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«Enfant insignifiant!» : la géographie de l'enfance

Michel Tremblay nous parle de nouveau de cette mère qui constitue l'épine dorsale de son œuvre, celle dont tout est issu, lui compris, et à qui il ne cesse de rendre hommage.
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Caroline Laberge

Un autre rendez-vous avec Nana sur la scène du théâtre Jean-Duceppe, un rendez-vous qui ne décevra pas, soyez-en certains puisque Michel Tremblay semble avoir une réserve inépuisable d'anecdotes savoureuses et de situations loufoques qui savent nous faire rire et nous toucher. Enfant insignifiant! est un peu la suite, mais surtout le complément à Encore une fois si vous le permettez monté en mai 2016. L'auteur nous parle de nouveau de cette mère qui constitue l'épine dorsale de son œuvre, celle dont tout est issu, lui compris, et à qui il ne cesse de rendre hommage. On ne va pas s'en plaindre.

Michel Poirier à la mise en scène fait cette fois-ci évoluer d'autres personnages autour de l'écrivain et de sa mère dans le magnifique décor d'Olivier Landreville qui nous fait voyager à Key West. Évidemment, Guylaine Tremblay demeure une lumineuse et terriblement attachante Nana alors qu'Henri Chassé trace son chemin dans le texte avec humour et tendresse. Mais il y a aussi Gabriel (Sylvain Marcel, que je n'ai pas tout d'abord reconnu), le mari de la Grosse femme, Ginette (Gwendoline Côté, très convaincante) l'amie et complice du petit Michel, Victoire (Danielle Proulx, remarquable comme toujours) la grand-mère amoureuse des romans de Victor Hugo, la sœur directrice (Michelle Labonté, une religieuse exactement comme celles que j'ai connues) et Mademoiselle Karli (Isabelle Drainville, fabuleuse) la maîtresse d'école que les questions incessantes de l'enfant poussent au bord de l'apoplexie.

Car c'est là le prétexte de cette histoire: un enfant curieux qui pose trente mille questions à ceux qui l'entourent, ces adultes souvent pleins de bonne volonté, mais dont les ressources demeurent limitées. Ce qui donne lieu à des échanges cocasses lorsque les grands ne savent pas trop quoi répondre aux interrogations philosophiques ou métaphysiques de l'enfant, mais aussi à une remise en question des croyances et dogmes dont ces adultes ont été nourris toute leur vie. Nana, ainsi, se moquera carrément des soi-disant révélations concernant le troisième secret de Fatima où la Vierge aurait soupiré Pauvre Canada. Elle ira même jusqu'à dire à son fils : Fais semblant que tu crois et pense ce que tu veux de ton côté, ajoutant cependant, j'aurais pas dû te dire ça. Nana n'était peut-être pas libre-penseuse, mais elle exprimait certainement une liberté de pensée qui n'était pas fréquente à l'époque.

Nana n'était peut-être pas libre-penseuse, mais elle exprimait certainement une liberté de pensée qui n'était pas fréquente à l'époque.

À travers toutes ces conversations, se dessinent la domesticité, le quotidien, les petits riens qui font la vie et qui composent l'horizon de l'enfant: le film de Disney où la mère de Bambi meurt, premier contact avec le sentiment de la perte irrémédiable qui surviendra un jour, le petit Jésus qui est trop gros pour les autres personnages de la crèche, ce petit garçon qui préfère découper des poupées et les habiller plutôt que de jouer avec le garage donné en cadeau par son père, ce petit garçon qui préfère le ballet au hockey. Et l'importance des voix. Celle de Simone Signoret dans Casque d'or qui a enchanté Victoire, celle d'Yvette Brind'Amour dans les radios-romans qu'écoute fidèlement Nana. Toutes ces voix qui ont traversé le temps et qui se retrouvent dans les pages de l'œuvre de Tremblay et qui ont nourri son désir d'écrire. Je n'exprimerai qu'un seul bémol: vers la fin, le texte aurait pu être plus ramassé et gagner ainsi en charge émotive et en impact.

Mais c'est tout de même un beau moment de théâtre que cet Enfant insignifiant! qui reste avec nous et qui nous fait saisir que l'universalité d'un propos passe toujours par les concepts les plus simples, ceux qui sont communs à tous comme l'amour maternel et les enfants curieux et observateurs. Et je terminerai avec la conclusion de mon texte sur Encore une fois... car je ne saurais le dire autrement :

Dans son projet Balzacien, Michel Tremblay nous communique toute la richesse de l'aventure humaine, surtout à travers ce personnage de Nana, inoubliable grosse femme d'à côté. La mère que nous connaissons tous : mère nourricière, de nourritures terrestres et intellectuelles, mère universelle dont les propos résonnent dans toutes les cultures; mère imaginée et mythifiée, magnifiée par l'amour filial qui sait ce qu'il lui doit; mère éternelle immortalisée par le fils dans une œuvre que nous serons encore longtemps à revisiter. Si une mère peut dire que sa plus belle œuvre c'est son enfant, ici c'est l'inverse qui est vrai.

Enfant insignifiant! : au Théâtre Jean-Duceppe jusqu'au 3 février 2018.

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