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Connaissez-vous la purge LGBT?

Il faut faire la lumière sur cette période sombre de notre histoire pour qu'on puisse avancer ensemble comme société.
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Au cours des années 1950, le gouvernement du Canada a mis en place une vaste campagne pour identifier et expulser les gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres des Forces armées canadiennes et de la fonction publique fédérale. Dans le cadre de cette campagne, peu connue du public, des milliers de Canadiens ont fait l'objet d'enquêtes et de sanctions, et plusieurs ont été congédiés de leurs postes uniquement en raison de leur orientation sexuelle. Cette campagne, la «Purge LGBT», s'est poursuivie même après que les actes homosexuels ont été officiellement décriminalisés au Canada, le 27 juin 1969.

Je m'appelle Martine Roy, et je fais partie des demandeurs qui ont intenté un recours collectif contre le gouvernement fédéral pour la Purge LGBT. Voici mon histoire.

Je me suis enrôlée dans les Forces armées en 1983, à l'âge de 19 ans. J'ai réalisé mon entrainement de base à Saint-Jean-sur-Richelieu et ensuite une formation en langues et d'assistante médicale à la base militaire de Borden. L'entrainement était extrêmement exigeant et j'étais tellement fière d'avoir réussi. J'adorais être membre des forces armées. Je sentais que j'y avais trouvé ma famille.

Un jour, alors que je participais à un entrainement de terrain à Borden, une voiture s'est approchée de moi. Deux individus se sont avancés et m'ont demandé d'entrer dans la voiture. Je croyais que c'était deux civils qui s'étaient perdus sur la base, mais ce n'était pas le cas. Les individus se sont identifiés comme membres d'une «Unité́ des enquêtes spéciales» de la police militaire. Ils m'ont dit que j'étais en état d'arrestation et m'ont conduit jusqu'à un petit bâtiment dont j'ignorais l'existence.

J'ai été interrogée pendant plusieurs heures. On m'a posé des questions très personnelles, comme «Avec qui aimez-vous coucher?» ou «À quelle fréquence avez- vous des relations sexuelles?». On m'a promis que si j'avouais mes «perversions sexuelles», je pourrais rester dans l'armée.

J'étais exténuée, j'avais peur et je me sentais humiliée. J'ai alors perdu toute confiance et toute estime de moi. J´étais tellement jeune. J'ai quitté la séance d'interrogatoire avec un sentiment d'incertitude et de peur comme je n'en avais jamais ressenti.

Ma vie dans l'armée semblait pourtant poursuivre son cours normal après l'interrogatoire, au moins pendant un certain temps. Cependant, quelques mois après avoir été transférée au Centre médical de la Défense nationale d'Ottawa, j'ai été convoquée au bureau d'un psychologue afin de subir une évaluation visant à déterminer si j'étais «normale» ou «anormale» d'après l'enquête sur mon homosexualité. J'ai assisté à quelques séances qui ne se sont pas très bien passées. Là encore, des mois se sont écoulés sans que j'entende parler de l'enquête.

On m'a offert un nouveau contrat de trois ans en tant qu'agent des communications avec une cote de sécurité de niveau très secret, contrat que j'ai accepté. Je devais commencer sous peu ma formation à Kingston. J'ai acheté ma première voiture.

Après avoir obtenu mon diplôme d'assistante médicale, alors que je travaillais comme aide-pharmacienne, on m'a appelé pour me dire de me présenter au bureau du colonel de la base. On m'a demandé «Savez-vous pourquoi vous êtes ici aujourd'hui?», ce à quoi j'ai répondu «non». C'est à ce moment qu'on m'a dit que j'avais été libérée pour cause d'homosexualité.

J'étais déconcertée. J'étais compétente dans mon travail. Mes supérieurs appréciaient mon travail et me l'avaient dit. Je venais tout juste de signer un nouveau contrat. Le fait que j'étais si dévouée à l'armée rendait ma destitution en raison de mon orientation sexuelle d'autant plus dévastatrice. On m'a accordé 9 jours pour rassembler mes effets personnels et quitter la base.

Cet évènement a changé ma vie, m'a privé de mon estime de moi et a déformé mon système de valeurs. Il m'a fallu 15 ans de thérapie et l'aide de ma famille pour finalement trouver ma place dans la société et me sentir libre d'être authentique au travail.

En raison de ce que j'ai vécu dans l'armée, j'ai consacré les 15 dernières années à démystifier l'homophobie sur les lieux de travail. Je fais cela afin que les organisations et associations professionnelles interdisent la discrimination à l'égard des employés en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre. Dans le cadre de ce processus, les organisations et associations professionnelles sont encouragées à établir un lieu de travail inclusif. Les employés sont évalués en fonction de leurs habiletés et compétences, et non de leur identité sexuelle. Je crois fermement que les employés authentiques sont plus productifs.

Pourquoi ce recours collectif; pourquoi maintenant? Parce que même en tant que défenseure des droits des autres en milieu de travail, il m'était impossible d'apprécier l'impact de ce qui m'est arrivé avant d'avoir rencontré d'autres personnes qui ont vécu la même expérience. Parce qu'ensemble nous sommes plus forts. Parce que ceux qui ont étés affectés par la Purge LGBT ne peuvent plus attendre. Il faut faire la lumière sur cette période sombre de notre histoire pour qu'on puisse avancer ensemble comme société. Reconnaissance; excuses; éducation; redressement: voilà ce que nous recherchons.

Pour plus d'informations, je vous invite à consulter le site www.LGBTpurge.com. À ceux ou celles qui ont été affectés par la Purge LGBT: racontez vos histoires. À tous les Canadiens et Canadiennes: mettons fin au silence.

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