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Autocensure des enseignants : inacceptable, aujourd’hui comme hier

Je n'aurais jamais accepté de censurer mes cours pour les adapter aux susceptibilités de quelques étudiants.
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À la une du journal Le Devoir pour le weekend du 17 et 18 février 2018, on peut lire un titre affirmant : «Des profs du collège de Maisonneuve se censurent». Le sous-titre de l'article de Marco Fortier ajoute : «Des sujets sont mis de côté afin de ne pas heurter les croyances de certains étudiants».

Cette information prend sa source dans un rapport substantiel de près de 100 pages sur le «vivre-ensemble» dans ce cégep montréalais comptant 7000 étudiants. «Le principal problème réside dans le fait que plusieurs enseignants déclarent avoir adopté au fil du temps (surtout depuis une dizaine d'années) une forme d'autocensure : [...] des contenus particuliers peuvent être survolés, des œuvres significatives non abordées, des remarques humoristiques mises au rancart, etc.» (Rapport d'activités du projet pilote Vivre-ensemble, p. 49).

Bien «que les jeunes [soient] à l'aise avec la diversité» – un étudiant sur deux est immigrant ou fils d'immigrants –, la «bien-pensance [...] gagne les campus du Canada». Elle susciterait «la méfiance des professeurs» qui achètent «la paix à l'avance», afin d'éviter des «débats interminables». Ce constat «rappelle à certains enseignants des périodes où la censure et la mise à l'index avaient pignon sur rue».

Ancien enseignant moi-même, la lecture de cet article m'a ramené dans deux de mes vies antérieures.

Comment aurais-je pu me censurer ?

À la fin des années 1970, j'enseignais en sociologie à l'Université Bishop's de Lennoxville (au sud de Sherbrooke). Située tout proche de la Bethel Bible School, quelques étudiants étaient influencés, voire imprégnés, par une lecture littérale de la Bible telle que proposée, entre autres, par les Pentecôtistes. (Ils n'étaient pas les seuls, car tout près du Parc du Domaine Howard de Sherbrooke, une «commune» formée de familles, de couples et d'individus, prêchaient les mêmes croyances. Très généreux pour autrui, ils étaient sourds et aveugles devant toutes connaissances scientifiques).

Je n'aurais jamais accepté de censurer mes cours pour les adapter aux susceptibilités de quelques étudiants. De mes cours portant sur «La famille contemporaine» et sur «Les modes de vie non conventionnels» (Alternative Lifestyles), je devais aborder des aspects sujets à controverse. C'était le cas notamment de la contraception, de l'avortement, du mariage civil, du mariage «ouvert» (open marriage), du divorce, etc. De nos jours, les mêmes cours devraient faire état des unions homosexuelles, de la transidentité, de la grossesse pour autrui, etc.

La réaction d'un étudiant aux notions de «probabilité» et de «hasard» reste inoubliable. Comme certains de mes propos s'appuyaient sur des données d'enquêtes, il fallait bien aborder les concepts d'échantillons aléatoires, de marges d'erreur, de probabilité, du hasard, etc. D'autant que j'enseignais aussi les rudiments de la statistique, matière incontournable en sciences sociales. Or, face à ces notions, l'étudiant dont le souvenir me revient aujourd'hui perdait tous ses moyens. Lors d'un examen, ne se retenant plus, il s'est mis à disserter sur Dieu, sur la Bible, sur la Création – très récente selon lui – et sur l'inexistence du hasard.

On admettra tout naturellement que l'autocensure sur ces questions était inconcevable, autant pour moi que pour mes collègues.

On admettra tout naturellement que l'autocensure sur ces questions était inconcevable, autant pour moi que pour mes collègues. Tout aussi inconcevable que durant les années 1960, décennie précédente où j'ai enseigné Le monde actuel, histoire et civilisations en V secondaire à Montréal.

Je ne souhaiterais pas que l'un de mes collègues profite de son cours pour faire littéralement de la propagande marxiste, l'idée d'escamoter le bloc soviétique ou la Chine de Mao ne m'est jamais venue à l'esprit. Le programme devait être abordé in extenso, sans censure aucune.

Advenant que je redonne aujourd'hui ce cours, il en serait ainsi 50 ans plus tard. Comment imaginer mettre le couvercle sur le monde arabo-musulman, dont l'Islam ? Inspiré par des cours offerts à l'Université du troisième âge (Université Laval), je ferais connaitre les ouvrages de grands auteurs contemporains tels Boualem Sansal, Abdennour Bidar et Djemila Benhabib. La lecture de Penser l'Islam hier et aujourd'hui (Le Point Références, n 60, 2015) serait obligatoire.

L'autocensure ? Jamais.

Avril 2018

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