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Élections présidentielles au Mali: une victoire en trompe-l'œil...

Le premier tour des élections présidentielles au Mali vient à peine de s'achever que l'on peut déjà déceler, dans les médias et dans les déclarations des politiques, un parfum quasi omniscient d'un travail bien fait, presque d'une victoire, alors que les résultats ne sont pas encore proclamés.
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Le premier tour des élections présidentielles au Mali vient à peine de s'achever que l'on peut déjà déceler, dans les médias et dans les déclarations des politiques, un parfum quasi omniscient d'un travail bien fait, presque d'une victoire, alors que les résultats ne sont pas encore proclamés. Une sorte d'euphorie se fait jour, chacun se décernant un satisfecit devant un événement tant redouté.

Il est vrai que, globalement, ces élections se sont déroulées de façon relativement correcte, eu égard aux craintes que beaucoup exprimaient, la peur d'attentats étant très présente. Le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (Mujao) avait ainsi menacé de s'en prendre à des bureaux de vote. De la même façon que sans un accord entre les différentes parties signé en juin 2013, il y a fort à parier que les rebelles Touaregs auraient tout fait pour saboter les élections à Kidal, située au Nord-Ouest du pays. Notons quand même que plusieurs agents électoraux ont été enlevés récemment dans la région et que selon les informations qui nous parviennent (et qui doivent être considérées avec prudence), le taux de participation serait proche de 12% à Kidal.

Néanmoins, au niveau du pays, il y aurait une participation conséquente de la population, avec un taux proche de 50% selon le chef de la mission d'observation de l'Union européenne, Louis Michel, qui n'a pas fait état de fraude majeure. Ainsi, un premier tour réalisé dans des conditions régulières et avec un taux de participation supérieur aux attentes devrait laisser espérer un futur rassurant pour le pays. C'est le sentiment en tout cas des autorités françaises qui ont exercé une «pression amicale» sur les autorités maliennes pour que les élections se déroulent impérativement fin juillet. Le président français a souligné «l'attachement des Maliens aux valeurs démocratiques», tandis que le premier ministre Jean-Marc Ayrault parlait clairement de «grand succès».

Pourtant, on ne peut s'empêcher de demeurer sceptique quant à ce soi-disant «succès» et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le calendrier a été imposé au pouvoir malien en place, signe d'une ingérence certaine de la France dans les affaires maliennes, bien que le président français ait annoncé au début de son mandat sa volonté de mettre fin à la Françafrique. La date retenue répond davantage à un agenda politique français (la nécessité de montrer aux citoyens que la situation se stabilise au Mali avant les vacances...) qu'à l'agenda malien.

En effet, l'opération Serval débutée en janvier 2013 a été qualifiée de réussite par les officiels français, les forces françaises reprenant avec une rapidité réelle les terres occupées par les djihadistes et les Touaregs, avec plusieurs morts côté français à signaler. Toutefois, notons qu'il n'y a eu que très peu d'affrontements directs entre forces françaises et djihadistes, quelques escarmouches et surtout des bombardements ciblés. Est-ce à dire que les forces ennemies des autorités maliennes ont été surestimées? Ce n'est pas l'hypothèse que nous privilégions en tout cas.

Conscientes qu'un affrontement direct, à découvert, les conduirait nécessairement à une rapide défaite, les forces djihadistes et Touaregs se sont cachées, profitant parfois d'appuis locaux, et attendant. Car c'est bien leur objectif: attendre que les troupes françaises quittent le territoire malien pour revenir en force, profitant de la fragilité, voire de la déliquescence de l'État malien. Comme pour la Libye, des mois voire des années d'insécurité majeure sont à craindre.

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Soumana Sacko

Les candidats à la présidentielle malienne

Le vrai problème est que les troubles qui affectent le Mali aujourd'hui sont clairement transnationaux. Comme l'explique brillamment Samuel Laurent dans Sahelistan (Seuil, mai 2013), c'est bien toute la région du Sahel qui est crisogène: l'intervention occidentale en Libye a provoqué la chute du Colonel Kadhafi qui, en dépit des crimes dont il a la responsabilité, était parvenu à maintenir une certaine autorité dans le pays, surveillant les mouvements sécessionnistes et les trafics en tout genre. Désormais, les trafics d'armes, de drogues, mais aussi d'otages, se développent de façon inquiétante, profitant de la porosité des frontières des pays de la région. Ainsi, de nombreux éléments laissent à penser que des stocks d'armes des entrepôts de l'armée libyenne ont été volés (ou vendus) par les forces djihadistes aujourd'hui actives au Mali.

Sans pour autant sous-estimer la dimension sécuritaire/conflictuelle de l'analyse qui nous occupe, il faut bien voir également les racines profondes des faiblesses de l'État malien: une question identitaire non résolue avec le problème des Touaregs au nord du pays, et surtout une situation économique désastreuse. Les 18 mois de conflits, depuis le coup d'État qui a fait partir le président Amadou Toumani Touré (surnommé ATT) en mars 2012, n'ont fait qu'aggraver la crise économique du pays qui souffre d'une administration corrompue et inefficace et surtout d'un manque de stratégie industrielle. On a donc une jeunesse qui occupe un poids démographique croissant dans la société, mais sans qu'aucune perspective d'avenir lui soit proposée.

Selon les premières estimations (les résultats devraient normalement être connus le 2 août), Ibrahim Boubacar Keïta (surnommé IBK), ancien premier ministre, arriverait largement en tête, reléguant très loin derrière lui son principal adversaire Soumaïla Cissé, ancien ministre des Finances. En vérité, le nom du futur président n'a que peu d'importance, car l'élu devra dans tous les cas composer avec les différentes factions du pays, prenant le risque de compromis à l'excès pour maintenir une cohésion avec la perspective d'une inaction générale.

La seule solution réside dans une stratégie globale, transnationale, afin d'endiguer le terrorisme régional et de poser les bases d'une relance économique. Seul un courage politique des dirigeants de la région, accompagné d'une aide économique et logistique de l'Union européenne, permettrait un tel exploit. Les puissances régionales et européennes ont tout intérêt à agir rapidement: un désengagement de leur part leur créerait davantage de problèmes à moyen terme.

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