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Je crois que cette pièce devrait être vue dans toutes les écoles secondaires. Là où le risque est grand de publier sur la toile une photo, un commentaire, une insulte qui risque d'avoir d'irrémédiables conséquences. Comme une tragédie grecque,nous laisse entrevoir l'effroyable machination du rien, issue de l'ignorance et de l'innocence, qui conduit au bord du précipice et du néant.
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En sortant de La Licorne ce soir-là, mon compagnon de théâtre m'a dit : Ça c'est du théâtre contemporain, du théâtre qui nous parle de ce que l'on peut vivre au quotidien, en Occident, maintenant.

Cette histoire de jeunes gens qui décident de lancer une rumeur, fausse bien entendu mais, comme on le verra, plausible malgré tout, résonne en effet de façon plus que convaincante et cela est dû à la construction extrêmement habile de la pièce de Stacey Gregg et au traitement réaliste qu'elle reçoit dans la mise en scène de Philippe Lambert. Mais je veux aussi souligner l'impeccable traduction de Catherine Léger qui nous fait oublier littéralement et littérairement que le texte est en anglais de Dublin tout en nous faisant découvrir un auteur féminin doté d'une voix originale et d'un remarquable talent.

Gethin vient de terminer ses études en cinéma et est persuadé d'être le prochain Tarantino. Issu d'un milieu modeste, il fait des petits boulots en attendant d'être découvert et, pour s'amuser, élabore avec sa jeune sœur une arnaque sur les réseaux sociaux afin de faire réagir la petite communauté qu'il habite et ainsi récolter du matériel pour élaborer son premier chef-d'œuvre cinématographique. Ce qui au départ ne devait être qu'une blague, de très mauvais goût on s'entend mais une blague, va se révéler un terrible catalyseur qui va remettre en question les valeurs et les fondements même de cette communauté en plus d'entacher irrémédiablement des réputations. Personne ne va sortir indemne de cette histoire et ados et adultes vont se rendre compte qu'on ne peut pas impunément dire ou publier n'importe quoi dans un monde où toutes sortes d'informations, vraies et fausses, circulent à toute vitesse sans être contrôlées ou filtrées de quelque façon que ce soit.

On parle ici d'intimidation, de photos trafiquées sur internet, de faussetés véhiculées sur Facebook, de rumeurs endossées comme des vérités par une majorité de personnes, bref de ce manque de rigueur, de jugement et de vérification des sources qui caractérise une bonne partie de la soi-disant information que l'on retrouve sur la toile. Et parfois derrière tous ces excès et ces extravagances, ces mensonges plus ou moins avoués et ces vérités déformées se trouvent de vraies personnes qui sont vulnérables, qui souffrent et qui vont jusqu'à poser des gestes irrévocables lorsqu'elles ne peuvent plus supporter la méchanceté gratuite dont elles sont victimes.

Les comédiens sont tous très bons là-dedans. À souligner, le travail de Mikhaïl Ahooja dans le rôle de Gethin, outrecuidant à souhait et d'une condescendance qui ne se dément jamais même lorsqu'il se retrouve dans l'eau chaude et est questionné par les autorités. Stéphanie Labbé, dans le rôle de la jeune Sarah, est parfaite : on croit absolument dans son personnage d'ado chiante, à la fois vulnérable et cuirassée, dépassée par des événements et des conséquences qui la déstabilisent complètement et qui remettent en question son univers entier. Je réitère mon admiration pour la traduction de Catherine Léger qui rend de façon impeccable le langage grossier, télégraphique, imagé, codé de l'adolescence avec une extraordinaire justesse. Frédéric Lemay, en Nick, l'ami fidèle, apporte ce qu'il faut de nuance à son jeu pour qu'on sente toute l'affection mais aussi les pointes d'exaspération qu'il éprouve à l'endroit de son meilleur ami Gethin. Christiane Proulx, la mère et Micheline Bernard, sa meilleure amie, constituent le duo maternel touchant, drôle et convainquant de cette chronique sociale. Toutes les deux seront des victimes de ces mensonges jetés dans l'arène publique.

Je crois que cette pièce devrait être vue dans toutes les écoles secondaires. Là où le risque est grand de publier sur la toile une photo, un commentaire, une insulte qui risque d'avoir d'irrémédiables conséquences. Comme une tragédie grecque, Pervers nous laisse entrevoir l'effroyable machination du rien, issue de l'ignorance et de l'innocence, qui conduit au bord du précipice et du néant.

Pervers est présenté par le Théâtre de la manufacture à La Licorne jusqu'au 23 février 2013

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