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Contrer les abus sexuels au Cégep et à l'université

L'étudiant(e) qui refuse les avances du prof, qui l'évalue, corrige et supervise ses travaux, s'expose à des représailles plus ou moins subtiles.
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Ce texte est cosigné par 83 professeurs de cégeps et d'universités.

De nombreux professionnels, psychologues, médecins, travailleurs-euses sociaux, éducateurs-trices spécialisés et d'autres, s'interdisent les relations sexuelles avec leurs patients ou leurs clients à cause d'un risque d'abus de pouvoir. Ces professionnel(le)s trouvent normal de s'auto-discipliner par un code d'éthique qui protège le lien de confiance avec leurs patients, leurs clients et la population. Pourquoi en serait-il autrement pour les professeurs?

Il existe au cégep et à l'université une forme d'abus de pouvoir qui n'est pas assimilable aux cas déjà reconnus (propos sexiste, harcèlement, agression physique, viol) et qui survient lorsqu'un-une professeur utilise son pouvoir comme arme de séduction, exploite le sentiment d'admiration suscité chez l'étudiant pour établir une relation intime et obtenir des faveurs sexuelles. Cette forme d'exploitation peut exister à la faveur d'une certaine loi du silence que n'osent enfreindre même les professeurs et les administrateurs-trices qui désavouent ce comportement qui entraîne chez plusieurs des dommages psychologiques, parfois graves, voire l'abandon des études. Sans compter que ces relations « privilégiées » isolent l'étudiant de la classe, empoisonnent les relations entre collègues, favorisent la rivalité entre les étudiants et induisent, tant pendant qu'après une telle relation, le désabusement et la perte de confiance des étudiants envers la justice et la neutralité des processus (notamment, d'évaluation et de révision) au sein des institutions.

Bien entendu, tout être humain peut manifester une certaine fragilité en matière de relations amoureuses, même quand il assume pleinement ses désirs et ses choix. Mais alors pourquoi faudrait-il protéger les étudiants du risque inhérent à toute relation amoureuse qui n'est, de toute façon, jamais totalement dépourvue de rapport de pouvoir? D'abord parce que le rapport de pouvoir ici en jeu a peu à voir avec celui que l'amour tend précisément à équilibrer. Qu'à cela ne tienne, rétorqueront certains défenseurs de la liberté et de la vie privée, pourquoi devrions-nous interdire toute forme de relations entre deux adultes consentants ? La réponse est simple : parce qu'il ne peut y avoir de liberté, dans une relation qui implique un rapport de pouvoir inégal. Comment peut-on parler de libre consentement lorsqu'une des deux parties dispose, même si elle ne devait jamais les exercer, de moyens de dissuasion, de rétribution et de manipulation susceptibles d'influencer gravement le sort de l'autre?

L'étudiant qui refuse les avances du prof, qui l'évalue, corrige et supervise ses travaux, s'expose à des représailles plus ou moins subtiles. De plus, le rapport de pouvoir qui existe dans la relation pédagogique est différent de celui qui existe entre un employeur et un employé parce que le pouvoir du prof, qui lui est conféré par l'institution, est aussi un pouvoir que l'étudiant lui octroie. C'est cette confiance, à la base même de la relation pédagogique, qui rend l'étudiant particulièrement vulnérable. Quel que soit son âge, l'étudiant demande au prof de l'aider à s'émanciper, de lui fournir les outils dont il (ou elle) a besoin pour comprendre et contribuer à créer le monde dans lequel il (ou elle) veut vivre. Comme la relation thérapeutique, la relation pédagogique repose sur une inégalité consentie qu'elle vise progressivement à effacer.

Doit-on importer le modèle Harvard ?

L'Université de Harvard vient d'«interdire les relations sexuelles entre professeurs et étudiants de baccalauréat dans la Faculté des arts et des sciences, ainsi qu'entre professeurs et étudiants des cycles supérieurs lorsque ces derniers leur enseignent, dirigent leurs travaux ou les évaluent d'une façon ou d'une autre ». Cette interdiction ne procède pas d'une morale puritaine ou paternaliste mais d'une volonté de protéger la relation pédagogique. Comme le dit Alison Johnson, qui a piloté le dossier, il ne s'agit pas de « dire aux étudiants avec qui ils ne doivent pas avoir de relations sexuelles mais bien de rappeler aux professeurs qu'ils ne doivent pas voir dans les étudiants de possibles partenaires romantiques mais des étudiants ».

Cette politique de Harvard devrait alimenter notre réflexion. Parmi ceux et celles qui réfléchissent à cette question, certains identifient correctement le problème et sont à la recherche de solutions. D'autres ne reconnaissent même pas qu'il y a un problème ou croient que, s'il y en a un, les politiques actuelles sur le conflit d'intérêts ou celles sur le harcèlement (qui reposent essentiellement sur la notion floue de consentement) sont suffisantes. Pour nous, il est clair que ces politiques sont insuffisantes parce qu'elles ne s'appliquent pas à la question spécifique des relations intimes entre professeurs et étudiants ni ne s'y réfèrent de façon explicite.

Cet automne, le colloque « Sexe, amour et pouvoir. Il était une fois à l'université...», organisé par Martine Delvaux, Valérie Lebrun et Laurence Pelletier, ainsi que le mouvement « agression non dénoncée » ont certainement, comme l'écrit Rima Elkouri, fait reculer le comportement abusif de quelques profs, mais nous ne croyons pas que ces évènements peuvent suffire à modifier une culture institutionnelle. Nous croyons que des règles de conduite claires, s'inspirant du règlement de Harvard, pourraient préserver la dignité des étudiants et aider à maintenir le lien de confiance entre la communauté et les professeurs. Les professeurs des collèges et des universités du Québec devraient, par eux-mêmes ou en collaboration avec la direction du collège ou de l'université, se doter formellement de règles explicites visant à prohiber, sous peine de sanctions pour les profs impliqués, le fait d'entretenir (ou d'avoir entretenu pendant la durée des études) des rapports intimes (amoureux ou sexuels) avec un étudiant inscrit à leur collège ou, au premier cycle universitaire, au sein d'un programme, d'un département ou d'une faculté (non départementalisée) dans lesquels ils enseignent.

