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Agression sexuelle par des enfants à la prématernelle: les victimes oubliées

À 43 ans, je vous partage cet événement traumatique, dont le souvenir est très clair et jamais oublié, où j'ai été pris dans l'engrenage d'une agression sexuelle commise par des enfants.
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J'avais 5 ans et j'habitais à Saint-Apollinaire, dans Lotbinière. Un autobus scolaire me transportait vers une « garderie » qui me semblait bien lointaine.

Aujourd'hui, à 43 ans, après des décennies de longues réflexions, je vous partage cet événement traumatique, dont le souvenir est très clair et jamais oublié, où j'ai été pris dans l'engrenage d'une agression sexuelle commise par des enfants. Je vais expliquer ensuite pourquoi il me semble positif pour d'autres de connaître ce cas vécu.

Dans l'autobus revenant de ladite garderie, j'étais assis seul sur un banc, assez près de l'avant. Une autre enfant, qui me semblait peut-être une année plus âgée que moi, s'est rendue debout à mon siège pour me dire : « J'aurais besoin que tu fasses une faveur pour moi. Mon oncle est riche et je peux te donner de quoi, n'importe quoi que tu veux ». Je regardai mes mains et pensai au fait que les autres avaient des montres. « Aucun problème. Tu auras une montre », dit-elle.

Je la suivis jusqu'au dernier siège en arrière. Là, une jeune fille - qui devait avoir cinq ans aussi, sinon plus jeune - était maintenue sur le dos, ses pantalons baissés. Deux garçons sur ma droite étaient pratiquement debout sur leur siège pour tenir ses bras et un ou deux autres tenaient ses jambes. Je la regardai dans les yeux et je fus aussi horrifié qu'elle. Dans ma tête, la phrase limpide: pourquoi ils font ça ?

« Donne-lui un bec là », dit la manipulatrice en pointant le sexe de la victime. J'étais un gamin de cinq ans, nouveau dans ce monde, c'était mon premier contact avec le mal humain. J'ai pensé intuitivement: si je l'embrasse vraiment très doucement, elle va ressentir que c'est pour l'aider et ils vont tous la lâcher, j'en suis certain. C'était mon intuition claire.

Je l'ai embrassé doucement, vaguement, où son sexe. Les autres enfants, comme tout à coup libérés des ordres reçus, se sont rassis subitement. Certes, cela avait arrêté la situation, mais j'ai surtout vu la fille remonter ses pantalons à une vitesse éclair et s'asseoir collée serrée contre la fenêtre de l'autobus. Tout le monde est rassis et regarde devant. Seul debout, là, regardant sa réaction, j'ai réalisé qu'elle ne pouvait le ressentir comme autre chose qu'une agression.

Tout est devenu blanc autour de moi. Comme un zombie, je suis retourné à mon siège. Mon souvenir est de ne rien voir vraiment autour, avec la vague question dans mon esprit de savoir comment j'allais débarquer de l'autobus quand je ne vois rien et ne pense plus. Je ne sais pas trop comment - comme un robot - je me suis retrouvé à la maison. Je ne peux dire comment je me suis comporté à la maison, car tout m'a échappé ce soir-là.

De retour à ce que je nommais une garderie, j'avais envie de la reconnaître, envie de lui dire que mon intention était de l'aider. Sauf que ma vision était embrouillée et je me sentais incapable de vraiment regarder les visages. Assis dans mon coin, silencieux, sans même savoir si elle était dans mon groupe. Je voulais parler, je voulais que des adultes fassent quelque chose. Je m'en souviens clairement. J'espérais qu'une personne allait me poser une question, et que j'allais débloquer et le dire... Comment l'enfant de cinq ans que j'étais, au langage un peu sous-développé, pouvait-il expliquer ça sans aide ? Rien. Aucune interaction de la part des adultes. Était-ce appelé une prématernelle à l'époque ? Étant un enfant introverti et lunatique, je conçois que le personnel et mes parents ont considéré que c'était normal que je reste seul dans mon coin.

J'avais beau souhaiter lui expliquer, j'étais trop traumatisé pour même être conscient dans l'autobus ensuite. J'embarquais et je débarquais de manière machinale.

Dès que je suis tombé sur son regard, lors de ce moment fatidique, un lien s'est créé en moi. Pendant longtemps, j'ai espéré la retrouver.

Et pourquoi vous en parler?

