Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.

Les «nouvelles» révélations de Snowden sur la NSA ou le triomphe de l'ingénuité

On pensait ne plus en entendre parler. Tout au plus quelques dépêches rappelant que le lanceur d'alertes Edward Snowden vivait désormais (et sans doute pour longtemps) en Russie et qu'il n'avait pas d'autres révélations à faire. Et puis le quotidien français Le Monde a publié de nouvelles révélations sur les écoutes de la NSA.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.

On pensait ne plus en entendre parler. Tout au plus quelques dépêches rappelant que le lanceur d'alertes Edward Snowden vivait désormais (et sans doute pour longtemps) en Russie et qu'il n'avait pas d'autres révélations à faire. Dans de précédents papiers sur la question, j'indiquais être très méfiant quant à cette affirmation, dans la mesure où Snowden n'a d'intérêt pour la Russie, mais surtout pour les Etats-Unis, que tant qu'il révèle les mécanismes d'écoutes à grande échelle de la NSA. J'évoquais également la possibilité que l'ancien agent américain ait donné à des personnes de confiance des documents à publier au fur et à mesure, afin d'entretenir la pression qui pèse sur les services américains.

L'ancien journaliste du Guardian, Glenn Greenwald, remplit parfaitement sa mission : on apprend ainsi aujourd'hui que le quotidien français Le Monde travaille avec lui depuis l'été à déchiffrer de nouveaux documents. Un éditorial incitant à « combattre Big Brother », plusieurs articles censés apporter leur lot de révélations, un style davantage proche du sensationnel que du récit argumenté... et tout ça pour apprendre quoi au final ? Que les Etats-Unis ont procédé à des écoutes massives de citoyens français (les journalistes ont eu accès à des relevés allant de décembre 2012 à janvier 2013), qu'ils se sont en partie focalisés sur des acteurs stratégiques comme des hauts fonctionnaires, des politiques, des chefs d'entreprise. Est-ce moral lorsqu'on sait que les Etats-Unis et la France sont alliés ? Assurément non ! Est-ce pour autant un événement majeur, à même de créer de nouveaux enjeux géopolitiques ? En aucun cas et ce pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, les premières informations publiées par Le Monde, qui ne tarderont sans doute pas par être étayées par d'autres « révélations », ne nous apprennent pas grand-chose par rapport ce que l'on savait déjà suite aux révélations de cet été. Nous savions que des citoyens étrangers étaient espionnés par la NSA, et ce peu importe le pays où ils se trouvaient. Est-ce à dire que certains pensaient que la France serait sanctuarisée et que les Etats-Unis auraient fait une exception pour leur allié historique ? Soulignons quand même que si la France est espionnée, elle ne figure pas en tête de liste des priorités de la NSA ; cela se vérifie aisément avec le nombre d'informations récoltées auprès de citoyens français.

À un autre niveau, Le Monde révèle que la NSA a manifesté un intérêt particulier pour le fournisseur d'accès à Internet Wanadoo (aujourd'hui Orange) et pour la société Alcatel-Lucent (Lucent étant le partenaire américain du français Alcatel). Doit-on être surpris qu'un service étranger s'intéresse à un des principaux fournisseur d'accès Internet (FAI) français et à une entreprise stratégique à plus d'un titre, puisqu'elle a un savoir-faire reconnu en matière de routeurs et de poses de câbles sous-marins, nécessaires pour la communication numérique entre deux continents ? Rappelons-nous que dès cet été, on découvrait que les États-Unis avaient une philosophie de l'acquisition du renseignement assez simple, à défaut d'être forcément efficace : collecter le maximum d'informations pour ne pas en louper une, quitte à prendre le risque de perdre du temps par la suite dans la sélection et l'analyse, grâce à des techniques permettant d'enregistrer directement depuis les câbles sous-marins des contenus numériques.

Cet événement médiatique, construit de toutes pièces, permet aux dirigeants politiques de pouvoir changer de sujet lorsqu'ils sont en difficulté et de s'exprimer sur un thème qui semble fédérateur : la protection des informations et de la vie privée des citoyens. C'est ainsi que le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a convoqué l'ambassadeur américain, que le premier ministre Jean-Marc Ayrault s'est dit « profondément choqué » et qu'il attend des « réponses claires ». Inutile de préciser que ces déclarations, aussi exagérées qu'inutiles vont se multiplier dans les prochains jours. Or, à moins d'avoir une mémoire qui s'effacerait chaque mois, on se souvient que cet été, les responsables politiques avaient déjà demandé des réponses à leurs homologues américains, ces derniers jouant une carte classique et efficace, gagnant du temps et se cantonnant à affirmer qu'ils agissaient en toute légalité et qu'il en allait de la sécurité des États-Unis. Autant dire que depuis trois mois, rien n'a avancé sur ce dossier !

Si l'on suit la logique des événements, telle qu'elle est énoncée par les médias, les citoyens français devraient se sentir en insécurité, puisque leurs dirigeants politiques laissent à penser qu'ils ignoraient tout de ces pratiques qui existent pourtant depuis plusieurs années, suggérant par la même occasion que les services de renseignement et de sécurité français seraient à la fois inefficaces et aveugles.

En vérité, la pratique de la NSA, bien que condamnable sur de nombreux aspects, n'est pas quelque chose d'unique. Le cyberespionnage est une réalité mondiale, les puissances pénétrant le cyberespace pour améliorer leurs capacités de renseignement puisque c'est dans ce nouvel ensemble que les citoyens du monde communiquent de plus en plus. Si demain, nous nous mettions à échanger via des pigeons voyageurs, nul doute que les services de renseignement déploieraient de nouveaux trésors d'ingéniosité pour espionner de nouveau !

Les déclarations politiques peuvent être virulentes, afin de satisfaire l'opinion, mais elles ne sauraient masquer le phénomène de cyberespionnage qui profite à de nombreux pays, dont la France qui a des capacités d'écoute dans le monde assez importantes. Certes, les États-Unis surpassent largement les autres puissances de par leurs moyens financiers et technologiques, mais il serait naïf de penser qu'ils sont les seuls à agir de la sorte.

En guise de conclusions, trois remarques et espoirs :

  • Les Etats-Unis ont des services de renseignement performants, mais aussi perfectibles, eu égard à toutes ces révélations qui ne peuvent que les affaiblir.
  • Cette médiatisation du cyberespionnage doit conduire à des initiatives politiques, économiques et législatives fortes dans chaque Etat afin de garantir aux citoyens un accès sûr au cyberespace.
  • Enfin, la qualité des powerpoints de la NSA laisse clairement à désirer ; sans doute devrait-on organiser quelques sessions de formation pour aider les agents à présenter correctement leur système d'écoute !

VOIR AUSSI SUR LE HUFFPOST

Terre du pas si libre

Les détournements de l'affaire PRISM

Retrouvez les articles du HuffPost sur notre page Facebook.
Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.