Dans le cadre des études supérieures, vu les circonstances relatives à l'âge, à la provenance diverse des étudiants et à la durée des études, tout prof qui s'engage dans une relation de nature intime, amoureuse ou sexuelle avec un étudiant d'un département ou d'une faculté (non départementalisée) de son université devrait, sous peine de sanctions, déclarer formellement la relation auprès des autorités de son institution dans le cadre d'une procédure qui exclura le prof de toute influence formelle dans le cheminement de l'étudiant. Il n'est pas question d'exclure la possibilité qu'une rencontre amoureuse durable puisse survenir entre le prof et l'étudiant, mais bien d'inciter les profs à s'interdire eux-mêmes ces relations ou à en différer l'approfondissement à la fin des études collégiales ou universitaires de l'étudiant.

Cette lettre est cosignée par: Mireille Beaudet, Université de Montréal; Diane Lamoureux, Université Laval; Veronica Ponce, Collège Marianapolis; Yvon Rivard, Université McGill; Michel Seymour, Université de Montréal; Jean Bédard, UQAR; Catherine Leclerc, Université McGill; Jean-François Hamel, UQAM; France Boisvert, Cégep Lionel-Groulx; Jocelyn Maclure, Université Laval: Frédérique Bernier, Collège Saint-Laurent: Élise Turcotte, Cégep du Vieux Montréal; Éric Méchoulan, Université de Montréal; Andrée Yanacopoulo, Cégep Saint- Laurent; Maxime Doyon, Université de Montréal; Sarah Rocheville, Université de Sherbrooke; Marc-Antoine Dilhac Université de Montréal; Étienne Beaulieu, Cégep de Drummondville; Michel Lacroix, UQAM; Dominique Scarfone, Université de Montréal; Liette Bergeron, Cégep de Sherbrooke; Alain Farah, Université McGill; Anne Caumartin, Collège militaire royal de Saint-Jean; Nathalie Watteyne, Université de Sherbrooke; Patrick Turmel Université Laval; Jean-François Vallée, Cégep Maisonneuve; Marie-Pascale Huglo, Université de Montréal; Shanti Van Dun, Cégep Édouard-Montpetit; Daniel Loiselle, Cégep de Sherbrooke; Sophie Létourneau, Université Laval; Nicolas Charrette, Collège Champlain Saint-Lambert; Julie Boulanger, Cégep de Saint-Hyacinthe; Marie-Claude Tremblay, Cégep de Sherbrooke; Geneviève Pagé, UQAM; Diane Lafrance, Cégep de Sherbrooke; Sandrine Ricci, UQAM; Jonathan Durand-Folco, UQAM; Daniel Desroches, Collège Lionel-Groulx; Mathieu Bélisle, Collège Brébeuf; Claude Paradis, Cégep de Sainte-Foy; Louise Lanoue, Cégep de Sherbrooke; Joselle Baril, Cégep de L'Assomption; Chantal Létourneau, Collège Shawinigan; Steve Melanson, Collège Lionel-Groulx; Lucie Lequin, Université Concordia; Emmanuel Bouchard, Cégep de Sainte-Foy; Lise Dobson, Cégep de Sainte-Foy; Bruno Lemieux, Cégep de Sherbrooke; Carole David, Cégep du Vieux Montréal; Dominique Chicoine, Cégep de Saint-Hyacinthe; Sarah-Myriam Martin-Brulé, Bishop's University; Serge Cantin, UQTR; Stewart Johnson, Cégep de L'Assomption; Vincent Romani, UQAM; Jacqueline Chénard, Cégep de Rimouski; Nicolas Chalifour, Cégep Édouard-Montpetit; Manon Saint-Germain, Cégep de Saint-Hyacinthe; Christine Portelance, UQAR; Daniel Bolduc, Cégep de Saint-Hyacinthe; Jean-François Bourgeault, Collège Saint-Laurent; Alain Tremblay, Cégep de Saint-Hyacinthe; Sébastien Hamel, Cégep Edouard Montpetit; Joan Lugtig, Collège Champlain St-Lawrence; Mélanie Landry, Cégep de Saint-Hyacinthe; Joëlle Tremblay, Cégep Granby; Annie Bérubé, Collège Mérici; Marilyne Gagnon, Cégep de Saint-Hyacinthe; Antoine Boisclair, Collège Brébeuf; Isabelle Larrivée, Cégep Rosemont; Francis Favreau, Cégep de Saint-Hyacinthe; Pierre Jasmin, UQAM; Annie Carrier, Université de Sherbrooke; Michel Paquette, Cégep Maisonneuve; Gilles Parent, Cégep de l'Outaouais; Guy Ferland, Collège Lionel-Groulx; Mélissa Grégoire, Cégep de L'Assomption; Peter Dietsch, Université de Montréal; Isabelle Baez, UQAM; Christian Leduc, Université de Montréal; Diane Gendron, cegep Maisonneuve; Ryoa Chung, Université de Montréal; Marc Dumas ,université de Sherbrooke; Éric Riendeau-Fontaine , collège Brébeuf; David Robichaud, Université d'Ottawa

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