique au peuple québécois. Qu'on le veuille ou non, la reconnaissance des groupes minoritaires soulève des questions identitaires.

Une constitution à l'image de quelle société?

Certains intellectuels nient la pertinence de soulever la problématique de l'identité nationale, même au Québec. Ils estiment que la crise des accommodements et la charte de la laïcité du PQ ne mettaient en cause que notre rapport à la religion et que cela était sans rapport avec la problématique identitaire. Ce sont souvent aussi ceux-là même qui brandissent haut et fort notre charte des droits et libertés comme si cette charte formait à elle seule notre texte constitutionnel. Il est enfin aussi de bon ton de prétendre que les seuls droits fondamentaux sont les droits individuels (contrairement à la Cour suprême du Canada qui, elle au moins, soutient que le principe de la nécessaire protection des minorités est l'un des principes fondamentaux sous-jacents à l'ordre constitutionnel canadien).

Ces intellectuels qui promeuvent la charte des droits et libertés, qui nient la pertinence d'une charte de la laïcité (même inclusive) - ou qui la considèrent subordonnée à la charte des droits et libertés - et qui relèguent la Charte de la langue française au niveau d'une simple loi, sont en fait des chantres de l'unité canadienne. Ils veulent imposer au Québec la politique canadienne de multiculturalisme et une conception individualiste de la constitution et de la vie en société. Ils veulent ainsi imposer une conception qui nie l'existence de notre propre nation. Or, pour que la nation québécoise puisse être ouverte aux minorités, elle doit elle-même pouvoir s'affirmer avec force et être reconnue comme nation.

Deux poids deux mesures?

Il est de toute façon paradoxal et contradictoire de critiquer sans cesse le nationalisme québécois tout en restant silencieux face au nationalisme canadien et l'absence de reconnaissance du peuple québécois. La politique canadienne de multiculturalisme, inscrite à l'article 27, reconnaît les minorités issues de l'immigration, mais pas la nation québécoise. L' article 25 de la constitution canadienne reconnait les peuples autochtones, mais pas la nation québécoise. Les articles 16 à 23 de la charte canadienne des droits et libertés, enchâssée dans la constitution canadienne, reconnaissent la minorité anglophone du Québec et les minorités francophones hors Québec, mais pas la nation québécoise.

L'ordre constitutionnel canadien a été imposé au Québec sans la reconnaissance de son identité et sans tenir compte de ses revendications traditionnelles avec, pour couronner le tout, une formule d'amendement qui rend pratiquement impossible tout changement constitutionnel. Cela va à l'encontre de la reconnaissance de la diversité profonde de la société canadienne.

Taire ce manquement tout en dénonçant constamment les manquements du Québec, cela porte un nom. Cela s'appelle du Québec bashing. Chez certains commentateurs, politiciens, intellectuels et chroniqueurs du Canada anglais, c'est un racisme ordinaire qu'il fait bon d'entretenir. On s'attendrait cependant à plus de sensibilité et à une vision plus équilibrée de la part des intellectuels qui oeuvrent au sein de la société québécoise et qui, à bon droit, ne cessent de la critiquer.

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Mai 2017

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