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Le cellulaire d'un homme mort: la technologie existentielle

Il y a une gravité qui se dissimule sous le masque de la futilité dans cette pièce. À travers des rebondissements tous plus invraisemblables les uns que les autres, se fait jour une réflexion sur la place de cette technologie qui nous demande d'exister par et pour elle.
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Si vous y réfléchissez deux minutes, vous vous rendrez compte que l'avènement du téléphone cellulaire n'a pas seulement constitué une révolution technologique, mais également une révolution culturelle. Ce petit engin a complètement modifié l'interaction entre l'humain et la machine. Nous utilisons maintenant nos doigts plutôt qu'une souris, le téléphone intelligent est devenu une extension de notre cerveau et il a changé radicalement la façon dont nous recevons et utilisons l'information. Pensez à l'impact qu'ont eu sur la civilisation, à tour de rôle, le livre, le journal, le téléphone, la radio, le magnétophone, la caméra vidéo, le compas, la télévision, le magnétoscope, le DVD, l'ordinateur personnel, le jeu vidéo. Votre téléphone intelligent est toutes ces choses et plus encore et il tient dans votre poche ou dans votre sac.

Il ne faut donc pas s'étonner que le cellulaire se retrouve dans le titre d'une pièce de théâtre et qu'il joue un rôle crucial comme révélateur de la nature humaine dans cette production du Théâtre Debout, Le cellulaire d'un homme mort. Je suis d'ailleurs persuadée qu'en temps et lieu il y a eu des textes de dramaturgie qui ont traité de ces étonnantes nouvelles inventions qui ont fait leur apparition à partir du 19e siècle. La jeune auteure Sarah Ruhl (elle a 39 ans, moi je trouve ça très jeune) s'approprie ce thème de la technologie dont nous dépendons et explore grâce au téléphone les relations humaines, l'amour, la communication et la solitude avec un humour déjanté et une touche de réalisme magique qui m'a enchantée. La traduction de Fanny Britt est parfaite, comme d'habitude, et la mise en scène dépouillée de Geoffrey Gaquère est au service de ce texte souvent très drôle et de ces personnages d'une excentricité complètement assumée.

Les comédiens sont tous très bons, mais la palme revient à Christiane Pasquier dans le rôle de la mère, madame Gottlieb, qui va dire à la jeune Jean (Johanne Haberlin), celle qui possède dorénavant le cellulaire de son fils, Gordon (Patrick Goyette), mort inopinément dans un café, qu'elle est comme une toute petite casserole. Ce sera après s'être donnée en spectacle en mère éplorée qui hurle de douleur et qui est vêtue de rouge flamboyant. C'est un rôle en or pour une comédienne comme madame Pasquier qui excelle dans ce personnage extravagant et décapant.

À cause de ce cellulaire, Jean fera donc la connaissance de cette famille quelque peu bizarre dont le frère de Gordon, Dwight (Félix Beaulieu-Duchesneau), le mal-aimé, avec qui elle va tomber amoureuse. C'est une pièce où on utilise la prosopopée, alors Gordon, le mort, nous parle et on découvre par bribes les activités plus ou moins illégales (en fait, plus que moins) auxquelles il se livrait de son vivant. Jean, ici, fait figure avec le cellulaire de révélateur des machinations diaboliques de Gordon, alors qu'elle souhaite de tout son cœur découvrir qu'il s'agissait, au fond, d'un homme bon. En mangeant des Cracker Jack elle dira qu'elle est persuadée que les gens sont fondamentalement gentils, mais que parfois ils se retrouvent malgré eux dans de mauvaises circonstances. Cette candeur rafraîchissante contraste avec le cynisme de madame Gottlieb et son discours désabusé, mais fort amusant. Le décor, qui n'est composé que de deux murs et de panneaux de papier froissé à l'arrière-scène, suggère les lieux et suit à la trace les émotions grâce aux éclairages très évocateurs d'Étienne Boucher.

Il y a une gravité qui se dissimule sous le masque de la futilité dans cette pièce. À travers des rebondissements tous plus invraisemblables les uns que les autres, se fait jour une réflexion sur la place de cette technologie qui nous demande d'exister par et pour elle. Et qui prend toute la place dans l'espace public. Qui n'a pas déjà entendu des conversations d'inconnus où on retrouve des informations dont on se passerait...Sarah Ruhl a capté les frémissements de notre modernité et si elle pose un regard critique sur notre quotidien à tout jamais modifié par Steve Jobs et ses concurrents, elle le fait avec tendresse et beaucoup, beaucoup d'humour.

Le cellulaire d'un homme mort, une production du Théâtre Debout, est présentée à La Licorne jusqu'au 14 février 2014.

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