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30 ans de malaise identitaire québécois

Le Québec lui-même en est venu à rejeter le concept de nation identitaire québécoise comme prescrit par le multiculturalisme. Faut-il s'étonner que les Québécois soient, à l'image d'Elvis Gratton, incapables de se définir? Certains en sont venus à créer le terme « franco-Québécois », ce qui rappelle étrangement le processus de recul identitaire et de minorisation des francophones, passant de Canadiens, à Canadiens-français puis Québécois.
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Il n'est pas rare de voir aujourd'hui, dans certaines cours d'école de Montréal, de jeunes Québécois dits « de souche » qui s'inventent une origine ethnique, affirmant être Irlandais, Latinos, Italiens ou autres plutôt que de simplement se dire « Québécois ». Est-ce par honte de leurs origines ou est-ce plutôt par peur de rejet, étant incapables de se définir alors que tous autour d'eux sont aptes à le faire? Nous pouvons également constater un phénomène similaire chez de jeunes adultes Québécois, s'autodéfinissants comme « citoyens du monde », iPhone à la main, foncièrement américanisés et ignorants autant de l'histoire du Québec que de la réalité des autres peuples. Et que dire de tous ces parents qui préféreraient envoyer leurs enfants à l'école anglaise plutôt que française? L'identité québécoise se meurt dans une indifférence presque totale.

En ce 30e anniversaire de l'adoption unilatérale de la constitution canadienne de 1982 malgré la désapprobation du Québec, force est de constater que Pierre-Elliott Trudeau a gagné son pari afin de faire échec au nationalisme québécois. Un récent débat à l'Université Laval posait une question pertinente sur le sujet : « Entre multiculturalisme et nationalisme : quelle place pour l'identité québécoise? ». La réponse est pourtant fort simple : aucune.

Le multiculturalisme prescrit par la Charte canadienne des droits et libertés, elle-même enchâssée dans la constitution, promeut un nationalisme civique : tous les citoyens du Canada, peu importe leurs origines, peu importe leur langue et peu importe leurs croyances, font partie de la nation canadienne. Autrement dit, dès l'obtention de sa citoyenneté, un individu est considéré membre de la nation canadienne indépendamment de son niveau d'intégration et de son propre sentiment subjectif d'appartenance. Ce type de nationalisme est extrêmement inclusif au niveau individuel, mais rejette du coup toutes différences collectives. Le côté unitaire de la Charte reflète cette vision de la primauté du droit individuel au détriment du droit collectif et identitaire: il n'y a aucune priorisation de valeurs (par exemple, l'égalité homme-femme avant la religion) et aucune reconnaissance de droits nationaux ou collectifs (comme le droit au Québec de défendre la langue française).

Selon le multiculturalisme, la nation canadienne n'est qu'un amalgame de droits individuels, ce qui implique également qu'elle est intrinsèquement politique plutôt qu'identitaire. Un individu peut être Canadien autant qu'il peut être Montréalais, Longueuillois, Lavallois, etc. Il n'est pas étonnant qu'il soit aujourd'hui difficile pour certains jeunes de se définir : si tous sont Canadiens/Québécois, eux qui n'ont aucune autre origine, qui sont-ils?

Le gouvernement québécois est également responsable de ce malaise identitaire puisqu'il promeut activement l'interculturalisme qui n'est qu'une forme de multiculturalisme où les citoyens devraient idéalement partager le français comme langue commune. Là encore, il s'agit d'un nationalisme civique où l'appartenance à la nation dépend de la possession ou non d'une carte d'assurance-maladie.

Si le nationalisme civique pouvait fonctionner jusqu'à un certain point dans un État indépendant, la notion québécoise de l'interculturalisme n'a aucune valeur réelle et se heurte de plein fouet au multiculturalisme. Autrement dit, le Québec lui-même en est venu à rejeter le concept de nation identitaire québécoise comme prescrit par le multiculturalisme. Faut-il s'étonner que les Québécois soient, à l'image d'Elvis Gratton, incapables de se définir? Certains en sont venus à créer le terme « franco-Québécois », ce qui rappelle étrangement le processus de recul identitaire et de minorisation des francophones, passant de Canadiens, à Canadiens-français puis Québécois.

D'ailleurs, la Charte canadienne des droits et libertés ayant prédominance sur toutes autres lois fédérales ou provinciales, la motion symbolique de reconnaissance de la nation québécoise votée par la Chambre des Communes est sans effets et même incompatible avec une constitution où la nation québécoise n'existe tout simplement pas. Il est grand temps pour nos élites politiques d'être à l'écoute du peuple qui rejette encore majoritairement le nationalisme artificiel qu'est le nationalisme civique. Non seulement le rejet du nationalisme identitaire mène à des contradictions et des affrontements tels que les nombreux épisodes sur les accommodements raisonnables, il conduit également l'identité québécoise à la marginalité. En ce 30e anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés, nous devrions saisir l'occasion pour entamer un débat de société afin d'en arriver à une définition de la nation québécoise qui soit réaliste, satisfaisante et suffisamment inclusive pour permettre à tous ceux qui ont le sentiment subjectif d'être Québécois d'être considérés comme membres de la nation.

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