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Rendez-vous Gare de l'Est: la folie ordinaire

C'est parfois sensé, parfois incohérent et décousu, toujours teinté de désespoir car, pour Émilie, mener une vie normale relève de l'exploit. C'est quelque chose qui ne lui vient pas facilement.
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Il y a une zone d'ombre, un inquiétant trou noir dans la personnalité de cette jeune femme qu'incarne Émilie Incerti Formentini dans Rendez-vous Gare de l'Est sur la scène de la salle Fred-Barry. On sent la douleur, on sent que ça peut basculer d'un moment à l'autre, on se doute aussi qu'elle peut devenir, selon la formule acceptée, un danger pour elle-même ou pour les autres. Et on sait qu'elle le sait.

Toute cette souffrance, ce désarroi palpable, compose la trame et les sous-titres en quelque sorte des propos d'Émilie qui, toute seule, assise sur une chaise, sur fond noir et avec un éclairage qui s'amenuise peu à peu au fur et à mesure qu'elle s'enfonce dans sa nuit, nous parle de sa nièce qu'elle adore, de son désir d'enfant, de son mari Fabien, des médicaments qu'elle prend, ou pas. C'est parfois sensé, parfois incohérent et décousu, toujours teinté de désespoir car, pour Émilie, mener une vie normale relève de l'exploit. C'est quelque chose qui ne lui vient pas facilement.

Pour avoir connu quelqu'un qui souffrait (et souffre encore) de bipolarité, je sais que le portrait tracé est très juste. Je devinais toujours lorsque cette femme avait cessé de prendre son lithium. Son discours n'avait aucun sens, elle sautait du coq à l'âne, faisait des demandes extravagantes, posait des gestes complètement absurdes jusqu'au moment où moi ou quelqu'un d'autre appelle la police et qu'on l'amène bien doucement faire un séjour au département de psychiatrie de l'hôpital. Elle me disait que lorsqu'elle était sous médication, sa vie était neutre, beige, d'un ennui mortel. Quelle se sentait vraiment vivante lorsqu'elle était en phase maniaque. Le problème c'est qu'en phase de dépression elle voulait se pendre.

L'Émilie de Rendez-vous Gare de l'Est fait état de sa vie avec une remarquable lucidité. Elle sait que dans ses moments d'euphorie, elle dépense plus d'argent qu'elle n'en a mais aussi qu'à d'autres moments elle est persuadée que les veilleuses de l'hôpital où elle est internée sont issues de 1984 de George Orwell et qu'il y a des bombes atomiques à désamorcer. Elle vit constamment dans les montagnes russes de la désorganisation mentale, de l'éparpillement émotif, incapable de contrôler ce fouillis, incapable d'appréhender le réel, prisonnière d'une turbulence remplie de solitude.

Le texte de Guillaume Vincent rend tout cela de façon fort juste, avec une tendresse larvée pour ce personnage fragile pour qui tout est difficile. Émilie Incerti Formentini interprète tout cela magistralement. Cependant, l'écho dans la salle Fred-Barry m'a empêché parfois de tout saisir et madame Incerti Formetini parle aussi très, très vite et lorsqu'elle baisse la voix, ses paroles deviennent quasi confidentielles.

On vit avec un étranger à l'intérieur, dira Émilie. Et en effet, même si Émilie suscite la compassion, il y a quelque chose de terriblement off chez elle qui fait peur. Peut-être parce que nous avons nous- même peur de basculer dans cette désintégration de la personnalité, de franchir cette clôture qui sépare la normalité de la folie. Et c'est à cause de cette peur que le vertige nous saisit.

Rendez-vous gare de l'Est : Une production Cie Midiminuit, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 26 septembre 2015

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