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«Guerre et paix»: Loup bleu, épouse-moi

Alors ce, très attendu et présenté au Théâtre d'Aujourd'hui? C'est délicieux. J'ai adoré, comme j'avais adoré tous les autres spectacles du vertigineux Antoine Laprise qui s'est donné comme noble but de mettre en scène les grandes œuvres littéraires de l'Humanité.
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À 15 ans, j'étais russophile. Je lisais tout ce qui me tombait sous la main en rapport avec la Russie, celle des tsars, des troïkas et des Palais d'Hiver. J'avais appris l'alphabet cyrillique et je m'étais attaquée aux déclinaisons russes qui me rebutaient peu puisque je faisais déjà du latin. Tout me fascinait dans cette civilisation : ce grandiose qui côtoyait le vénal, cette richesse à côté de la plus grande misère, cette aristocratie qui vivait toujours selon des notions féodales rejetées dans le reste de l'Europe depuis un bon moment déjà. C'est à cette époque que j'avais lu Guerre et paix de Tolstoï.

Évidemment, j'avais trouvé cela d'un ennui mortel. Je n'en connaissais pas assez malgré les bribes d'informations glanées ça et là, pour comprendre les enjeux des Guerres napoléoniennes et encore moins les revendications et les interrogations issues de la classe dirigeante et qui allaient prendre une ampleur insoupçonnée pour causer une révolution un siècle plus tard. Je m'étais réconciliée avec Tolstoï grâce à Anna Karénine, dieu merci. Et ai continué de fréquenter Dostoïevski, Gogol, Tchékov, Goncharov et cie. Et ne pouvant mettre le grappin sur un Russe, 10 ans plus tard j'ai épousé un Polonais. C'est dire combien l'âme slave m'a toujours fascinée.

Alors ce Guerre et Paix, très attendu et présenté au Théâtre d'Aujourd'hui? C'est délicieux. J'ai adoré, comme j'avais adoré tous les autres spectacles du vertigineux Antoine Laprise qui s'est donné comme noble but de mettre en scène les grandes œuvres littéraires de l'Humanité. Depuis Candide de Voltaire, vu il y a vingt ans où j'avais amené mes enfants que ce spectacle avait complètement défrisés, je n'en ai raté aucun. Et j'espère qu'il y en aura bien d'autres parce que ça fait du bien de voir une troupe de casteliers s'attaquer à la Bible, à Descartes, à Montaigne et maintenant à Tolstoï sans avoir peur. Parce que résumer et jouer avec des marionnettes des œuvres d'une telle ampleur relève de la folie, mais d'une de ces belles et chatoyantes folies dont on a définitivement besoin.

Bien sûr que Louis-Dominique Lavigne et Antoine Laprise ont dû faire des sacrifices devant les choix qui se sont présentés à eux. Mais ce qui m'a le plus séduite c'est qu'ils ont su conserver l'essentiel de cet immense discours, ne trahissant en rien la pensée de Tolstoï, mettant en exergue le questionnement, les hésitations et les convictions de Pierre Bézoukhov, l'amitié profonde qui le lie au Prince André Bolkonsky et l'amour indéfectible qu'il éprouve pour Natacha.

À travers ces épisodes empreints d'une belle humanité, la guerre, les troupes de Napoléon et la désastreuse campagne de Russie, l'incendie de Moscou (c'est le Comte Rostopchine, le père de celle qui deviendra la Comtesse de Ségur, qui a ordonné de mettre le feu à la cité, ce n'est pas dans la pièce, je vous dis ça comme ça), ces champs de bataille recouverts de cadavres, ce carnage, ces soldats qui meurent de froid, toutes ces morts inutiles y compris celles des chevaux qui montrent la folie destructrice qui agite l'esprit des hommes depuis toujours, hélas.

Loup bleu nous narre cette histoire avec son ironie et son ton incisif habituel. Le décor et la scénographie sont impeccables et font preuve d'une joyeuse imagination. Et la beauté de la chose c'est que même si ceux qui manipulent les marionnettes sont sur scène et très visibles, on les regarde à peine. Ce sont les marionnettes qui nous intéressent, l'histoire qu'elles nous racontent qui nous fascine.

Tolstoï intervient régulièrement, il veut toujours conclure même avant la fin, nous parler de l'improbabilité de la Vérité historique, de la fatalité qui habite les tréfonds de l'âme russe, du prédéterminisme slave. Je crois que s'il voyait ce que le Théâtre du Sous-marin jaune a fait de son œuvre, il serait content. En tout cas, moi je l'étais en sortant du théâtre. Je suis rentrée et ai écouté l'Ouverture 1812 de Tchaïkovski, ce monument musical sur l'invasion napoléonienne et j'ai pensé que le Guerre et Paix que je venais de voir était aussi un monument.

Guerre et paix : Une coproduction du Théâtre du Sous-marin jaune et du Théâtre de Quartier, au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 21 novembre 2015.

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