Premièrement, je pense que cela devrait intéresser les gens qui travaillent auprès d'enfants ou encore aux parents. Je suis évidemment en colère contre les adultes à la garderie et le chauffeur d'autobus qui n'ont jamais cherché à savoir, et m'ont abandonné dans mon coin en silence. Les enfants ne sont pas des idiots: il leur manque juste souvent les mots. Je voulais parler et je voulais une intervention. Il faut leur poser des questions: ouvrir la parole des enfants.

Deuxièmement, je trouve ce récit utile pour aider à voir les victimes oubliées. Avez-vous remarqué ici la victime oubliée dans cette histoire ? La « jeune manipulatrice » ? Une enfant de quatre à six ans n'invente pas une telle agression sexuelle, sortie de nulle part. On peut facilement deviner qu'elle a subi des attouchements ou des agression, peut-être de la part de l'« oncle riche » qu'elle a mentionné. Orchestrer cette agression était une manière pour elle de se placer en position de pouvoir, afin de survivre à un sentiment d'impuissance destructeur. On peut aussi deviner que ce geste ne l'a pas aidée et qu'elle a dû souffrir davantage après coup.

Tous les enfants impliqués ou qui ont vu la situation sont des victimes indirectes. Dans une dynamique sympathique, je suis devenu une victime avec elle. Comme c'est souvent le cas, il y a un cycle de violence aux impacts multiples sur bien des gens, avant et après.

Oublier n'est pas la chose honorable à faire

Oublier, au sens propre, n'est vraiment pas une solution. Il faut plutôt assumer et intégrer le traumatisme. Quand on tente d'étouffer ou d'oublier quelque chose qui est une partie profonde de nous, cette dernière revient par la bande de manière parfois surprenante... Tenter de détruire certains aspects ou sentiments de notre esprit peut créer un niveau de souffrance insoupçonné. En 2003, j'ai tenté d'oublier radicalement une personne dans mon cœur: je ne pensais pas qu'il était possible pour moi de souffrir autant. Je ne le recommande vraiment pas.

J'ai lu sur comment pardonner, mais cela n'a pas eu d'impact. Il faut d'abord assumer le sentiment sincère avant de se raconter des histoires de pardon. Dans mon cas subjectif: j'ai honte, j'aurais aimé les arrêter autrement, je pense avec stupeur aux effets négatifs pour la victime.

Oui, j'étais un gamin au cœur pur et méritant le pardon, mais cela ne change pas le fait réel que j'ai fait une victime et que je lui dois des excuses. Personnellement, je déteste les pensées magiques de pardon sans actions conséquentes. La question se pose: est-ce que le but est d'apaiser son petit soi-même sans réellement penser aux victimes de nos erreurs ? Et pourquoi devrais-je oublier, pour devenir un idiot menteur comme tant d'autres ? Comme ces adultes qui n'ont rien fait ni même cherché à savoir?

Le dialogue est parfois impossible avec l'autre, mais on peut ressentir une passion forte et positive pour agir de manière responsable et juste. Publier ce récit est justement pour moi un geste où je rends audible ce que les enfants concernés n'ont jamais raconté.

Connexion humaine

Cet événement singulier est marqué au fer rouge en moi et je n'ai jamais oublié le souvenir clair que je vous ai raconté. Au-delà de la sympathie spontanée dont les enfants sont capables, j'ai commencé jeune à faire des efforts pour m'imaginer à la place des autres. J'étais stupéfait par le sexisme extrême de plusieurs de mes amis, de l'école primaire jusqu'au cégep.

Les conséquences sur ma vie sont multiples mais, pour diverses bonnes raisons, je ne vais pas les nommer dans ce billet public. L'intensité des souffrances des victimes secondaires est peut-être sous-estimée. Je vais me contenter de dire que les coïncidences de la vie sont parfois incroyables et nos capacités inconscientes tout aussi surprenantes.

Il faut dire que les erreurs honteuses s'accumulent dans une vie! Je suis de nature empathique, mais pas de nature très courageuse, par contre. Il m'est arrivé à quelques reprises, d'enfant à jeune adulte, de rester passif ou silencieux face à la violence ou à l'oppression. La peur est parfois une émotion tellement destructrice. Tous ces forts sentiments de honte et de compassion ont forgé en moi une détermination à agir contre l'injustice et les diverses formes de domination. La bonne nouvelle est donc qu'un cycle de violence et de victimes durant l'enfance peut s'arrêter et se transformer ensuite en forces dans le coeur des adultes agissants.

Êtes-vous en crise? Besoin d'aide? Si vous êtes au Canada, trouvez des références web et des lignes téléphoniques ouvertes 24h par jour dans votre province en cliquant sur ce lien.

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Mai 2017

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